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nature, doit mettre dans leurs vertus. Il paroît que, dans les mœurs anciennes, ces paroles de Sophocle qu'il cite, le silence est l'ornement d'une femme, étoient d'une vérité assez incontestable pour servir d'argument solide à sa thèse.

Si on lui fait l'objection que, par une conséquence de ses principes, on pourroit soutenir que les femmes naissent esclaves, il croit s'en tirer par cette réponse singulière : «Chaque production a un but marqué, et la » nature, si riche, ne connoît pas cette épargne d'en » consacrer plusieurs à la même destination. » Le sujet pouvoit lui fournir un meilleur argument. On diroit qu'ayant senti combien l'homme a abusé de sa force envers cette moitié du genre humain, laquelle, dans tous les lieux, a été plus ou moins assujettie, il n'a su comment accorder ici le droit avec ses principes sur l'esclavage.

OBSERVATIONS

SUR LES DEUX PREMIERS LIVRES

DE LA POLITIQUE D'ARISTOTE, Par le citoyen BITAU BÉ.

Lu le 8 floréal an 5.

SECOND MÉMOIRE.

Analyse des principes d'Aristote sur la communauté et sur l'égalité des biens.

ARISTOTE, dans le premier livre de sa Politique, a remonté jusqu'aux premiers élémens des sociétés civiles. Dans le second, il examine d'abord les opinions de plusieurs philosophes ou législateurs sur la communauté de toutes choses, ou seulement sur celle des biens, ou sur le partage égal des terres. En discutant ces opinions, il apprécie les notions qui offrent, au premier aspect, les bases d'association civile les plus simples et les plus naturelles. Cette discussion fera la matière de ce mémoire.

Les Grecs répandirent en Europe, avec les sciences et les lois, l'amour de la liberté; il fut leur caractère dominant, il respire dans leurs écrits. Leurs gouvernemens offrent de la grandeur, de la solidité, mais aussi des côtés fort imparfaits, dont un des plus remarquables est l'association de la liberté et de l'esclavage. Cependant, comme un vieillard qui, faisant entendre la voix de l'expérience, parleroit avec candeur de ses fautes et de leurs suites funestes, leurs erreurs mêmes entrant dans l'histoire de la politique, peuvent fournir quelques leçons ; et l'on ne peut prononcer le mot de liberté sans penser à ce peuple : il en eut le sentiment, qui tantôt l'égara, et tantôt lui fit opérer de grandes choses.

Son historien moderne, M. Gillies, observe que la situation locale de la Grèce, entrecoupée de montagnes, et formant des îles et des péninsules, favorisa longtemps la conservation de sa liberté, pendant que les peuplades de l'Asie, où sont de vastes plaines, furent aisément soumises par des conquérans, et, réunies sous leur sceptre pour l'établissement de grands empires, perdirent ce sentiment originaire de liberté qu'on remarque chez les sauvages, premier état de toutes les nations. La Grèce semble donc avoir été destinée à être le berceau de la liberté ; et le génie des Grecs, qui se portoit à tout ce qu'il y a de grand et de beau, étoit fait pour la nourrir et la cultiver.

On sait que les hommes ne se sont long-temps gouver nés que par des usages. Lorsqu'ils ont commencé à former des lois, elles ont dû être d'abord fort imparfaites;

elles n'avoient pour objet que le moment présent, et n'étoient destinées qu'à de petites peuplades. Les premiers législateurs, leurs successeurs mêmes, n'ont pas prévu les changemens que les circonstances amènent dans les états, celle en particulier de leur agrandissement. Ceux qui vouloient que la communauté des biens, ou leur partage égal, fissent une base sociale, ont considéré les hommes comme destinés à ne former que des associations d'un petit nombre de familles, quoique le peu d'étendue de ces états les exposât à des guerres continuelles, et que les peuples, et même les législateurs, l'exception de Lycurgue, au moins par rapport au principe, fussent loin d'avoir abjuré l'esprit de conquête.

Les législateurs qui attribuoient à leurs lois une origine céleste, ou qui les faisoient comme sanctionner par les dieux, donnoient à ces lois une certaine stabilité ; mais c'étoit retarder le progrès des lumières. Ils joi gnoient aux principes de la raison un secours qui lui est étranger et qui la violente, la superstition : quand les dieux avoient parlé, l'examen et la sanction du peuple devoient être moins libres. S'il sortit quelquefois de la bouche des fourbes qui prononçoient les oracles, jugement conforme à la saine politique, il n'en est pas moins certain qu'un législateur qui s'appuie de la volonté céleste, fascine l'esprit de la multitude. On dépeint les peuples vivant à ces époques reculées, comme trop superstitieux et trop indisciplinables pour recevoir des lois qui n'eussent été présentées que par la seule raison. Lycurgue, selon Plutarque, eut recours encore à la force

un

armée pour l'établissement de ses lois. Leur principe ténant beaucoup de la contrainte, ce moyen fut peut-être nécessaire, avant que l'habitude en eût rendu le joug facile.

Toutes les constitutions, ou du moins les premières bases de chacune d'elles, ont été, chez les anciens, l'ou, vrage d'un seul législateur. Une des raisons qu'on en peut alléguer, est que les lumières n'étoient pas assez généralement répandues. En cette occasion, ce législateur étoit comme l'unique représentant du peuple. Cet usage re, monte jusqu'à l'origine des associations civiles, qu'én beaucoup de pays la tradition dit avoir été l'ouvrage d'un homme d'un mérite si supérieur qu'on le faisoit descendre des dieux.

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Condillac préfère cet usage à celui d'une assemblée nationale.convoquée pour cet objet, et il en allègue des raisons spécieuses. « Il semble, dit-il, qu'il soit plus » facile à un seul homme qu'à plusieurs ensemblé d'em» brasser toutes les parties de l'administration, et d'en » faire un corps systématique où tout soit lié et se sou»tienne; qu'il soit plus disposé à écouter la critique » et à corriger ses erreurs, qu'il soit plus impartial, » qu'il ne tienne à aucun ordre, et qu'étant au-dessus » de tous, il n'ait d'autre intérêt que de répondre à la » confiance de ses concitoyens (1)». Condillac, ‹ qui présente d'une manière lumineuse plusieurs principes de législation, et qui paroît avoir prédit la révolution actuelle,

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(1) Cours d'études.

3.

T. 2.

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