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si elle ne ferme pas la plaie au moment même où l'on commence à l'ouvrir. Un jour viendra où ceux qui n'auront pas voulu apercevoir le mal dès son origine se récrieront plus haut que les autres contre ses derniers progrès, quand il ne restera plus pour le guérir que des remèdes aussi funestes que lui. C'est peu qu'un gouvernement loyal et sage ait proclamé les garanties individuelles; il faut que la nation sente assez le prix d'un bienfait si rare, qu'elle en soit assez reconnaissante pour le recueillir, le saisir tout entier, et proclamer à son tour qu'elle n'en veut rien perdre.

S VII. Des gouvernemens qui refusent expressément les garanties individuelles.

CHEZ les anciens, toute garantie était refusée à la partie considérable de la population qu'on retenait en esclavage, et l'on s'avisait fort peu de fixer et d'assurer les droits individuels des autres habitans. La plupart des monarchies étaient absolues, et l'histoire de celles où le pouvoir du prince avait reçu quelques limites est pleine encore d'actes arbitraires et de ces troubles intérieurs qui indiquent toujours l'absence, la suspension ou l'imperfection des gaCens. Europ. -TOм. X.

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ranties. Dans les républiques, on s'était beaucoup plus occupé de la part que chacun aurait aux délibérations et résolutions politiques que de la sûreté des personnes et des propriétés, du libre exercice de l'industrie, et de l'indépendance des opinions. Tout y était sacrifié à des intérêts généraux qu'on envisageait comme distincts de tous les intérêts particuliers, et qui souvent en effet se conciliaient fort mal avec eux. On aspirait à une sorte de grandeur nationale compatible avec le malaise domestique de la plupart des citoyens. Les dissensions perpétuelles et quelquefois violentes entre les classes ou les partis, semblaient la seule manière d'être qui convînt à ces sociétés, la condition nécessaire de leur existence, de leur énergie et de l'éclat dont elles aimaient à se couvrir. Nous devons avouer que ce système n'est pas le moins propre à développer les forces morales de l'homme : il peut ouvrir aux talens une carrière brillante, et placer la vertu dans des situations héroïques. Mais il y a lieu de penser que les mœurs, les habitudes, les idées qu'il suppose sont perdues sans retour. Des travaux plus divisés, une industrie plus active, un commerce plus étendu, des connaissances plus précises, ont donné d'autres besoins et imprimé

une toute autre direction aux peuples actuels de l'Europe.

Au moyen âge, il s'est formé, principalement en Italie, quelques républiques où l'exercice du droit de cité et une sorte de régime municipal tempéraient, limitaient, annulaient la tyrannie des seigneurs, mais en assurant aux opinions populaires ou dominantes un despotisme absolu, et en laissant les personnes et les propriétés exposées aux attentats de chaque faction qui venait à prévaloir. La liberté est en soi si salutaire, que son image ainsi défigurée eut le pouvoir encore d'entraîner l'industrie et les arts à des progrès qu'ils ne faisaient point ailleurs. Mais tant d'institutions gothiques étouffaient ces faibles germes d'indépendance, qu'ils n'ont pu se développer assez pour jeter sur aucune des républiques de cette époque un éclat comparable à celui dont brilleront à jamais dans les annales de la terre les républiques de l'antiquité. Du reste, partout où sont méconnus les droits civils, pour lesquels seuls on a besoin des droits politiques, la destinée de ceux-ci est de n'amener que des orages et

de s'éteindre au milieu des calamités.

En exceptant ou sans excepter quelques républiques, le tableau général que nous offrent

les siècles du moyen âge, est celui de vingt peuples non gouvernés, mais possédés et retenus dans les plus profonds abîmes de la servitude, de l'ignorance et de la misère. Là se dévoilent tous les moyens qui contribuent à subjuguer pour long-temps l'espèce humaine : invasions, conquêtes, usurpations, institutions féodales, barbarie et confusion des lois, guerres interminables, expéditions lointaines, proscriptions, incendies, massacres, intolérance religieuse, et domination du pouvoir pontifical; c'est à ces conditions que les princes achètent le bonheur d'éteindre les lumières, l'industrie, les garanties, et de s'en priver euxmêmes. Ce régime de fer, qui semblait inébranlable, s'est pourtant affaibli par degrés ; et lorsqu'on recherche les causes de sa décadence, on est ramené, pour découvrir les premières, aux temps mêmes où il jouissait de sa plus grande force. Telles ont été les querelles, soit entre le sacerdoce et l'empire, soit entre les monarques et les seigneurs; les combats que se livraient entre elles les sectes persécutrices; enfin les mouvemens serviles, il est vrai, mais par trop vastes, qui furent imprimés aux peuples, et qui les accoutumèrent à s'agiter, et peu peu à s'instruire.

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Depuis le commencement du xv. siècle, d'autres dissensions et d'autres découvertes ont à tel point éclairé l'esprit humain et ranimé l'activité publique, que, pour persister à refuser les garanties individuelles, les gouvernemens se crurent obligés à donner au moins des promesses, à faire des transactions ou des concessions, soit réelles, soit mensongères, et à inventer sans cesse de nouveaux artifices dépraver les mœurs et pour comprimer l'essor de la pensée. Ils ne sont parvenus cependant qu'à rendre l'émancipation des peuples plus tardive et moins complète. Lentes ou explosives, des révolutions politiques, y compris celles qu'on nomme religieuses, ont rempli, presque sans interruption, le cours de ces quatre cents dernières années, et manifesté la lutte qui ne cessait d'exister entre les progrès vivaces de l'état social et les restes inanimés des institutions du moyen âge. On cite comme l'un des plus tranquilles,un pays où, depuis l'an 1400, on a fait la pragmatique, résisté au concordat, rejeté les lois du concile de Trente, proclamé les libertés de l'église nationale, accueilli le plus mal qu'on a pu des bulles qui se disaient dogmatiques; un pays où des guerres civiles se sont allumées sous les noms de bien public, de

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