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La classe vient de perdre le citoyen LEMONNIER, associé à la section de poésie, à l'âge de soixante-seize ans. Des fables bien pensées, écrites avec facilité, dialoguées avec naïveté, sont le premier de ses titres à la gloire littéraire. Le second est sans doute la traduction fidèle et élégante de Térence, cet écrivain latin qui sut le premier donner à Thalie de la décence et de la dignité, avec une marche régulière. Lemonnier traduisit aussi heureusement le rigide ami de la vertu, l'ardent ennemi du vice, Perse,

Qui dans ses vers obscurs, mais serrés et pressans,
Affecta d'enfermer moins de mots que de sens.

Quelques contes écrits avec finesse, et des pièces dramatiques moins connues, voilà son bagage littéraire, s'il est permis d'employer une expression badine de

Voltaire en parlant d'un écrivain dont la gaieté et l'enjouement formoient le caractère distinctif.

La finesse naturelle au pays qui l'avoit vu naître, la ci-devant Normandie, ajoutoit quelque chose de piquant à la naïveté qui règne dans ses poésies. Il sembloit cacher sous les apparences de la bonhommie, des traits dignes de Marot et de Rabelais. Lorsque des censeurs craintifs ou atrabilaires enchaînoient la pensée, l'un d'eux refusa son approbation à une des fables de Lemonnier. A propos d'un cheval qui expiroit sous une charge accablante, le poète faisoit voir combien étoit mal entendu le calcul des princes qui écrasoient leurs peuples sous le poids d'impôts excessifs. Il ajoutoit:

Ce que je vous dis-là, je le dirois au roi.

Le censeur raya ce vers le poète le défendit; mais il fut obligé de céder à l'obstination de l'Aristarque. Après avoir fait quelques pas dans la Lemonnier rentra

en récitant ce nouveau vers:

rue,

Ce que je vous dis-là, je le dirois.... Tais-toi.

Le changement fut approuvé, et le censeur ne s'apperçut pas que le trait satyrique n'en étoit que mieux

acéré.

Avec cette haine pour les abus, Lemonnier vit avec joie commencer une révolution qui en promettoit la réforme. Les habitans du village dont il étoit curé, avoient trouvé dans lui, jusqu'à ce jour, un père tendre, compatissant, généreux même avec profusion; ils trouvèrent

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alors un guide prudent et éclairé. Mais le régime révolutionnaire, qui ne respectoit ni talens ni vertus, le jeta pendant dix-huit mois dans une prison, d'où il ne seroit sorti, sans le 9 thermidor, que pour monter sur un échafaud. Cependant, et ce sera le dernier trait de son éloge, il en sortit sans avoir vu affoiblir son amour pour la République.

NOTICE

SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

DE JEAN-BAPTISTE LOUVET,

Par le citoyen VILLAR.

Lu à la séance publique du 15 vendémiaire an 6.

JEAN-BAPTISTE LOUVET naquit à Paris en 1764. Il avoit reçu de la nature une imagination vive et un cœur sensible: présent bien doux, mais bien dangereux. Ne craignons pas de le dire, il ne sut pas toujours s'en défier. Les premiers écrits sortis de sa plume portoient l'empreinte d'un talent facile, que l'étude des grands modèles n'avoit point encore mûri.

On s'égare aisément dans la carrière du bel-esprit : il ne l'éprouva que trop, à la fleur de la jeunesse. Des censeurs, trop austères peut-être, lui en firent un crime : la philosophie se contenta de plaindre ses erreurs, et ne lui ôta rien de son mérite littéraire.

Le siècle des révolutions commençoit. Déja la nation française avoit rompu ses fers et proclamé les droits de l'homme. Louvet embrassa la cause de la liberté avec cette chaleur naturelle aux ames élevées. Heureux les gens de lettres qui, pénétrés de toute la dignité de leur

état, jurèrent alors, comme lui, qu'ils seroient libres, et, comme lui, ne violèrent jamais leur serment.

que

L'esprit républicain, dont le germe se développoit et s'étendoit sur toutes les parties de la France, luttoit, depuis trois ans, contre les suppôts du royalisme, lorsle canon du 10 août déconcerta les manœuvres d'une cour perfide. La République s'éleva sur les débris de la monarchie. Dès-lors on vit tous les rois de l'Europe, chancelans sur leurs trônes, se coaliser pour l'étouffer dans son berceau: mais leurs efforts furent vains. La Convention nationale, par son énergie, renversa tous les obstacles; et Louvet, appelé dans son sein par le vœu du peuple, y montra cette indépendance mâle et fière, la source de ses malheurs, et la honte de ses ennemis.

Diverses factions, acharnées à leur perte mutuelle, s'agitoient en tout sens et méditoient la ruine de la patrie. L'étranger, prodiguant sourdement ses trésors, tourmentoit à son gré notre République naissante. Une route certaine n'étoit pas facile à tenir au milieu de cette mer fameuse par tant de naufrages.

Un homme en qui la médiocrité la plus absolue le disputoit à la plus profonde scélératesse; qui prit le masque de la vertu pour l'assassiner impunément; qui ne professa l'égalité que pour atteindre plus sûrement au faîte de la tyrannie; avorton politique, dont l'influence sans bornes sur la destinée de trente millions d'hommes sera long-temps un problême; un homme enfin dont le nom glaceroit d'effroi les sciences, les

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