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qui ne le professent pas. Ceux-ci même seront tellement réprouvés ou abandonnés par le gouvernement, qu'il laissera quelquefois impunis les attentats les plus criminels commis contre leurs propriétés ou contre leurs personnes; et il dira cependant que les consciences sont libres.

Il a été déclaré que chacun jouirait du droit de publier et d'imprimer ses opinions: mais le gouvernement se réservera les moyens d'empê cher la publication des opinions qui lui déplairont et de poursuivre les auteurs qui professeront des doctrines qu'il ne trouvera pas saines. Il s'attribuera la direction, la rédaction, presque la propriété des écrits périodiques. Il fera plus, il établira ou maintiendra des régisseurs genéraux de l'industrie typographique; et il dira que la presse est libre !

Les propriétés sont reconnues inviolables; mais quelques-unes, publiquement et impuné ment menacées par des ministres d'état, par des ministres de la religion de l'état, perdront une partie de la faible valeur que leur laisseront les impôts exorbitans dont elles seront écrasées comme toutes les autres. Il sera défendu, non de les attaquer, mais de s'apercevoir qu'on les attaque. Le gouvernement ne les admettra point peut-être comme titres de majorats; et, pour

tant il dira toujours qu'il ne met entre elles et les autres propriétés aucune différence.

Enfin, la sûreté des personnes est solennellement consacrée mais il arrivera des conjonctures où les ministres, les administrateurs, les agens supérieurs ou subalternes du gouvernement seront autorisés à porter la main sur les citoyens suspects à leurs yeux, et à les retenir dans les fers sans les traduire en justice. Que sais-je? il pourrait arriver que des centaines, des milliers d'individus, militaires, jurisconsultes, hommes d'état, hommes de lettres, propriétaires, négocians, artistes, fussent bannis ou déportés à perpétuité, sans aucune sorte de jugement, et peut-être pour des faits, des opinions, des votes sur lesquels la loi fondamentale aurait expressément interdit toute recherche. Le gouvernement recherchera ces votes, comprendra, s'il le faut, dans la même proscription, des votes opposés entre eux et contradictoires, poursuivra les proscrits audelà de ses frontières, voudra qu'ils ne trouvent aucun asile, et il se dira le garant de la sûreté de toutes les personnes.

S'il ne s'agissait ici que de quelques abus accidentels de la puissance, on pourrait les croire inévitables au milieu des mouvemens compli Cens. Europ. - TOм. X.

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qués d'un vaste système d'administration. Ce qui est étrange, ce qui tient presque du prodige, c'est que les actes qui démentent textuellement la loi fondamentale puissent porter euxmêmes le nom de lois, et se revêtir de toute l'autorité dont ils la dépouillent. Une constitution n'est évidemment rien du tout, si ce n'est pas la loi de toutes les autres lois. Dès que celles-ci peuvent se soustraire à son empire, la restreindre, la transgresser, la suspendre, elle n'est plus qu'une fiction, qu'un mensonge. Entre toutes les lois, elle seule est inefficace, puisqu'elle ne peut rien contre les autres qui peuvent tout contre elle. On dirait qu'elle n'existe que pour recevoir des outrages, que pour rendre plus sensibles à chaque citoyen les attentats individuels qu'elle lui avait ordonné de ne plus craindre. Que signifie cette immutabilité qu'on ose lui attribuer encore? Une loi immuable est celle qu'on observe, et l'on commence à renverser une constitution du moment où on la viole.

Dans l'hypothèse dont nous parlons, il y a simultanément deux régimes opposés, l'un constitutionnel, l'autre révolutionnaire; car ce nom barbare est le seul qui convienne à des caprices suggérés par des circonstances mo

biles. Le premier n'est que de simple apparat, il fournit des noms à quelques autorités, des intitulés à leurs actes, des formes ou formules à leurs déterminations. Le deuxième imprime en effet les mouvemens; et, bien qu'il se cache le plus qu'il peut, c'est lui seul qui se fait sentir. Si le cérémonial constitutionnel frappe encore quelquefois les regards, ce sont les volontés arbitraires qui régissent les actions, et qui pénètrent tout l'intérieur des hommes et des choses. Mais quoique les forces soient toujours inégales entre l'ordre et le désordre, quoique celui-ci ne puisse se perpétuer sans prévaloir, leur coexistence entraîne, entre l'un et l'autre, une lutte journalière et scandaleuse qui, en laissant le premier sans puissance, laisse aussi le second sans crédit et même sans aveu. Ce qui reste du régime régulier suffit encore à déshonorer le pouvoir arbitraire, qui, en s'irritant de cet opprobre, s'y plonge de plus en plus.

Vous n'avez, quand ces deux régimes existent, qu'à observer de près ce qui se passe dans les administrations supérieures et subalternes, dans les conseils, les bureaux les tribunaux: vous verrez partout bien plus d'hommes employés à préparer, exécuter, ap

pliquer les lois d'exception, qu'à remplir des fonctions raisonnables. Lorsqu'il y a deux principes dans un gouvernement, c'est toujours le mauvais qui occupe et anime la plupart des agens de l'autorité. Les affaires dont le cours est réglé, si par hasard il s'en présente encore, sont sans intérêt à leurs yeux, et dédaigneusement renvoyées à des momens d'un plus grand loisir. Ils croient ne plus gouverner ni administrer, s'ils n'impriment ou ne reçoivent des secousses. Ils redoutent l'ordre, nonseulement comme ordre, mais comme ennui. Notez d'ailleurs qu'au moment où cesserait le régime arbitraire, la moitié des employés deviendrait superflue, et le gouvernement bien moins prodigue de salaires et de gratifications. Aussi devez-vous compter, parmi les causes qui perpétuent ce régime, les intérêts qu'il satisfait, les cupidités qu'il alimente, par conséquent l'énorme surcroît de dépenses publiques qu'il exige: car la tyrannie et l'imposture sont fort chères. Dépouiller tout un peuple des garanties individuelles, est un métier lucratif qui devient l'unique industrie, le seul savoir-faire des milliers de fonctionnaires et d'employés qui l'exercent.

Quant au gouvernement qui les soudoie, il

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