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Mieux une pierre est équarrie,
Plus elle s'unit fortement (1);

mais lui jurer le plus fidèle attachement :

Sainte union qui nous enflamme
Du feu le plus pur, le plus doux,
Domine toujours sur nos âmes;
En l'unité consomme-nous;

Mes frères, je vous jure
La plus constante affection
Daignez aussi ne me jamais exclure

De votre parfaite union;

mais la célèbrer sur ce ton dans son chef, le duc d'Orléans :

Il se montra partout tel qu'il est en effet,

De bienfaisance un modèle parfait,
Digne du sang qui l'a fait naître,

Du grand Henri digne héritier.

A juger par plusieurs lettres que nous avons également eues entre les mains, le religieux-maçon jouissait même d'un certain crédit auprès du grand-orient de France. De divers côtés, surtout des colonies, on s'adressait à lui pour

(1) Cette sorte de romance a pour refrain:

L'amitié la plus tendre

De l'art est la perfection;

Tout vrai maçon, tout bon frère doit tendre

A la plus parfaite union.

Ces pièces et plusieurs autres en l'honneur de la Franc-Maçonnerie se trouvent à la Biblioth. Sainte-Geneviève, Recueil ms. Z. fr., in-4.

Elles attestent, à la fois, que Pingré ne renonça jamais à la rime. La poésie conservant pour lui des attraits, la plume de l'astronome cessait parfois de tracer des formules et de consigner des observations pour écrire des vers plus ou moins élégants.

Si le génovéfain revenait volontiers à ses premières amours, la poésie, il ne parait pas avoir oublié les secondes qui avaient, à leur tour, prit une large place dans son âme : nous entendons le jansénisme. N'est-ce pas lui qui, en 1756, sous la rubrique d'Amsterdam, se fit l'éditeur des Mémoires de M. l'abbé Arnauld, fils d'Arnauld d'Andilly et, non moins que le père et les autres Arnauld, inféodé à la nouvelle secte? Mais il serait injuste de ne pas ajouter qu'il travailla, en même temps, pour la science historique, car ces Mémoires renferment de curieux détails qu'on chercherait vainement ailleurs.

obtenir le bienfait de l'affiliation, la faveur de quelques décisions ou concessions désirées. Ces lettres sont signées : La Nux, Lourde-Martignac, Tanguy de la Boissière, SainteCroix, personnages occupant, en différentes carrières, une situation élevée (1).

Pingré trouvait aussi des loisirs à consacrer aux études maçonniques. La Nux, membre du conseil supérieur de l'île de Bourbon, ne lui mandait-il pas, le 15 octobre 1776, au moment où cet insulaire s'occupait d'établir une loge pour le quartier Saint-Paul de la colonie :

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« Monsieur et très cher et très respectable frère, «Par la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire, le «< 30 avril dernier, je vous ai accusé la réception de la « vôtre, en date du 12 septembre 1773, ainsi que de la « brochure contenant le précis en deux parties des travaux maçonniques que vous avez faits depuis la ré«forme jusqu'alors, et dont je vous prie de recevoir mes « très sincères remerciements, en vous protestant de la « discrétion dont vous m'avez cru capable... Par votre « lettre du 12 septembre 1773, vous me promettiez de plus amples instructions que celles contenues en ladite brochure, car vous me dites: Quant à ce qui regarde « les colonnes J et B, je ne puis pour le moment vous satisfaire; mais ce qui est différé, n'est pas perdu. Or, mon « cher frère, je n'ai rien reçu ni vu depuis cette lettre... (2). »

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(1) Tanguy de la Boissière était procureur à Saint-Domingue, et SainteCroix chevalier de Saint-Louis et colonel d'infanterie.

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(2) Au sujet de l'influence maçonnique de Pingré, transcrivons encore cet autre passage de la missive : « Nous prenons le parti, sauf votre «< approbation, de vous prier de nous aider de votre crédit auprès du grand-orient pour nous faire avoir une constitution pour le quartier « Saint-Paul... En conséquence, nous allons vous envoyer un pouvoir « en blanc, aux fins de présenter au grand-orient et où de droit toutes « requêtes, mémoires et autres demandes qu'il appartiendra, pour obte« nir une constitution de loge maçonnique pour être installée à l'orient « du quartier Saint-Paul de celle Ile de Bourbon. Nous ne ferons pas a la requête par la raison que nous ignorons la formule. Mais les senti«ments de bienveillance que vous avez pour nous, nous persuadent qu'en

Nous ne plaidons pas les circonstances atténuantes. Autrement nous nous demanderions si Pingré se rendait bien compte des choses, s'il ne les voyait pas, au contraire, à travers le prisme de ses naïves illusions. Cette pensée nous serait inspirée, non seulement par les poésies dont nous avons détaché pour le lecteur quelques fragments, mais aussi par des discours qu'il a prononcés dans des réunions maçonniques et qui nous sont également tombés sous la main (1). Ici, comme là, c'est la sagesse, la fraternité, la vertu dont il est tout spécialement question. Nous n'insistons pas. Les décisions de l'Église devaient suffire pour déchirer les voiles, dissiper les ombres.

Notre étonnement de tout à l'heure sur le signe du temps. demande à être accentué davantage. Le P. Pingré n'était pas le seul génovéfain qui prît rang parmi les frères! Une de ces lettres maçonniques devait être remise, en l'absence du destinataire, à un personnage déjà nommé, « à Monsieur Lefebvre, chanoine de Sainte-Geneviève, procureur général de la Congrégation de France, à l'abbaye du Mont à Paris ». Cette lettre, écrite par Lourde-Martignac, porte la date du 9 février 1788. L'illustre abbaye comptait-elle d'autres enfants égarés? Nous serions d'autant plus autorisé à adopter la négative, que la susdite missive de La Nux était adressée, en l'absence de Pingré et de <«< crainte d'événements », au baron de Toussaint (2). Mais nous avons

«vous donnant le pouvoir de la faire, ce sera la même chose. Si vous « obtenez cette faveur pour nous, vous voudrez bien nous procurer les «< instructions nécessaires avec les ornements et ameublements ou ten«<tures et les trônes qui conviennent à chaque grade, les bijoux, tabliers, « cordons, flambeaux... »

(Même Recueil ms.)

(1) Parmi ces documents, nous avons remarqué un reçu pour 24 livres, chiffre de la souscription de Pingré à l'emprunt de 9.000 livres, voté par l'assemblée du grand-orient. Le lieu et la date sont ainsi indiqués : « A « Paris, le premier jour de la seconde semaine du premier mois de l'an « de la vraie lumière, cinq mil sept cent soixante-quatorze.» (Même Recueil.)

(2) Dans même Recueil.

un document plus convaincant. C'est le Tableau des officiers et membres de la R.. L.. de Saint-Jean, sous le titre distinctif des cœurs simples de l'étoile polaire (1). Sur ce Tableau les noms de Pingré et de Lefebvre sont inscrits en toutes lettres avec la qualification de chanoines réguliers. Mais ce sont les seuls en tant qu'appartenant à des génovéfains. Par contre, nous y avons vu figurer le nom d'un sieur Baudeau, vicaire général du prince-évéque de Vilna.

La révolution trouva Pingré à la fin de sa vie et de sa carrière de savant. Ce n'est pas qu'il eût perdu ses habitudes de travail. Mais il ne produisit plus d'œuvres (2). Maintenu bibliothécaire de Sainte-Geneviève ou du Panthéon, nommé de nouveau membre de l'académie des sciences à la formation de l'Institut, Pingré mourut, le 1er mai 1796, âgé de plus de 84 ans.

Grand astronome, poète par goût, écrivain facile, jansé niste ardent, rimeur léger de scrupules, moins prêtre que savant, moins religieux qu'homme du monde, théologien aux idées peu saines, catholique à la conduite doctrinalement peu correcte, voilà, en quelques mots, si l'expression est permise, le bilan biographique de celui que nous devons saluer comme une des gloires les plus brillantes, mais non des plus pures de Sainte-Geneviève.

(1) Ce tableau est imprimé et conservé à B. S. G. dans le Recueil intitulé: Franc-Maçonnerie.

(2) Au commencement de 1796, écrivait La Lande, « je lui demandai << s'il pouvait encore calculer l'orbite de la comète qu'il avait déjà observée; « il l'essaya, mais il me dit que cela lui paraissait pénible. C'était la « première fois qu'il trouvait quelques difficultés à un ouvrage difficile. » Le même historien nous apprend que, dès quatre heures du matin, le vieil astronome se livrait à ses calculs abstraits. (Bibliogr. astron., p. 778.)

II

LES DEUX MONGEZ

ANTOINE (1747-1835), JEAN-ANDRÉ (1751– >

Une famille de négociants de Lyon donna à la Congrégation de France, dans deux de ses enfants, deux membres dont l'un fut distingué et l'autre célèbre.

Cette famille, qui avait nom Mongez, comptait déjà, comme savants : du côté paternel, Louis Gérard, botaniste et propagateur de la méthode naturelle de Bernard de Jussieu; du côté maternel, l'abbé Rozier, agronome de renom et écrivain vulgarisateur. Un jésuite, excellent professeur de rhétorique, plus connu sous le nom de l'abbé Mongez (1), appartenait aussi à la ligne paternelle. Le père des deux futurs génovéfains était lui-même versé dans la connaissance des langues savantes.

y

Ce dernier plaça au collège de Lyon son fils Antoine qui fit toutes ses classes jusqu'à la philosophie inclusivement. Le père songeait au commerce pour le jeune homme. Celui-ci préféra l'étude et l'état religieux. Selon le conseil de son oncle, l'abbé Rozier, il entra dans la Congrégation de France (1763). Le noviciat se fit à la maison de SaintIrénée de cette antique et grande cité. On rapporte que la passion du novice pour le grec lui faisait parfois interrompre les exercices de la probation religieuse, afin de savourer la lecture des poètes qui ont écrit dans la langue d'Homère. Surpris par le maître, il dut remettre à plus tard la lecture favorite. Après le noviciat, il compléta au

(1) C'est le nom qu'il porta, après la suppression de l'ordre, comme chanoine prébendé de la cathédrale de Lyon, comme bibliothécaire, historiographe et académicien de la même ville.

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