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Les auteurs cités dans le recueil De mirabilibus, et les faits qui s'y trouvent rapportés, étant, à l'exception de cinq seulement sur cent trente six (1), antérieurs au temps d'Aristote, ou arrivés de son temps, il en résulte la possibilité que cette collection soit l'ouvrage d'Aristote ; une main étrangère y auroit fait seulement quelques additions: mais je vais plus loin, et de nouvelles observations me persuadent qu'elle est réellement le fruit des lectures d'Aristote.

Les extraits que rassemble le recueil De mirabilibus roulent sur un grand nombre de matières diverses, mais toutes matières qui ont exercé la plume d'Aristote. Il étoit indispensable pour l'exécution de ses plans qu'il recueillît les faits singuliers relatifs aux animaux, aux plantes, aux minéraux, à l'histoire, à la politique; et on apperçoit effectivement qu'il a fait usage de tels extraits dans ses traités sur les animaux, sur les météores, sur le monde. Dans le nombre d'environ cent trente-six faits que contiennent les Récits merveilleux, j'en ai vérifié une trentaine employés dans les différens

suis, sed alienis. Hoc discimus è voce noi. Discimus item ex aliis ejusdem verbis, tõto pì, šv x. v. λ. Verba sunt illius qui rem geographicam suscepisset ex professo, non autem illius qui davμáora àxkoμara undecumque corrasisset. (De ætate Peripli Hann. p. 33 et 34.)

(1) Ces cinq articles sont, suivant la division de Beckmann, le 180, où il est question de possédés du démon; le 182, où l'on nomme les Germains Tiguavoi; le 144, où l'on cite Callisthène. Les deux autres articles ont été remarqués par Dodwel, de Peripli Hannonis ætate, p. 33: l'un est l'art. 120, où le titre de roi de Sicile est donné à Agathocle; l'autre est l'art. 791 où il est mention de Cléonyme de Sparte. Voyez encore ci-après, p. 227.

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ouvrages d'Aristote (1). Ceux qui sont relatifs aux plantes
pouvoient se trouver dans des ouvrages que nous n'avons
plus; et il se peut aussi qu'Aristote ait, au moment de
la composition de ses livres, rejeté des faits qu'il avoit
d'abord insérés dans son répertoire, soit parce qu'il les
aura jugés absolument indignes de foi, soit
parce qu'un
examen plus particulier lui aura donné à connoître qu'ils
n'étoient pas exacts.

La comparaison des textes qu'on lit dans les Récits
merveilleux, et des textes analogues des traités d'Aris-
tote,
me confirme dans l'idée que les premiers textes ne
sont que ceux d'extraits conservés pour mémoire, tandis
que les seconds sont les textes d'ouvrages médités et
réfléchis. On lit dans l'un et l'autre endroits les mêmes
faits; c'est le même fond: mais la comparaison des
deux textes offre la différence qui est naturelle entre la
simplicité d'un extrait écrit à la hâte pour l'usage parti-
culier, et l'exactitude d'un récit qu'on ne compose qu'a-
près avoir pris tous les renseignemens pour le rendre
aussi complet que possible; dans lequel on sépare ce`qui

(1) Histoire des animaux, liv. IX, chap. 45, 47, 29; liv. VI, chap. 7; liv. IX, chap. 6, 5, 9; liv. II, chap. 1; liv. IX, chap. 10, 19, 40; liv. V, chap. 22; liv. VI, chap. 37; liv. VIII, chap. 8; liv. VI, chap. 24; liv. II, chap. 17; liv. VIII, chap. 28, 29; liv. VI, chap. 1; liv. III, chap. 12 ; liv. VI, chap. 27; liv. V, chap. 14. Des parties, liv. III, chap. 7; liv. IV, chap. 9. Du monde, chap. 6. Des météores, liv. IV, chap. 6; et liv. II, chap. 3. Ces deux derniers endroits présentent seulement quelques rapports avec ce qu'on lit dans le recueil des Récits merveilleux ; ce ne sont pas absolument les mêmes faits. L'ordre que j'ai suivi dans cette note est celui selon lequel on lit les divers articles dans le recueil des Récits merveilleux.

est certain de ce qui est douteux, et où l'on joint l'explication des causes au détail des faits.

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J'aurai plusieurs occasions de faire remarquer cette différence en présentant des observations spéciales sur divers articles des Récits merveilleux. En ce moment je me contente de rapporter un exemple pris dans la classe des faits qui appartiennent à l'histoire naturelle. Il s'agit de la ponte des coucous. Voici d'abord la traduction du texte des Récits merveilleux : « On dit qu'en Hélice les coucous laissent arriver le temps de la » ponte sans préparer de nids; ils vont déposer leurs » œufs dans les nids ou des ramiers, ou des tourterelles. >> On ajoute qu'ils ne les couvent ni ne les font éclore, » ni ne les nourrissent; mais que le petit coucou, lorsqu'il est né et bien gras, jette hors du nid les oiseaux » avec lesquels il se rencontre. Il paroît que, devenant grand et beau, il lui est facile d'obtenir l'avantage » sur les autres. On dit même que le petit coucou plaît » tant au ramier, que celui-ci se joint au coucou pour jeter ses propres petits hors du nid (1).

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Rapprochons de ce texte celui du IXe livre de l'Histoire des animaux, chap. 29, où Aristote décrit particulièrement les mœurs du coucou.

<< Le coucou ne fait point de nid: il pond dans le nid » des autres, particulièrement dans celui des ramiers, » de la fauvette; à terre, dans le nid de l'alouette; sur » les arbres, dans le nid de l'oiseau appelé verdier. La

(1) Chapitre 3 de la division de Beckmann.

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» femelle du coucou pond un œuf: mais ce n'est pas » elle qui le couve; c'est l'oiseau dans le nid duquel » elle l'a déposé, qui le fait éclore et qui le nourrit. » Ensuite, dit-on, lorsque le petit du coucou est devenu grand, il chasse du nid les petits de la femelle qui » l'a couvé, et il les fait périr. D'autres prétendent que » c'est la femelle elle-même qui tue ses petits, et qui » les donne à manger au jeune coucou, parce que, frappée de la beauté de ce petit, elle dédaigne les » siens. La plupart de ces faits sont rapportés unifor» mément par des témoins oculaires; mais tous ceux » qui en parlent ne s'accordent pas sur la cause qui fait >> périr les petits de l'oiseau dans le nid duquel le coucou » a pondu. Selon les uns, le coucou, revenant de temps » en temps au nid, mange les petits de l'oiseau dans le » nid duquel il a déposé son œuf; selon d'autres, le » coucou, étant plus grand que les autres oiseaux avec lesquels il a été élevé, dévore plus promptement ce qu'on apporte au nid, et ses compagnons périssent de » faim; de troisièmes encore disent que le jeune cou» cou, se trouvant le plus fort, tue ceux qui habitent le » même nid. Quoi qu'il en soit, la conduite du coucou » est un trait de prudence. Il connoît sa lâcheté et l’impuissance où il seroit de défendre ses petits; il les » donne à d'autres pour les sauver. En effet, cet oiseau » est d'une lâcheté extrême; il se laisse arracher les plumes par les petits oiseaux, et il fuit devant eux. » L'aspect sous lequel je viens de présenter les Récits merveilleux, comme une collection d'extraits faits par

>>

>>

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Aristote, ou sous ses yeux, et qu'il a certainement connue, me fournit deux conséquences que je crois importantes, l'une relative à Aristote, l'autre relative au recueil lui-même.

Si Aristote avoit été plus amateur du merveilleux que du vrai, comme quelques personnes, qui connoissoient mal ses écrits, le lui ont reproché, il n'auroit pas manqué, ayant sous les yeux un recueil qui contenoit tant de faits extraordinaires, et peut-être l'ayant formé lui-même, de transporter tous ces détails indistinctement, soit dans son Histoire des animaux, soit dans ses autres ouvrages. Cependant il n'y en a inséré qu'une partie: ceux qu'il a admis sont des faits qui ne sont pas au-dessus de toute croyance; il n'en a usé qu'avec précaution, et en diminuant ou retranchant ce qu'ils avoient de trop extraordinaire. Je conclus de là qu'Aristote a écrit avec sagesse, avec discernement, avec toute l'attention d'un philosophe qui cherche la vérité.

Le recueil des Récits merveilleux n'étant qu'une compilation d'extraits, compilation dont l'auteur n'est pas certainement connu, ne sauroit avoir la considération due à l'ouvrage d'un auteur estimé qui se nomme, et qui par cela même s'établit caution de ce qu'il écrit: mais il reste à cette compilation le mérite de nous avoir conservé les fragmens d'auteurs anciens, assez estimables pour qu'ils aient fait le sujet des études d'Aristote, et pour que leurs extraits aient été cités par des écrivains célèbres. On peut donc tirer quelque profit de la lecture de ces extraits, pourvu qu'on y mette du discernement

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