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peuples d'Europe. Ce n'est donc pas devant eux que doivent se traiter les questions de succession, d'échange ou de partage.

Si le grand-duc de Bade veut intéresser à sa cause les peuples chez lesquels il existe une opinion publique; s'il veut trouver des défenseurs jusque dans les armées qui seront envoyées contre lui, ce ne sont pas ses intérêts ou ceux de sa famille qu'il doit faire parler; ce sont ceux des habitans du pays de Bade. Qu'il nous montre un peuple uni et jouissant de la meilleure organisation sociale qu'il puisse désirer, un peuple n'appartenant qu'à lui-même, heureux de vivre sous de sages lois, et voulant maintenir et défendre son gouvernement, et il peut être assuré qu'il ne manquera pas de défenseurs. Il en trouvera, parmi tous les peuples qui sont libres, ou qui aspirent à l'être; il aura pour lui l'opinion de tous les homme justes et éclairés de l'Europe, opinion qui lui donnera plus de force qu'il ne pourrait en trouver dans l'armée la plus nombreuse et la mieux disciplinée. Le sentiment de leur indépendance centuplera la force de ses soldats, et, avec une poignée de monde, il pourra résister, non-seulement au roi de Bavière, mais à tous ceux qui seraient tentés de l'attaquer.

Cens. Europ. - TOм. X.

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Mais, si, laissant de côté les intérêts des habitans du pays qu'il régit, il ne combattait que pour en disputer la possession à son rival; s'il ne parlait que des provinces qu'il a conservées au prix du sang de ses sujets; s'il n'avait pas d'autres titres à l'intérêt public, que des droits de succession ou des traités d'échange ou de partage; si les habitans du pays qui lui est soumis ne pouvaient exprimer aucun vou, ou s'ils étaient disposés à répéter le quid refert med de l'âne de la fable, c'est en vain qu'il en appellerait à l'opinion publique : elle resterait muette et le laisserait dépouiller sans obstacle. Tous les écrivains du monde ne sauraient être pour lui d'aucun secours; car, si les écrivains peuvent être les organes de l'opinion, ils n'en sont ni les créateurs ni les arbitres.

Quelles que soient, au reste, les alarmes du grand-duc de Bade, nous sommes très-portés à croire qu'elles sont mal fondées, et qu'elles n'annoncent pour lui aucun danger réel. Les puissances européennes, unies d'abord pour s'opposer à l'invasion d'une armée conquérante, ont fini par se liguer pour la défense de la légitimité. Si elles allaient maintenant se dépouiller entre elles, et prouver au monde que la légitimité n'est que la force déguisée sous

un autre nom, elles condamneraient ellesmêmes leurs triomphes, et donneraient aux hommes des exemples fort dangereux; elles craindraient que leurs peuples ne fissent un jour contre elles les raisonnemens qu'elles auraient faits les unes contre les autres.

L'intérêt des rois les porte naturellement à s'opposer à l'invasion que le roi de Bavière pourrait faire dans le pays de Bade; et les habitans de ce pays sont intéressés à ne rien faire pour passer sous un autre maître. Il pourrait leur arriver ce qui, au rapport de Mézeray, arriva jadis aux habitans de Cambray : la nouvelle domination pourrait être moins douce que l'ancienne : « Exemple qui, joint à mille >> autres semblables, ajoute cet historien, doit >> apprendre aux peuples, qu'à moins de se pou>> voir mettre en pleine liberté, tous leurs ef>>forts leur sont plus dommageables qu'utiles, >> puisque le changement de maître ne fait » qu'aggraver la servitude, celui qu'ils prennent » de nouveau n'ayant point de plus grand soin » que de redoubler leurs chaînes de peur qu'ils » ne lui échappent, et qu'ils ne le traitent >> comme ils ont traité l'autre : car les souve>> rains se faisant rarement justice à eux-mêmes, » ne s'imaginent pas que la rébellion de leurs

>> peuples procède de leur mauvais gouverne» ment, mais de ce qu'ils ne les ont pas tenus >>> d'assez court (i). »

Ainsi, tous les intérêts se réunissent pour repousser les envahissemens et les changemens de domination, et il faut espérer que nous n'en verrons plus.

(1) Histoire de France, tome III, page 1142; édition de 1651.

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DE L'ESPRIT D'ASSOCIATION

DANS TOUS LES INTÉRÊTS DE LA COMMUNAUTÉ,

OU

Essai sur le complément du bien-être, et de la richesse en France par le complément des institutions;

Par M. Alexandre DE LABORDE,

MEMBRE DE L'INSTITUT, etc.

[ Volume in-8°. de 584 pages. ]

En général, ce n'est pas pour être entendu que l'on parle ou que l'on écrit; c'est pour briller, pour discourir, pour occuper les autres de soi. Ce n'est pas non plus pour entendre ou pour s'instruire qu'on lit ou qu'on écoute; c'est pour employer son temps à quelque chose, et pour avoir l'air d'être au courant de ce qui se dit ou de ce qui se fait. Ceux qui parlent ou qui écrivent emploient donc souvent des termes pris au hasard, et qui n'expriment qu'à peu près ce qu'ils veulent dire. Ceux qui lisent ou qui écoutent ne s'en plaignent pas; car, lorsqu'ils entendent à peu près ce qu'on veut leur

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