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Ligue, condensât « sous un même point de vue tout ce que l'ambition» enfanta « de désirs, la jalousie de perfidies, la politique de ruses, la flatterie de bassesses, la faveur de prétentions orgueilleuses, la disgrâce d'humiliations. >> Telle fut la conception d'où est née L'intrigue du cabinet sous Henri IV et Louis XIII, terminée par la Fronde (1).

L'intrigue du cabinet, le titre l'indiquait bien, devait être surtout une étude sur les ressorts politiques mis en mouvement; et, pour mieux les découvrir, il fallait en appeler aux anecdotes et essayer de pénétrer les caractères. Les anecdotes abondent, bien choisies et puisées aux bonnes sources. Les caractères sont saisis et généralement présentés sous un jour vrai, sinon vif, éclatant (2). Les particularités historiques donnent de la variété et du piquant à la narration; les portraits du relief, de la fermeté, en même temps qu'ils l'élèvent et l'ennoblissent. Sans doute, l'on ne saurait faire à l'historien la complète application du vers: Omne tulit punctum, qui miscuit utile dulci,

l'omne tulit punctum serait une exagération; mais le miscuit utile dulci est ici une vérité : nous avons une

(1) Paris, 1780, 4 vol. in-12.

(2) Ceux qui accusent Anquetil de n'avoir pas été assez sévère à l'endroit de Richelieu, ont évidemment lu avec distraction. En effet, l'historien ne nous montre-t-il pas « l'impérieux Richelieu » dominant << le monarque docile » et, à la dernière heure, lui imposant encore ses volontés, en sorte que le ministre « régna même après sa mort >> ? Assertions qu'aujourd'hui, du moins telles qu'elles sont formulées, l'on serait porté, en l'état de nos études historiques, à trouver excessives. L'historien n'a-t-il pas encore écrit sur l'administration intérieure du ministre : «Cepen« dant on ne croira pas qu'il ait eu à cœur de la rendre heureuse (la << nation), si on considère la multitude d'édits bursaux qui parurent de son temps, et les coups d'autorité qui excitèrent souvent les murmures « du clergé, de la magistrature et des autres ordres de l'État; ainsi son <«<< ministère fut brillant, mais oppressif. » (Voir, en particulier, tom. III, p.p. 94, 98, 134, 135, 139, de l'édit. de 1780.)

L'éloignement de Paris s'ajouterait à la résolution connue de l'auteur, touchant les manuscrits de la bibliothèque du roi, pour expliquer encore ici l'absence de ces documents inédits parmi les ouvrages consultés. Un seul ms. est mentionné; et c'est la Vie de Michel de Marillac par Lefèvre de Lezeau, ms. de Sainte-Geneviève, déjà cité dans la seconde édition de L'esprit de la Ligue.

œuvre dont la lecture est agréable et instructivé, à la fois.

Depuis quatorze ans, notre historien était prieur-curé de Château-Renard près Montargis, une des nombreuses paroisses dont le desservice appartenait aux génovéfains (1). Une circonstance fit d'Anquetil un éditeur plutôt qu'un biographe.

Le maréchal de Castries, alors ministre de la marine, et le marquis de Vogué, qui tous d'eux s'intéressaient à la gloire du vainqueur de Denain, avaient prié l'historien en renom d'écrire la vie du maréchal de Villars. C'était, à leurs yeux, d'autant plus nécessaire, que des trois volumes de Mémoires publiés sous le nom du célèbre maréchal, le premier seul reproduisait une partie du manuscrit original. Le reste était l'œuvre de l'abbé de la Pause de Margon qui paraît avoir surtout puisé dans les gazettes du temps. En conséquence, ces éminents personnages avaient remis à Anquetil un grand nombre de documents qui comprenaient les lettres du maréchal, ses Mémoires et son journal. « C'est « là-dessus que j'ai travaillé, dit-il : j'ai refondu les Mé«<moires, ajouté les liaisons, fait parler le maréchal lui-même « pour donner plus de vivacité au style, et inséré les lettres « dans le texte; mais j'ai conservé les faits tels que je les <«< ai trouvés, sans me permettre de les justifier ni de les « combattre. » Ce plan fut suivi jusqu'en l'année 1723. Alors le travail de l'arrangeur des Mémoires se réduisit presque à rien. Celui-ci se trouvait donc parfaitement autorisé à inscrire au frontispice des volumes dont les presses enrichissaient le public: Vie du maréchal duc de Villars..., écrite par lui-méme (2).

(1) La Biographie universelle et portative des contemporains, d'accord avec le baron Dacier, indique 1766 pour l'année de prise de possession. (2) Paris, 1784, 4 vol. in-12, avec plans de batailles. Bien des fautes se glissèrent dans cette édition. Celle de 1785 fut moins fautive.

Nos assertions ou citations précédentes sont tirées, soit de l'idée de la vie du maréchal de Villars, au commencement de l'ouvrage, soit d'une note qui se lit à la première page du Journal de Villars, car ce titre a été conservé, à partir de l'époque sus-indiquée.

Quel que soit le mérite intrinsèque du travail du génové. fain, on doit reconnaître, aujourd'hui surtout, le signalé service qui par là a été rendu à la science historique : c'est, en très grande partie, grâce à ce travail consciencieux qu'on a pu reconstruire les Mémoires de l'illustre capitaine (1).

La Vie du maréchal duc de Villars fut une sorte de temps d'arrêt au milieu des études embrassées et poursuivies par l'historien. Le règne de Louis XIV ne s'offrait-il pas après ceux de Henri IV et de Louis XIII, et n'avait-on pas à en espérer une aussi abondante récolte? Malheureusement Anquetil eut sur cette grande époque des vues moins larges et moins hautes encore. Il alla à peine jusqu'à la politique du cabinet et, çà et là, descendit dans une foule de détails qu'il reconnaissait lui-même au-dessous de la dignité de l'histoire. Et encore si, par des transitions plus heureuses, des liaisons plus vraies, il se fùt appliqué à donner à la composition l'unité requise ! Mais non : nous n'avons là, comme il le dit lui-même, qu'une « espèce de centon », sous le titre de Louis XIV, sa cour et le régent (2), car l'auteur a jugé à propos d'ajouter la triste régence au grand règne.

:

Le souffle révolutionnaire agitait la France et amoncelait des nuages gros de tempêtes. Un premier sacrifice s'imposa au pasteur: celui de s'éloigner d'un troupeau qu'il gouvernait depuis plus de vingt ans et au sein duquel il espérait achever tranquillement sa carrière. Quelle fut la cause de cette séparation? Nous ne saurions être plus précis que le baron Dacier qui s'exprime en ces termes, après avoir rappelé la nécessité pour le vieux génovéfain de se

(1) Voir les collections Petitot et Michaud. De ces Mémoires qui y ont pris place:

La première partie est empruntée aux Mémoires imprimés;

La seconde (1701-1723) au travail du P. Anquetil;

La troisième au Journal publié par ce dernier.

(2) Paris, 1789, 4 vol. in-12. Voir Préface.

La publication fut jugée alors d'une originalité assez piquante. Disons aussi que l'auteur avait su tirer profit des Mémoires inédits de Dangeau.

procurer «< quelques ressources par ses travaux littéraires >> : Le P. Anquetil «< se décida, en pleurant, à échanger sa cure contre celle de La Villette dont les charges, beaucoup moins pesantes, lui laisseraient plus de temps à donner à des travaux d'un autre genre, et qui par la proximité de Paris le mettrait à portée de consulter les nombreux dépôts réunis dans cette ville (1). »

C'est à La Villette près Paris, paroisse également confiée aux génovéfains, qu'il mit la main à son Précis de l'Histoire universelle. Il se faisait alors abréviateur de la volumineuse Histoire universelle rédigée en anglais et naguère traduite en français. Sous le coup des événements qui se précipitaient, en présence des catastrophes qui menaçaient, il consacrait paisiblement ses loisirs et son ardeur à sa nouvelle entreprise. Mais, le 16 août 1793, il fut arrêté et conduit à Saint-Lazare. Pour lui, la prison fut un nouveau cabinet de travail. « C'est, je l'ai éprouvé, nous citons << ses propres paroles - c'est dans le tourbillon d'une révo<«<lution, assis sur les ruines qu'elle amoncelle, dans la soli« tude sombre de la prison, sous la hache menaçante des << bourreaux qu'on lit avec une véritable utilité l'histoire « des perfidies et des fureurs qui ont troublé et ensanglanté «<l'univers. » Un peu plus loin il ajoute : « Loin de me << laisser ralentir par la tempête, je n'en étais que plus << ardent à continuer ma course; je me hâtais de finir une « scène d'horreur pour en tracer une consolante (2).

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D'ailleurs, sa grande confiance en la Providence divine contribuait puissamment à rasséréner son âme et à fortifier son courage.

Cette confiance ne fut pas déçue : le 9 thermidor, en le rendant à la liberté, le déroba probablement à la mort. Ce fut au sein d'une atmosphère politique, un peu moins

(1) Mémoires de l'Institut, loc. cit., p. 31.

(2) Préface du Précis de l'Histoire universelle, p.p. vi et x.

sombre, quoique toujours orageuse, qu'il mena rapidement, trop rapidement même, à terme l'ouvrage commencé dans une cure, continué dans une prison, et enfin signé : citoyen Anquetil (1).

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Ces deux derniers mots révèlent-ils une nouvelle apostasie à inscrire au compte de la Congrégation de France? D'abord, la qualification de citoyen n'autorise aucune induction, car, on le sait, c'est le titre civil qui, sous la république, remplaça celui de Monsieur, et ne fut réellement abandonné qu'à l'époque de l'empire. Mais nous avons une meilleure réponse à fournir. Celui dont on a pu dire et nous allons entendre encore le même académicien : « Il s'éloignait seulement de nous pendant quelques semaines, chaque année, pour aller revoir son << ancien troupeau de Château-Renard qui était toujours << l'objet de ses constantes affections...; chaque année, les «< habitants du lieu revoyaient au milieu d'eux, avec un << nouvel attendrissement, cet ancien pasteur dont la tête vénérable et la stature patriarcale semblaient leur offrir l'image de ces envoyés de Dieu, qui, au temps des prophètes, apparaissaient par intervalles pour apporter aux << hommes les paroles et les bénédictions du ciel » ; celui-là, assurément, était demeuré vrai prêtre et, autant que les temps le permettaient, vrai religieux. Faut-il ajouter que, dans son ancienne paroisse, l'hospitalité lui était donnée par la non moins pieuse que charitable Mme de Fougeret? Certes, pareille hospitalité eût fait défaut à un violateur des engagements les plus sacrés. Rappelons, enfin, que l'écrivain cité tout à l'heure terminait par ces lignes son parallèle entre les deux frères, l'un et l'autre membre de la même académie : « Un même esprit, au reste, les avait inspirés, celui de la religion, qui, après avoir guidé leur

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(1) Paris, an VII, 9 vol. in-12. L'auteur en donnait, en 1801, une seconde édition, revue et corrigée, en 12 vol., même format.

T. 11.

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