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FRAGMENT

D U

SEIZIÈME LIVRE DE L'ILIADE,

TRADUIT EN VERS FRANÇAIS,

Par le citoyen VILLAR.

Lu le 8 nivose an 5.

TANDIS que la vengeance, échauffant le carnage,
Du sang des deux partis inonde le rivage,
Patrocle, en longs soupirs exhalant ses douleurs,
Voit le fils de Thétis, l'aborde, et fond en pleurs:
Telle, à flots redoublés, une source féconde
Du sommet d'un rocher précipite son onde.
Achille le regarde: il sent que l'amitié

Dans son cœur généreux éveille la pitié.

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Patrocle, lui dit-il, parle, que veux-tu faire?

» Imiter un enfant qui court après sa mère,

» La retient par sa robe, et retardant ses pas,

» Les yeux noyés de pleurs, se jette dans ses bras?

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Que viens-tu m'annoncer, ou que doivent apprendre

» Tous mes Thessaliens empressés de t'entendre?

» Le ciel a conservé le digne fils d'Actor:

» Pélée, en cheveux blancs, fait mon bonheur encor.

» Si la mort eût frappé de si chères victimes,

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» Plains-tu le sort des Grecs, de ce peuple odieux, » Dont le crime a flétri l'honneur même des dieux ? Hâte-toi, satisfais mon ame impatiente. >>

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Patrocle lui répond d'une voix gémissante:

« Héros, j'espérois tout de tes seules vertus;

» Mais Ilion l'emporte, et la Grèce n'est plus.

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>>

Que les pleurs d'un ami n'irritent point Achille !

Ulysse, Agamemnon, Diomède, Eurypyle,

» Sur l'arène étendus, percés de mille traits,

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» Se consument, hélas! en impuissans regrets. » On s'empresse autour d'eux, on les soulage, on pleure. » La fleur de nos guerriers touche à sa dernière heure » Et rien ne peut, barbare, appaiser ton courroux? » Me préservent les dieux de ces transports jaloux ! » Si tu livres la Grèce à ses justes alarmes, » Pour qui réserves-tu le secours de tes armes ? » Ne va point te flatter que Pélée et Thétis » A tant de cruauté reconnoissent leur fils: » Un rocher t'enfanta; l'océan, en furie, » Te vomit de ses flancs sur ma triste patrie. » Si la voix d'un oracle a troublé ton grand cœur, » Si les vœux de Thétis enchaînent ta valeur, » Ah! que ne puis-je au moins, suivi de la victoire, » Conduire tes guerriers au sentier de la gloire! » Prête-moi ton armure: errans, glacés d'effroi, » Peut-être ces Troyens fuiront tous devant moi, » Et croiront voir Achille entrant dans la carrière, » Fils des dieux, laisse-toi fléchir à ma prière: » Tu peux sauver encor les jours de nos héros ; » A leur noble valeur permets quelque repos.

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» J'irai dans Ilion punir cette arrogance

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Qui depuis si long-temps accuse ton absence. »
Quelle étoit son erreur! aveuglé par le sort,
A l'ami le plus tendre il demandoit la mort!

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Qu'entends-je? dit Achille embrasé de colère: » Me suis-je inquiété d'une vaine chimère,

» Des songes d'un oracle, et des vœux de Thétis? » Et quels sont les malheurs que le ciel m'a prédits? » L'honneur seul à mon cœur parle encore et me lie. » Un mortel, mon égal, me brave, m'humilie,

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S'empare effrontément du prix de mes exploits, » A l'abri d'un pouvoir usurpé sur vingt rois! » Voilà, voilà le trait enfoncé dans mon ame!

» Cette jeune beauté, si digne de ma flamme,

» Un Atride, au mépris de mes droits les plus saints, » A la honte des Grecs, l'arrache de mes mains! » L'insolent! il me traite en proscrit, en rebelle !..... » Mais je ne nourris point une haine immortelle. » A peine les Troyens, armés de leurs flambeaux, » Auront, sur ce rivage, insulté mes vaisseaux; » Je saurai, prévenant leur fureur insensée, » Oublier l'intérêt de ma gloire offensée.

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Toi, revêts cette armure, et je romps les liens

Qui retenoient l'ardeur de mes Thessaliens.

» De la flotte en péril la ruine certaine

» Enivre l'ennemi d'une joie inhumaine;

» La mer avec horreur voit les Grecs repoussés

» Couvrir ses bords sanglans de leurs corps entassés.

» Ilion tout entier jouit de leur défaite :

» Tremblant, désespéré, vers une humble retraite,

» A l'aspect de mon casque, il fuyoit autrefois!
» Si le chef de la Grèce eût respecté mes droits,
» Les corps de ces vainqueurs altérés de carnage
» Combleroient nos fossés où triomphe leur rage.
Quoi! du fils de Tydée et la lance et le bras

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» N'ont pu sauver les Grecs condamnés au trépas!

» Je n'entends plus tonner l'impérieux Atride:

>>

Hector, le seul Hector, au regard homicide,

» Tient le camp sous ses lois, et, fier de ses lauriers, » Du geste et de la voix anime ses guerriers.

» Leurs féroces clameurs, par les cieux répétées,

>> Se prolongent au sein des eaux épouvantées.

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Quelle audace! quel bruit! quel ton présomptueux!

» Cours, défends les vaisseaux, Patrocle, éteins les feux :

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Que les Grecs consolés doivent à ta présence

» D'un retour assuré la flatteuse espérance.

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Rappelle-toi sur-tout, maître de ta valeur,

» L'ordre que l'amitié dépose dans ton cœur.
>> Si tu veux que l'armée, à me plaire attentive,
» Reconnoisse mes droits sur la belle captive,
» Et
elle enfin lâchement outragé,
» Par elle avec éclat mon honneur soit vengé,
Repousse d'Ilion les perfides cohortes:

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que, par

» Mais seul oserois-tu le braver à ses portes?
» Le soin de le punir n'est réservé qu'à moi.
» Dût le maître des dieux combattre devant toi,
Reviens, et, trop enflé d'un triomphe stérile,

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» Garde-toi d'attenter à la gloire d'Achille.

» Tremble qu'un dieu contraire à tes premiers succès » N'en réprime à l'instant les coupables excès.

3.

T. 2.

23

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Apollon a sur-tout, dans la cour immortelle, » D'un peuple qui l'adore embrassé la querelle. » Borne-toi, cher Patrocle, au salut des vaisseaux; » Abandonne à leur sort les deux peuples rivaux.

» Témoins de leurs forfaits, divinités suprêmes, » Périssent les Troyens! périssent les Grecs mêmes! » Seuls puissions-nous tous deux à l'univers surpris » Du superbe Ilion étaler les débris! »

Ainsi parloit Achille. Une horrible tempête Grondoit autour d'Ajax et fondoit sur sa tête: L'intrépide héros n'en est point ébranlé

;

D'une grêle de dards vainement accablé,

Lui seul, aux champs troyens, pleins de sa renommée,
Combat contre les dieux, et protége l'armée.
Tandis que mille dards, épandus dans les airs,
De son casque, en sifflant, font jaillir des éclairs,
Le poids d'un bouclier aux coups impénétrable
Trahit les longs efforts de son bras indomtable.
Mais sa force renaît et croît dans le malheur :
Hors d'haleine, inondé de torrens de sueur,
Tranquille, il brave encor la fortune inconstante;
Son ame s'agrandit quand le péril augmente.
O muses, dites-nous quel triste événement
Alluma des vaisseaux le vaste embrasement.
Hector, pareil au dieu qui lance le tonnerre,
Sur la pique d'Ajax lève son cimeterre,
Mesure, écarte et rompt, par un heureux effort,
Ce fatal instrument de terreur et de mort.

L'airain resplendissant se détache du frêne,

Et va

loin du héros, retentir sur l'arène.

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