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avait un autre projet : l'abbaye se trouvait vacante par la mort de Fitz-James, évêque de Soissons; ne pouvait-on pas, en le nommant, imposer au nouveau titulaire la retenue annuelle d'une somme assez ronde, pour suffire aux réparations? Le projet sourit au roi qui, après l'avoir fait examiner, le mit à exécution. « Mais, comme il arrive souvent << dans les cours, un autre s'attribua la gloire de l'avoir « conçu. » Cette retenue annuelle fut fixée à dix mille livres.

Le roi ne limita pas à des paroles le témoignage de sa satisfaction. Il nomma le docte bibliothécaire, en récompense des services que ce dernier avait rendus aux lettres, à l'abbaye de Saint-Léger de Soissons (1).

Nous le disions plus haut, l'entrée de Mercier à SainteGeneviève ne paraissait pas le résultat d'une vocation vraiment religieuse. Sa sortie ne devra qu'assez peu nous surprendre. Précédemment, mais momentanément, il avait déjà quitté l'abbaye. Ce devait être peu de temps après avoir été adjoint comme second bibliothécaire au P. Pingré. Tout cela ressort de ce passage d'une lettre inédite et non datée du P. Marsan à ce dernier (2).

En 1772, la sortie fut définitive. Quelle fut la cause de cette séparation?« A la suite de quelques tracasseries, dit << son historien et ami, dont aucune congrégation, aucun << ordre religieux n'étaient exempts, il remit la bibliothè

(1) Notice, dans Mélanges, p. 245-247; Les anciennes biblioth. de Paris, par A. Franklin, tom. I, Paris, 1868, p. 168.

(2) «Je demande grâce au Révérendissime Père et aux autres supérieurs « pour le P. Mercier; je n'ignore pas qu'il lui a donné et à vous quelques << sujets de mécontentement; je lui ai donné là-dessus des avis qu'il a très << bien reçus; il m'a promis d'y faire une sérieuse attention. Je le crois en « état de vous seconder dans vos travaux de la bibliothèque. Je pourrois « être sa caution que les supérieurs et vous en serez plus contents. Ne « doit-on pas pardonner quelque chose à la jeunesse, quand elle est accom« pagnée de bonnes mœurs et de capacité? Sa sortie de Sainte-Geneviève <«< ne lui aura fait que du bien par les réflexions qu'elle lui aura donné << occasion de faire.» (B. S. G., ms. fr. Z., in-4, Recueil de let. du P. Marsan au P. Pingré.)

«que à Pingré, quitta la maison et prit un appartement « particulier (1), » Il nous semble que ce fut un second coup de tête. Mais, cette fois le génovéfain ne voulut pas venir à résipiscence. La congrégation l'espérait sans doute; car, usant à son égard de ménagements, elle lui conserva, au moins deux années, le bénéfice de Saint-Pierre de Montluçon, prieuré-cure dont elle l'avait précédemment constitué titulaire, Pour lui, il préférait se faire admettre dans un autre ordre. Il jeta même les yeux sur celui de Malte, et travailla en haut lieu à s'en ménager l'entrée. Voilà bien ce que nous apprend une lettre autographe que nous possédons (2). Quelle qu'en fût la cause, le projet n'eut pas de suite. Mais, si Mercier continua à vivre en dehors de la congrégation, sans entrer dans un autre ordre, tout porte à croire que sa situation dut enfin obtenir, par les dispenses nécessaires, la régularisation canonique.

Ce que nous avons fait pour Le Courayer, nous devons le faire pour Mercier la loi imposée par le cadre de nos études réapparaît ici.

L'ex-génovéfain, comme c'était son droit, ne cessa de tenir en commende l'abbaye de Saint-Léger de Soissons, De là le titre sous lequel l'illustre biographe se présente généralement à l'histoire, celui d'abbé de Saint-Léger,

Cette célébrité que l'avenir fit éclore et épanouir, la noble congrégation en fut le germe fécondant: « Rendu à luimême, continue l'historien précité, il se livra tout entier << aux travaux qu'il avait préparés à Sainte-Geneviève (3).

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(1) Notice, dans Mélanges..., p. 247.

(2) La lettre porte cette seule date: «< Paris, 28 septembre. » Mais, puisque - la lettre le dit - M. de Vergennes était alors ministre, elle ne peut avoir été écrite avant 1774, année où ce diplomate fut appelé par Louis XVI au ministère des affaires étrangères.

(3) Le premier ouvrage que produisit la plume de Mercier après sa sortie de Sainte-Geneviève fut l'intéressant Supplément de l'Histoire de l'imprimerie par Prosper Marchand (Paris, 1773, in-4).

De temps en temps, les presses initiaient le public aux érudites investigations de Mercier : en 1775, un avertissement et des notes accompagnaient

la Dissertation de l'abbé de Ghesquière sur l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ (Paris, in-12); en 1783, trois Lettres, adressées au baron de Heiss sur différentes éditions rares du xve siècle, formaient une brochure de quarante pages (Paris, in-8); la même année, l'écrivain donnait une analyse du Livre du très chevalereux comte d'Artois et de sa femme, fille du comte de Boulogne (in-12); deux ans plus tard, c'était le tour de la Notice raisonnée des ouvrages de Gaspar Schott, jésuite, contenant des observations curieuses sur la physique expérimentale, l'histoire naturelle et les arts (in-8).

D'importants articles étaient fournis aux principaux journaux de l'époque. (Voir Année littéraire, 1775, tom. III, p. 19, tom. IV, p. 217, tom. VIII, p.p. 44 et 319; Journal des Sçavans, avril 1784, p. 229, août et décembre, 1785, p.p. 563 et 801; Journal de Paris, 28 août 1780; Journal général de France, 10 février 1787...)

C'est sans doute par sa collaboration, purement littéraire, à l'Analyse des papiers anglois, que l'abbé de Saint-Léger se trouva en rapport avec le comte de Mirabeau : une note rectificative était communiquée à ce dernier relativement à une assertion de la brochure, Réponse aux alarmes des bons citoyens; et cette note placée dans le second tirage et à la fin de l'opuscule.

Un des premiers actes de l'assemblée nationale fut la spoliation du clergé, décret d'une iniquité révoltante, et qui, au milieu de la discussion, arracha ce cri à Sieyès : « Ils veulent être libres, et ne savent pas être justes!» Mercier défendit la bonne cause dans le Journal de la ville et des provinces (no 24, p. 95, art. du 21 octobre 1789, sous le nom : un abonné). Après le clergé, il prit la défense des religieux par une Lettre de M***, négociant de Rouen, à dom ***, religieux de la Congrégation de SaintMaur... (1789, in-4, datée du 24 décembre 1789). La constitution civile du clergé, faisait tomber de sa plume ces vertes paroles: «< comme si le « cœur et l'âme des évêques et prêtres constitutionnels pouvoient jamais « être à l'unisson du cœur et de l'âme des catholiques!» (Journal général de l'abbé Fontenay, 9 septembre 1791).

Dépouillé de ses revenus ecclésiastiques, ayant pour tout avoir vingtquatre mille francs, placés en rentes viagères chez son ami AnissonDuperron, qui ne put même toujours remplir son engagement, le docte vieillard, lui qui si longtemps avait cultivé les lettres par amour des lettres, se vit contraint de leur demander des ressources pour l'existence. De là, pensons-nous, certains travaux qui sont sortis de sa plume pour être placés en tête d'œuvres assez légères : ainsi du Mémoire qui précède le roman des Affections d'amour (Paris, 1797), de la Notice historique et bibliographique sur les Lettres portugaises (Paris, 1796), et même de la Préface pour la seconde édition du Voyage du Valon tranquille (Paris, 1796).

L'étranger se montrait plus généreux que la France. Pendant que la convention accordait à Mercier mille cinq cents francs en assignats (3 janvier 1795), Pie VI, George III d'Angleterre, les villes de Varsovie et de Milan essayaient, par les propositions les plus avantageuses, d'attirer à eux le savant qui préféra sa patrie avec la pauvreté.

La révolution qui avait frappé Mercier dans sa fortune, par des lois spoliatrices, et dans plusieurs de ses amis, aux massacres de septembre,

devait le frapper encore dans son existence. Le 7 juillet 1794, se trouvant en face d'un de ces chars, qui conduisirent tant de victimes à la mort, il leva la tête et y aperçut l'abbé Royer, son intime ami. Le coup fut mortel. A partir de ce jour, la santé, jusqu'alors robuste, de Mercier déclina sensiblement; on peut dire que sa vie fut une marche, lente encore, mais pénible, douloureuse vers le terme fatal, qui fut touché le 13 mai 1799.

Il paraît bien que, durant la période révolutionnaire qu'il venait de traverser, Mercier n'avait pas su se maintenir à la hauteur de ses devoirs de prêtre la récitation du bréviaire et la célébration des saints mystères avaient été laissées de côté; l'assistance à la messe, les dimanches et fêtes, n'était même pas régulière. M. l'abbé Emery contribua beaucoup à le faire revenir à des idées plus saines, et une fin chrétienne répara de coupables oublis. (Vie de M. Emery, par M. Gosselin, Paris, 1861, tom. I, p. 418-422.)

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A quoi tient ce qu'on appelle les vocations littéraires ou scientifiques? Une occasion ouvrit devant Pingré, théologien plus habile que profond, humaniste au goût cultivé, les voies à la célébrité astronomique.

Alexandre Pingré, en sa qualité de janséniste, avait, au chapitre général de 1745, pris place parmi les opposants. On jugea bon de l'enlever à la chaire de théologie qu'il occupait dans une maison de la Congrégation de France. On le destina à l'enseignement des humanités, fonctions qu'il remplit successivement aux collèges de Senlis, de Chartres et de Rouen (1).

Le collège de Senlis lui rappelait ses brillants succès d'écolier. Originaire de Paris (4 septembre 1711), le jeune Pingré avait été placé dans cette maison justement renommée (1727). La vivacité de son esprit, sa prodigieuse

(1) La Lande, Bibliographie astronomique avec l'Histoire de l'astronomie depuis 1781 jusqu'à 1802, Paris, 1803, in-4, p. 774.

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