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Mais le commissaire du gouvernement, M. Tardieu, opposa la thèse de la recevabilité, qui fut adoptée par le tribunal dans un arrêt d'ailleurs brièvement motivé. L'arrêt constate qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 24 mai 1872 « le recours en annulation pour excès de pouvoir est ouvert contre les actes des diverses autorités administratives ». Il déclare que, «si les actes du chef de l'État portant règlement d'administration publique sont accomplis en vertu d'une délégation législative, ils n'échappent pas néanmoins, et à raison de ce qu'ils émanent d'une autorité administrative, au recours prévu par l'article 9 précité. Dès lors, il appartient au Conseil d'État d'examiner si les dispositions édictées par le règlement d'administration publique rentrent dans les limites de la loi... »

L'arrêt du Conseil présente un intérêt considérable, non seulement par suite du revirement d'une jurisprudence séculaire, devenue soucieuse de donner aux administrés des garanties de plus en plus étendues contre des actes qui se multiplient chaque jour, mais encore par suite des motifs sur lesquels elle se fonde et qui ne lui assurent pas une base définitive.

En effet, les règlements d'administration publique se multiplient depuis quelques années. Les Chambres, impuissantes à formuler toutes les règles qu'on les invite à poser et à prévoir contre les exigences pratiques de l'exécution, font appel de plus en plus fréquemment à la collaboration du chef de l'État. Il n'est plus une seule loi importante qui ne contienne la clause devenue de style : « Un règlement d'administration publique déterminera les mesures propres à assurer l'exécution de la présente loi (1). » Sans doute, ce procédé présente des avantages. Il accélère le travail législatif, supplée aux oublis du législateur, débarrasse la loi de détails minutieux qui en surchargent le texte, évite des amendements contradictoires qui en altèrent le sens; il adapte mieux les règles aux besoins pratiques et

(1) Ainsi la loi du 30 novembre 1894 sur les habitations à bon marché est complétée par le règlement du 21 septembre 1895; la loi du 1er juillet 1901 sur les associations prévoit, dans son article 20, les deux règlements du 16 août 1901; la loi du 7 juillet 1904 sur l'enseignement congréganiste, a invité le Président à prendre les règlements des 2 janvier et 7 juin 1905: la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l'État à fait appel au gouvernement par son article 43-1 pour la rédaction des règlements d'administration publique du 29 décembre 1905 sur les inventaires, du 19 janvier 1906 sur les pensions ecclésiastiques, du 16 mars 1906 sur les associations cultuelles

évite les difficultés d'application que connaît l'autorité chargée de l'exécution; il pose des règles qui, plus mobiles et plus aisément modifiables, se prêtent davantage aux expériences. Mais par contre il peut présenter des dangers. Le chef de l'État, ajoutant à sa compétence toute celle abdiquée par le législateur et se substituant à celuici dans sa fonction, peut être tenté d'en abuser. N'a-t-on pas accusé le gouvernement d'avoir modifié dans ses décrets le sens de certains articles de la loi sur les associations, de la loi de séparation des Églises et de l'État, de la loi sur le repos hebdomadaire? Duran' le premier Empire des décrets ont pris des mesures législatives et sont appliqués encore aujourd'hui par la Cour de cassation, faute d'avoir été annulés selon la procédure constitutionnellement organisée en l'an VIII. Ce sont des ordonnances fondées sur le texte ambigu de la Charte qui ont provoqué la Révolution de Juillet. Comme les citoyens n'ont pas sur l'auteur du règlement un contrôle politique aussi direct que celui qu'ils peuvent exercer sur les législateurs responsables devant eux à des époques déterminées, il n'est pas sans intérêt de consolider le contrôle administratif exercé par le Conseil d'État sur les règlements.

Or, la théorie exposée dans les motifs de l'arrêt du 6 décembre 1907 donne-t-elle à ce contrôle une base plus solide et une étendue suffisante en attribuant à l'autorité réglementaire une délégation législative qui confère à celle-ci une extension de compétence? Ne limite-t-elle pas a priori l'avenir de ce contrôle en validant par avance des délégations, même inconstitutionnelles, faites par le Parlement?

D'autre part, les formules de la décision ne risquent-elles pas d'arrêter le développement du recours de pleine juridiction en continuant d'assimiler le règlement à une loi matérielle? En principe en effet, l'émission d'une loi nouvelle, qui cause un préjudice à un particulier, ne peut motiver de la part de ce dernier un recours en indemnité contre l'État. Cependant, si la règle de droit nouvelle rend plus onéreuse l'exécution d'obligations contractuelles qui lient l'État et le requérant, la solution est déjà moins rigoureuse (1). En général, les contrats passés avec l'administration prévoient l'hypothèse; des fournisseurs de l'armée ont pu, conformément aux

(1) Sur ce point, voir JEZE, Revue du Droit public, 1908, p. 60.

prévisions du cahier des charges, réclamer une indemnité à l'État à raison de l'application, en cours de contrat, de lois imposant des taxes douanières sur les avoines (1). Mais dans le silence du contrat, on admet que les parties ont pris pour base de leurs conventions l'état de choses existant au moment de sa conclusion et que celle qui souffre d'une modification législative peut réclamer une indemnité une compagnie du gaz peut réclamer à une ville le remboursement des droits d'octroi qu'elle a dù payer pour son charbon à la suite de l'établissement de ces taxes en cours d'exécution du contrat (2); une compagnie de transport peut réclamer une indemnité compensatrice des taxes de péage qu'elle a dû supporter et qui ont été établies après la conclusion du marché de service postal (3).

Dans ces hypothèses, les taxes ont été créées par la loi, bien que appliquées par décret à une ville ou un port déterminé. La solution doit être identique dans les mêmes circonstances, si l'aggravation de charges provenait exclusivement d'un acte réglementaire. Dans l'arrêt du 6 décembre 1907, le Conseil d'État ouvre la porte au recours en indemnité : il déclare que, «si les compagnies requérantes se croient fondées à soutenir que les mesures prescrites par le décret attaqué introduisent dans les charges de l'exploitation des éléments qui n'ont pu entrer dans la prévision des parties contractantes et qu'il est porté atteinte aux conventions intervenues entre les parties, il leur appartient de porter telle réclamation que de droit devant le conseil de préfecture compétent pour statuer sur les litiges en matière de travaux publics par application de la loi du 28 pluviôse an VIII. >>

Mais ne faut-il pas aller plus loin et dire que le règlement n'échappe plus comme la loi au contrôle juridictionnel et que la puissance publique, agissant par l'organe d'un agent administratif, doit être considérée comme responsable de tous ses actes même généraux?

Nous avons ainsi successivement vu en voie d'élaboration

(1) Article 134-135 du règlement du 26 mai 1866 auquel se réfèrent les cahiers des charges d'adjudication : C. d'Ét. 23 mai 1888, Parry, LEBON, p. 306, et 18 mars 1898, Menier, LEBON, p. 245.

(2) C. d'Ét. 9 avril 1897, Gaz de Montluçon, LEBON, p. 305.

(3) C. d'Ét. 20 mai 1904. Compagnie marseillaise de navigation à vapeur, LEBON, p. 425 et suiv.

les diverses voies de droit ouvertes aux administrés contre les règlements d'administration publique exception d'illégalité, recours pour excès de pouvoir, recours en indemnité. L'évolution n'est pas terminée. Mais elle ne peut se compléter qu'en se débarrassant de théories surannées qui entravent les progrès incessants du contrôle juridictionnel. Il importe donc de reprendre à pied d'œeuvre cette théorie des recours dirigés contre les règlements d'administration publique.

(A suivre.)

Henry NÉZARD,

Professeur à la faculté de droit
de l'Université de Caen.

L'ÉCUEIL DES BUDGETS

LES CRÉDITS ADDITIONNELS

Le Parlement ne manque pas d'excellentes intentions: il ne vote jamais un projet de budget en déficit (1); de 1896 à 1905, l'ensemble des prévisions des lois de finances se solde par un excédent de 2.368.000 francs. La bonne volonté n'exclut pas la modestie en cours d'exercice, les Chambres n'hésitent jamais à reconnaître que les crédits, primitivement votés par elles, sont insuffisants; de 1896 à 1905, le chiffre net des crédits additionnels (2) s'est élevé à 1.064 millions; mais, comme on a commis un oubli de 307 millions

(1) En apparence, tout au moins; car, en réalité, un projet de budget équilibré à l'aide de 40 millions d'obligations à court terme est voté avec un déficit de 40 millions.

Les crédits additionnels comprennent l'ensemble des modifications suivantes : 1o a) Crédits imputables sur des fonds de diverses natures (fonds de concours); b) Modifications spéciales résultant de la réalisation des ressources affectées à divers services (crédits égaux à des plus-values de recettes);

2o Crédits imputables sur les ressources générales du budget: a) crédits supplémentaires proprement dits; b) crédits pour dépenses des exercices clos. On obtient ainsi le montant brut des crédits additionnels.

Il convient de faire subir à ce montant brut les modifications suivantes. Il faut : 1o L'augmenter, s'il y a lieu, des crédits complémentaires accordés en règlement d'exercice pour l'excédent des dépenses sur les crédits;

2o Le diminuer des annulations de crédits: a) votées en cours d'exercice; b) décidées en règlement du budget; c) crédits non consommés par les dépenses annulés définitivement; d) crédits non consommés par les paiements, représentant les restes à payer à la clôture de l'exercice.

On tombe ainsi sur ce que nous avons appelé le chiffre net des crédits additionnels. (2) Solde des augmentations et des diminutions tant en cours d'exercice que lors du règlement de chaque exercice.

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