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prieuré d'Enaux ses études littéraires et philosophiques. Le cours de théologie suivit. Pour l'étudiant jugé digne d'être maître, la carrière du professeur dans l'enseignement secondaire allait s'ouvrir aussitôt (1).

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Jean-André, de quatre ans moins àgé qu'Antoine, était né 1751 marcha sur les traces de son frère. Il se fit génovéfain. Nous le voyons, en 1777, professer la philosophie à l'abbaye de Saint-Lô de Rouen. Toutefois l'étude des sciences naturelles le captivait davantage.

Non seulement diverses publications l'avaient fait connaître du monde savant; mais il pouvait déjà compter sur un certain nombre de voix pour entrer à l'académie des sciences, lorsque, en 1785, il s'embarqua avec La Pérouse en qualité d'aumônier. On se proposait, à la fois, d'utiliser les connaissances du physicien. Parler de son embarquement, c'est rappeler le triste sort qui l'attendait avec l'héroïque capitaine. Peut-être, d'ailleurs, la mort est-elle arrivée à point pour lui? Aurait-il eu assez de courage pour ne point suivre le frère aîné dans ses égarements? (2).

Ce dernier avait trente ans, quand l'Histoire de la reine Marguerite de Valois (3) vint marquer ses premiers pas dans la vie littéraire. Il remplissait alors les fonctions de bibliothécaire à l'abbaye de Saint-Jacques de Provins. Les fatigues du professorat l'avaient contraint de renoncer à la chaire de rhétorique dans la maison de Sens. La fille de Henri II, la première épouse de Henri IV n'avait pas encore eu d'historien. Aux yeux de Mongez, « les bienfaits dont elle comblait les gens de lettres, la protection ouverte qu'elle leur accordait, les connaissances étendues qu'elle avait

(1) M. Walckenaer, Notice historique sur Antoine Mongez, Paris, 1849; Quérard, La France littéraire.

(2) Biographie universelle et portative des contemporains; et Nolice précitée.

(3) Paris, 1777, 1 vol. in-8.

elle-même », rendaient cet oubli impardonnable » (1). Sans doute, tout n'est pas digne d'éloge dans cette existence aux phases si diverses. Mais il incombe précisément à l'histoire de faire loyalement la part du bien et du mal. Et les critiques qu'elle inflige sont d'une aussi grande utilité que les louanges qu'elle décerne ou les approbations qu'elle donne. Henri IV comprenait cette haute vérité, lorsque dans une circonstance délicate il était lui-même en cause pour certaines fredaines de jeunesse -il répondait à son historiographe P. Matthieu « que les légèretés et les fautes des princes instruisent et qu'il est bon que la jeunesse reconnaisse les écueils qui rompent les amitiés, enflamment les animosités, afin qu'elle s'en détourne » (2). Le P. Mongez, en s'inspirant de cette pensée, voulut réparer l'oubli,

Ce vrai talent pour l'histoire (3) s'affirmait de nouveau en divers mémoires qui furent réunis et publiés en 1780 (4). Le P. Mongez était passé de la bibliothèque de l'abbaye de Provins au riche cabinet des antiques de Sainte-Geneviève. On lui en avait confié la garde. Sans aucun doute, ce poste contribua à développer son goût pour les choses d'érudition. Aussi, les trois dissertations du recueil roulaient-elles sur des sujets de cette nature: la première sur l'antiquité des hôpitaux que la Grèce et l'Italie païennes n'ont pas connus, mais qui se sont élevés sous le souffle de la charité chrétienne (5); la seconde, lue à l'académie des inscriptions, le 31 juillet 1778, sur l'usage des vases lacrymatoires qui n'étaient pas destinés, comme on le croyait généralement

(1) Préface,

(2) Ibid.

(3) Ainsi parlait le Journal des Scavans, septembre 1778, p. 601, dans le compte rendu du travail historique.

(4) Mémoires sur divers sujets de littérature, Paris, 1 vol. in-8.

(5) « Il était, disait-il, réservé à cette religion sublime, qui regarde tous « les hommes comme les membres d'une même famille et qui tient comple

« du plus léger secours donné aux malheureux, d'apprendre aux législa teurs ce qu'on doit à l'humanité souffrante. » (Ibid., p. 11.)

alors, à recueillir les larmes versées aux funérailles par les parents et les pleureuses, mais bien à renfermer les baumes qu'on répandait sur le bûcher ou les cendres des morts; la troisième sur le colosse de Rhodes, dont, à tort, la réalité a été mise en doute par le docte Muratori.

Un Discours, quatrième pièce du recueil, traitait cette double et curieuse question: Pourquoi le pays de Liège, qui a produit un si grand nombre de savants et d'artistes en tout genre, n'a-t-il vu naître que rarement dans son sein des hommes également distingués dans la littérature française; et quel serait le moyen d'exciter et de perfectionner le goût dans une langue qui doit être celle du pays. La question avait été posée, en 1780, par la société d'émulation de la capitale même du pays. Dire la principale cause, c'était, à la fois, indiquer le principal remède aux collèges de Liège et de Louvain, en vertu d'un ancien usage, non seulement les classes se faisaient en latin, mais les élèves devaient se servir de cette langue pendant les récréations; routine fatale avec laquelle il fallait savoir rompre jusque dans les cours de théologie, car, les écrits de Bossuet et d'Arnauld, de Nicole et de Mésenguy autorisent l'assertion, cette science ne perdrait certainement pas à l'adoption de la nouvelle mesure.

Pour nous, l'affligeant avenir du génovéfain se révèle déjà quelque peu à la lecture de deux pages du Discours. Voulant rendre hommage aux Liégeoises qui tenaient à élever leurs enfants, n'a-t-il pas écrit ces mots : « Dociles « à la voix de la nature, elles n'ont jamais négligé le plus sacré des devoirs des mères. Ce n'est point pour elles « que l'immortel Rousseau composa son Émile; ce n'est point à Liège, mais à Paris qu'il produisit la plus heu<«< reuse des révolutions. » Et, un peu plus loin, ne rencontrons-nous pas encore sous sa plume cette étrange proposition: «Peut-être même, les honneurs prodigués << exclusivement à la théologie ont-ils été la cause de

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« l'asservissement de l'Europe sous le joug de l'igno«rance (1). »

Un prix avait été proposé. Le Discours le disputa sans l'obtenir.

Mongez fut mieux partagé à l'académie de Cassel. Mais aussi s'agissait-il d'une étude archéologique. L'antique cité *de Persépolis tel était le sujet proposé par l'académie allemande ou flamande, car la ville n'est désignée que par son nom propre. Toutefois il y a lieu d'opiner pour l'ancienne capitale des Morini. Au Mémoire du génovéfain fut décerné la palme (1781). Le Mémoire fut revu et complété ensuite, pour être lu à l'Institut, classe de littérature et beaux-arts (3 brumaire, an VII) (2).

Une palme plus glorieuse était réservée à l'érudit. L'académie des inscriptions avait mis au concours ce sujet : Quels furent, chez les différents peuples de la Grèce et de l'Italie, les noms et les attributs de Pluton et des divinités infernales, Proserpine exceptée, comme ayant fait partie d'un autre sujet. L'académie invitait à rechercher aussi

(1) Ibid., p.p. 68, 79.

(2) Il est imprimé dans le toine III, p.p. 212 et suiv.

Selon M. Walckenaer, cet ouvrage serait devenu « le précurseur de ces grandes découvertes faites en Babylonie et en Perse, qui, dans ce siècle, sont comme un nouveau monde ouvert aux pacifiques conquêtes de l'èrudition. » (Notice..., p. 12.) Ceci nous paraît un peu exagéré. Plus de vingt années auparavant, le comte de Caylus écrivait sur les ruines de Persépolis. Son Mémoire, après avoir eu, en 1758, les honneurs de la lecture au sein de cette académie des inscriptions et belles-lettres, prenait place, par un résumé substantiel, dans le tome XXIX de l'Histoire de l'érudite compagnie. Le célèbre archéologue établissait que l'ancienne capitale de la Perside est aujourd'hui Chelminar et qu'elle a subsisté longtemps après Alexandre; puis, donnant la description des ruines, il s'appliquait à démontrer que ces ruines n'appartiennent point à l'ancien palais des rois de Perse. Mongez, d'ailleurs, rend lui-même justice au travail de M. de Caylus, tout en contestant plusieurs de ses assertions.

:

Le sort de Persépolis arrachait ce cri à Mongez devant l'assemblée académique « Puisse la cité que nous habitons, cette cité aujourd'hui le berceau de la liberté française et bientôt peut-être celui de la liberté de « toute l'Europe, cette cité qui répare chaque jour avec tant d'avantage les pertes inséparables d'un changement de gouvernement, puisse-t-elle « n'éprouver jamais le sort de Persépolis! » (Mémoire, ibid., p. 213.)

quels ont été les statues, les tableaux célèbres de ces divinités et les artistes qui se sont illustrés par ces ouvrages. Deux fois le prix proposé avait dû être remis. Le génovéfain prit la plume, et son Mémoire mérita d'être couronné. C'était en 1783 (1).

Cette étude témoignait de connaissances étendues. Une autre vint, la même année, montrer que dans Mongez l'érudit était doublé de l'observateur.

Que fallait-il penser du chant des cygnes ? Ce chant mélodieux, disait-on jadis, n'avait-il existé que dans l'imagination de ceux qui le célébraient? Ou bien, si c'était jadis une réalité, pourquoi a-t-il pris fin, ou pourquoi les oreilles des contemporains n'en étaient-elles plus frappées ? Un académicien venait de formuler le jugement, que les anciens avaient fait chanter les cygnes comme ils avaient fait parler les bêtes. Devait-on compter cette décision comme souveraine? Le P. Mongez avait du mal à s'y résoudre. Mais comment en formuler une autre? Sur quelles données s'appuyer pour cela?

Or, voici qu'il apprit l'existence, à la ménagerie de Chantilly, d'une espèce de cygnes chantants. Il s'y rendit avec le prieur de l'abbaye de Saint-Vincent de Senlis. L'inspecteur leur fit longuement l'historique de ces oiseaux d'origine étrangère. Ils étaient alors au nombre de six, le père, la mère et une couvée de quatre jeunes cygnes d'un an. Mais chantaient-ils? Les visiteurs désiraient vivement constater le fait. L'emploi d'un stratagème le leur permit. Une oie domestique fut apportée sur le bord du bassin des cygnes. Aussitôt ceux-ci s'avancèrent, le père à la tête, pour livrer bataille. On retira l'oie; et les deux anciens, en se plaçant en face l'un de l'autre, de chanter, comme pour célébrer leur victoire. La chose se répéta trois ou quatre fois. « Le

(1) Académie des inscriptions, tom. XLV, Histoire, p. 10. Le Mémoire n'a pas été imprimé.

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