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aussi le droit, lorsqu'il interprète une loi; mais il le fait avec une portée générale, tandis que le juge ne statue qu'au regard des parties en cause.

Par cette addition, notre définition est voisine de celle donnée par M. Duguit de l'acte juridictionnel : « la constatation d'une situation juridique préexistante, avec déclaration que la contrainte sera employée si besoin est, pour en assurer la réalisation ». Nous ne souscrivons point à cette finale concernant la partie comminatoire du jugement, car « la force exécutoire est un élément de forme, tandis que la vertu de produire un effet de droit est proprement l'élément de fond (1)». Nous n'admettons pas non plus la critique qui consiste à dire que la décision constatant la reconnaissance d'écriture, lorsqu'il n'y a pas contestation du débiteur, est « incontestablement juridictionnelle (2) » et que, puisqu'elle n'implique aucune contestation ni violation du droit, cet élément n'est pas nécessaire. Nous sommes d'avis que s'il n'y a pas contestation, le juge ne fait que délivrer en la forme judiciaire une sorte de brevet d'authenticité, pour donner la force probante à une signature, absolument comme l'officier d'état civil.

Notons maintenant que ces définitions matérielles des fonctions administratives, législative et juridictionnelle peuvent ne pas correspondre au droit positif français et à la distinction purement formelle des trois pouvoirs.

Il est bon de remarquer également dès à présent que le législateur, l'administrateur et le juge ne peuvent exercer leurs fonctions qu'en conditionnant la liberté individuelle: les restrictions ou extensions. qu'ils y apportent ne sont pour eux que des moyens de réaliser leur fin et ne peuvent pas constituer un but par elles-mêmes: mais la nature, la gravité de ces modalités sont en rapport avec le but poursuivi.

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Maintenant que nous avons une idée du domaine et du rôle des trois organes de l'État, nous pouvons fixer exactement la place de la police. La police rentre dans l'administration générale, mais

(1) HAURIOU, op. cit., p. 416.

(2) DUGUIT, loc. cit.

alors que l'administration proprement dite représente le côté positif de l'administration générale et a pour but de créer un état de choses qu'il pourrait y avoir un jour danger d'avoir négligé, la police, au contraire, en représente le côté négatif, en ce sens qu'elle se borne à détourner les obstacles, à faire cesser les troubles qui se sont produits dans les diverses branches de l'administration (1). Elle n'avance en rien la société; elle l'empêche seulement de reculer.

Si l'administration proprement dite et la police constituent deux fonctions distinctes, il n'en est pas moins vrai qu'elles se pénètrent singulièrement et qu'il y a police partout où il y a administration, par ce seul fait que la police représente l'ordre dans l'administration. Il y a en réalité deux polices: l'une interne, étrangère au public, sorte de régulateur du mécanisme administratif, pour assurer la discipline du personnel dans les services publics; — l'autre externe, se manifestant aux yeux du public et en rapports constants avec lui, pour assurer la discipline générale de la société. Nous ne nous occupons que de cette dernière. Quand nous disons qu'il y a police partout où il y a administration, nous entendons que chaque branche de l'administration, pour se développer, a besoin qu'on fasse table rase de tous les obstacles devant elle. C'est à la police de veiller à ce que le terrain ne soit pas encombré, d'édicter et de faire observer par les individus des prescriptions spéciales à cet effet et de prendre telles mesures que de raison.

Est-ce à dire que la police soit exercée ici par des agents particuliers? C'est possible; mais il n'en est pas toujours ainsi. Bien souvent, la même autorité s'occupe d'administration et de police. Ce système assure une certaine unité de vues dans la direction, un certain parallélisme dans l'exécution qui favorisent la bonne marche des services.

Enfin, il serait erroné de croire que des textes spéciaux s'adressent, les uns à la police, les autres à l'administration. Il n'est pas rare que la même loi, le même règlement, le même article contienne des dispositions relatives à la police à côté de dispositions relatives

(1) En ce sens : Otto GERLAND, Ueber den Begriff der Polizei und insbesondere der Sicherheitspolizei nach preussischem Rechte », dans Archiv für öffentliches Recht, 1890, V.

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à l'administration. Il suffit de citer, par exemple, les lois des 11 juin 1842 et 15 juillet 1845 et le décret du 1er mars 1901.

Cela dit, nous définirons la police: une institution qui a pour objet, en imposant des restrictions à la liberté individuelle sous une sanction pénale, de prévenir tout trouble imminent de l'ordre public ou de le faire cesser dès qu'il s'est produit, mais seulement en tant que les lieux publics, accessibles au public ou réservés à un service public, et les conditions normales extérieures de l'existence, sont intéressés.

Nous allons préciser cette notion en la développant.

Tout d'abord, le moyen qu'emploie la police pour atteindre son but, c'est toujours la restriction de la liberté individuelle obtenue par la menace d'une sanction pénale. Cette sanction est ordinairement l'amende de 1 à 5 francs prévue par l'article 471-15° du Code pénal. Exceptionnellement ce peut être une peine correctionnelle, comme celles que prévoit l'article 21 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer. En cas de récidive, c'est un emprisonnement qui peut aller jusqu'à cinq jours (art. 474, 478, § 1, 482 C. p.) et même parfois jusqu'à un mois (art. 478, § 2). La police se distingue ainsi du législateur qui ne restreint pas toujours la liberté individuelle et qui édicte souvent comme sanction autre chose qu'une pénalité. Ensuite, disons-nous, la police a pour but de prévenir le trouble. Par là, elle se sépare nettement de la justice qui le réprime au contraire. Le mot « trouble » comprend tout ce qui est susceptible d'avoir des suites fàcheuses, tant au point de vue moral qu'au point de vue matériel; le trouble peut être considérable ou minime, temporaire ou permanent, général ou local; il peut provenir de l'homme, des animaux, de la nature, des accidents.

C'est des troubles « imminents » que s'occupe la police, tandis que, le plus souvent, le législateur et l'administrateur préviennent des troubles qui ne se produiraient qu'à plus ou moins longue échéance sans leur intervention.

Qu'elle prévienne le trouble ou qu'elle rétablisse l'état de choses utile à la communauté, la police ne le fera jamais qu'autant que les lieux publics, accessibles au public ou réservés à un service public et les conditions normales extérieures de l'existence auraient à souffrir de son inaction. Les lieux publics, accessibles au public ou réservés à un service public n'ont pas besoin d'être définis : ce sont

les rues, les parcs, les théâtres, concerts, cafés, la voie du chemin de fer, les ports, le canal, le fleuve, etc. Les conditions normales extérieures de l'existence sont celles qui permettent aux fonctions essentielles de l'homme de s'exercer: il faut que l'homme puisse respirer un air salubre, habiter des locaux hygiéniques, travailler dans des ateliers aérés et sans être trop exposé au danger, se nourrir d'aliments sains; il faut qu'il puisse aller et venir sans crainte pour son intégrité physique ou morale. C'est à la police de veiller sur tous ces points. Mais, sauf au cas d'appel, de cris de détresse, d'incendie ou d'inondation, elle ne franchira pas le seuil des habitations particulières, car le public n'y est pas admis; elle ne s'occupera pas d'assurer le bien-être des individus, mission qui appartient au législateur et à l'administration. Elle se contentera d'empêcher tout ce qui peut nuire à l'existence ordinaire des individus ; elle ne s'inquiétera pas du développement de la civilisation.

Les troubles dont s'occupe la police sont d'une extrême diversité et nous pouvons essayer de sérier ceux qui émanent de l'individu, car ceux qui résultent des accidents ou des phénomènes naturels n'offrent aucune difficulté. Nous donnerons ainsi une idée plus exacte du champ d'action de la police.

Ce que nous avons à considérer ici, ce sont les « manifestations sociales de la vie de l'individu (1) ». La vie privée n'intéresse pas la police en général. Or, pour une grande partie, la sphère de la vie privée coïncide avec celle du domaine privé. Et, en effet, la plupart des événements qui se produisent à l'intérieur de la maison ne peuvent avoir de répercussion à l'extérieur ni d'influence sur la communauté; c'est dire que la police ne s'occupera pas d'une armoire mal fixée, de plafonds qui menacent ruine, de vases tachés de vertde-gris sur une cheminée, d'un poêle qui fume, etc. Mais, dès qu'une maison est accessible à des personnes étrangères qui y passent et y circulent, la police rentre dans son domaine. C'est ainsi qu'une autorité de police allemande ayant exigé l'éclairage de l'escalier d'une maison privée, le tribunal a confirmé son ordre, considérant que, dans cet escalier, il circulait beaucoup de monde et que « sans l'éclairage, il y aurait du danger pour beaucoup de gens qui n'ont pas choisi ces logements, mais qui sont forcés de circuler

(1) Otto MAYER, Droit administratif, trad. franç., II, p. 19.

dans la maison » pour desservir ses habitants. S'il s'agissait de ces derniers, la police n'aurait pas eu à intervenir, car l'état de l'escalier ne regarde que leur vie privée.

De même, la police s'occupera de ce qui se passe à l'intérieur d'un débit de vins, d'un magasin, d'une usine, d'une salle de spectacles, etc., où chacun peut être admis sans justifier de titres personnels, de liens de parenté ou d'amitié d'ordre intime, et cela, pour rechercher s'il n'y a aucun danger à courir pour l'intégrité physique ou morale des individus, si la décoration ne risque pas de prendre feu, si une chaudière ne pourrait pas éclater, si le calme règne dans l'assistance, etc...

Dès que la voie publique est intéressée, la police intervient encore: ainsi, elle interdit de placer sur le rebord d'une fenêtre des pots de fleurs ou autres objets qui, par leur chute, peuvent blesser les passants; pour la même raison, elle ordonne la démolition d'un mur menaçant ruine.

Elle s'inquiète également de tout ce qui peut nuire au maintien des conditions normales extérieures de l'existence, même si le fait ne dépasse pas, à son origine, les bornes du foyer domestique. Ainsi, elle exigera des locaux salubres, la vie n'étant pas possible dans une atmosphère méphitique; elle fixera une heure à partir de laquelle on ne pourra plus jouer chez soi d'instruments bruyants, car le bruit excessif pourrait gêner le sommeil des voisins, une des conditions normales de l'existence. Une autorité de police saxonne a pu également sévir contre la cheminée d'un boulanger, parce que « l'état de choses avait occasionné à diverses reprises des plaintes de la part d'un public considérable ».

Il est important de voir si la réclamation est due à une inimitié entre voisins qui se cherchent noise ou si elle a été provoquée par une situation offrant bien des inconvénients pour le public en général. Dans le premier cas, on se trouve en face de la vie privée et la police n'a pas à intervenir; c'est la justice qui réglera le différend;

dans le second, comme la société est réellement intéressée, la police recouvre ses droits. C'est ainsi que le ministère de l'intérieur de Saxe a désapprouvé la mesure prise contre la cheminée d'un forgeron, attendu que le voisin seul s'était plaint (1).

(1) Otto MAYER, op. cit., II, p. 22.

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