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n'y gagne assurément rien du tout. Ce double régime, loin de tourner à son profit, le retient dans une position fausse et périlleuse, le constitue dans un état habituel d'infidélité, le condamne à reproduire sans cesse de misérables sophisdont l'absurdité frappe les esprits les moins exercés, et l'expose alternativement, quelquefois simultanément, aux ressentimens. et aux attaques de tous les partis frappés tour à tour de ces armes illégitimes, après s'en être tour à tour emparés. Prenant au sein des factions ses instrumens et ses victimes, le système arbitraire ou révolutionnaire ranime leur fanatisme, éternise leurs vengeances, nourrit les gouvernans, comme les gouvernés, de défiances, d'inquiétudes, d'appréhensions vagues, d'espérances chimériques, et les entraîne, à travers des malaises provisoires, aux plus déplorables catastrophes.

Les effets de ce régime sur l'ordre représentatif et sur l'ordre judiciaire, méritent d'être particulièrement observés.

Pour rendre les garanties purement fictives, il faut de nécessité faire en sorte que la représentation nationale ne soit qu'un vain simulacre. On abolit donc les droits de cité; on désigne les électeurs, on les nomme d'office; on

attache cette fonction à des faveurs arbitrairement distribuées. Tantôt on ne leur laisse que le droit de présenter des candidats, entre lesquels des courtisans, réunis en corps, sont chargés de choisir ceux qui leur ressemblent le mieux; tantôt, si les électeurs doivent faire immédiatement des nominations définitives, on emploie tous les moyens d'intrigue, de corruption, de violence, pour qu'ils les fassent telles qu'on les veut, telles qu'on les a déterminées d'avance par des listes ministérielles. On obtient ainsi une prétendue assemblée représentative où le gouvernement seul est représenté; il l'est par ses plus chères créatures, par ses agens les plus affidés, nobles et privilégiés d'ancienne et de nouvelle date, ministres, conseillers d'état, administrateurs généraux et particuliers, présidens et conseillers de cours de justice, lieutenans, procureurs et avocats du prince. Aucun soin n'est omis pour que les gouvernés n'aient là, s'il se peut, personne qui les représente, personne dont les intérêts soient les leurs, personne qui puisse y porter leurs opinions, leurs sentimens, leurs votes. Là, quand le silence absolu n'est pas commandé, les accens de l'adulation se font seuls entendre en pleine liberté ; si par hasard quel

ques voix s'élèvent pour invoquer les garanties promises, pour signaler de monstrueux abus, elles sont interrompues, couvertes par des clameurs, et bientôt même on refuse expressément d'entendre ce langage de la raison et de la patrie.

Veut-on faire semblant d'instituer des conseils d'administration locale? On donnera ce nom à des commissions dont les membres seront directement nommés par l'autorité suprême, sans aucune participation des administrés, et qui, en exprimant les volontés qu'on leur aura dictées, ou celles que leur suggèreront les intérêts particuliers de leur caste, passeront pour avoir déclaré le vœu public d'une cité, d'un arrondissement, d'une province. Les jurés, si l'on ne parvient pas à éteindre cette institution incommode, si l'on est forcé d'en conserver au moins le nom; les jurés seront aussi des commissaires désignés par des intendans et des présidens, selon l'intérêt que les gouvernans prendront aux causes dont on aura, préalablement à ce choix, dressé le tableau. On abolira d'ailleurs le jury d'accusation; et cependant l'on se défiera encore à tel point du vain simulacre d'un jury de jugement, qu'on lui soustraira la connaissance de la plupart des affaires criminelles, soit sous prétexte que les

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faits à vérifier ne sont que des délits qui n'entraînent pas des peines afflictives ou infamantes, soit parce qu'on aura créé, pour beaucoup de crimes, des tribunaux d'exception.

En effet, on a besoin d'altérer tous les élémens, tous les ressorts de l'ordre judiciaire quand on a résolu de réduire à des mots vides. de sens les garanties qu'on a proclamées. Avant de tourner contre elles le ministère des juges ordinaires institués pour les défendre, on commence volontiers par créer des tribunaux révolutionnaires, des cours spéciales permanentes, extraordinaires ou autres, des conseils de guerre, des commissions militaires. Presque tous ces noms-là du moins avertissent assez de ce qu'il faut attendre; chacun sait de reste que ce n'est point à protéger l'innocence ni à raffermir des garanties qu'on emploie une telle justice. Les gouvernans se håtent de s'en servir pour se débarrasser de leurs ennemis ou de ceux qu'il leur a plu de déclarer tels; et, lorsle cours des vengeances est devenu si rapide, le nombre des victimes si exorbitant, l'iniquité si palpable et si révoltante, qu'ils en sont effrayés eux-mêmes, ils se déterminent, non sans regret, à briser quelques-uns de ces instrumens de proscription, et à les remplacer

que

par des cours, tribunaux ou conseils dont l'apparence soit plus régulière. L'une des idées dont ils s'avisent quelquefois, est de donner des attributions judiciaires à un conseil d'état que la loi fondamentale ne reconnaît point, qui peut bien exister dans une monarchie absolue, mais qui n'a point de place dans un véritable système représentatif, parce que, n'étant ni responsable ni indépendant, remplissant à la fois et confondant des fonctions de toute espèce, législatives, ministérielles, administratives, et enfin judiciaires, il est réellement indéfinissable, et incompatible par sa nature avec une constitution proprement dite, comme il l'est, par la dépense inutile qu'il entraîne et qu'il provoque, avec toute sage économie. Quand ce conseil est employé comme tribunal, c'est le gouvernement qui juge, et le plus souvent dans sa propre cause. Cependant, comme il est difficile de ne pas limiter cette juridiction aulique à certains genres d'affaires, d'affaires, les gouvernans ne croiraient pas juger assez s'ils ne disposaient des tribunaux ordinaires ou constitutionnels; et, pour que ceux-ci ne se montrent pas indociles en se prévalant de leur inamovibilité, on s'applique à la rendre illusoire, comme tout le reste. La nomination des juges ne sera donc

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