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tante pour mériter d'être examinée. Il pense que, lorsqu'un prince, en mourant, ne laisse pas de descendans, le peuple redevient maître de lui-même, et qu'il est de son intérêt d'examiner s'il doit accepter ou rejeter les collatéraux du prince, tels que les frères ou les neveux; et que, quelle que soit la détermination qu'il prenne, on ne peut pas l'accuser d'avoir violé les lois.

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«Il est temps, dit-il, que les peuples soient affranchis du scandaleux affront de voir des princes étrangers réclamant le droit de les gouverner, en vertu des mêmes lois par lesquelles ils sont habiles à hériter d'un champ, d'un troupeau ou d'une statue. Il est temps qu'une pratique générale consacre en réalité cette vieille maxime, que les rois sont faits pour les peuples, et non les peuples pour les rois. Cette maxime est la base sur laquelle le gouvernement représentatif repose. Je n'en pousserai pas les, conséquences aussi loin que Montesquieu et Vatel; je ne dirai point avec ce dernier: « Si la nation voit certainement que » l'héritier de son prince ne serait pour elle >> qu'un souverain pernicieux, elle peut l'ex»clure.» Je me borne à dire qu'il est de l'intérêt des peuples, qu'au moment de la vacance

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d'un trône par l'extinction de la ligne directe, les branches collatérales ne puissent venir prendre possession de ce trône que par le choix on avec le consentement de la nation. »

M. Bignon appuie cette opinion de celle des publicistes, et il cite plusieurs faits qui prouvent qu'elle n'a pas toujours été une vaine théorie. « Récemment encore, dit-il, nous avons eu sous les yeux une application non moins frappante du droit qu'a un peuple dont la constitution est représentative, de disposer du trône, s'il le juge vacant, et d'établir un nouvel ordre de succession. En 1810, la diète de Suède choisit pour successeur à la couronne le prince d'Augustenbourg. Quelques mois après, la mort de ce prince occasiona une nouvelle élection. Les candidats sont : le fils du roi déchu, Gustave iv; le prince de Holstein, le roi, de Danemarck; et un étranger, un Français, artisan de sa fortune et de sa gloire. Bernadotte est mis sur les rangs et il est élu. Lorsque de tels événemens se passent sous nos yeux; lorsque la reconnaissance immédiate du nouveau prince par toutes les puissances, sanctionne l'exercice que la nation suédoise vient de faire de ses droits, comment concevoir que quelques-unes de ces mêmes puissances pren

nent sur elles de décider le sort de la succession de Bade, sans que le peuple de ce pays soit même consulté sur ce changement? »>

Il est bien difficile de prononcer en pareille matière d'une manière générale. Si l'on voulait s'en rapporter aux opinions qui ont été émises par des jurisconsultes, par des magistrats, par des ministres et même par des princes, on trouverait qu'il n'y a de rois légitimes que les rois forts, ni de peuples rebelles que les peuples vaincus. Nos publicistes et nos rédacteurs de journaux, les doyens de nos facultés et les présidens de nos cours, nos ministres et les ministres étrangers, les princes du Nord et ceux du Midi, semblent presque tous avoir été du même avis à cet égard. Quant à nous, qui ne jugeons pas sur l'autorité d'autrui, nous pendes discussions semblables ont toujours peu d'utilité, et que, pour les faibles comme pour les forts, le parti le plus sûr est de se taire.

sons que

M. Bignon paraît être tombé dans une contradiction en cherchant, d'un côté, à prouver que les parens collatéraux du grand-duc de Bade doivent recueillir les Badois à titre de succession, et en admettant, de l'autré, que les peuples ont le droit de se choisir un chef, lors

que le prince qui les gouverne meurt sans laisser de descendans. Il n'y aurait qu'un moyen de concilier ces deux opinions; ce serait de dire que les collatéraux n'ont de droits que relativement aux puissances étrangères. Mais il faut convenir que cette distinction paraîtrait fort arbitraire, et qu'il serait bien difficile de l'établir sur de solides bases.

Le grand-duc de Bade n'étant pas le plus fort, et voulant se mettre à l'abri des invasions, en a appelé à l'opinion publique, et c'est pour répondre à cet appel que M. Bignon nous a donné sa brochure. « Ce cri de la faiblesse contre l'oppression, a-t-il dit, il importe aux nations de l'entendre et d'y répondre. Si les princes peuvent trouver dans l'opinion un salutaire appui, ce sont particulièrement les peuples qui ont un intérêt capital à la faire intervenir, comme puissance médiatrice ou même comme suprême arbitre, dans les démêlés de leurs gouvernemens. >>

Il nous semble utile, en effet, que l'opinion publique intervienne dans les querelles des princes. Mais prenons garde de ne pas nous laisser abuser pour être protégé par l'opinion publique, il ne suffit pas de l'appeler à son

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aide. Si l'on n'est pas soutenu par elle, même

sans l'avoir appelée, c'est en vain qu'on l'invoquera quand le danger sera venu : elle n'est ni un juge qu'on puisse gagner ou corrompre, ni une esclave à laquelle on puisse donner des ordres. Avantque d'en appeler à elle, un homme doit se demander ce qu'il a fait pour les peuples; et s'il trouve qu'il n'a jamais été dévoué qu'à ses intérêts personnels ou à ceux de sa famille, qu'il ne cherche un appui que dans sa propre force ou dans celle des siens.

Les hommes ne s'intéressent en général qu'au sort de leurs égaux, et ils sont peu touchés des malheurs qui ne peuvent pas les atteindre. Qu'un prince soit dépossédé d'une partie de ses sujets, qu'il perde même la couronne, ou qu'il ne puisse pas succéder à son père ou à son oncle, c'est sans doute un très-grand malheur; mais c'est un malheur qui ne peut tomber sur les hommes qui ne possèdent ni sujets, ni couronnes, et qui ne sont pas destinés à trouver des peuples dans les successions auxquelles les lois les appellent. Nous ne saurions dire s'il importe beaucoup aux Badois d'être possédés par Pierre ou par Guillaume: mais ce que nous croyons pouvoir affirmer, c'est que la question de savoir quel sera le nom de leur possesseur, est une question qui importe fort peu aux autres

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