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Les chanoines de Toussaint seront placés dans des monastères de la congrégation pour y faire un noviciat d'un an, après lequel ils renouvelleront leurs vœux;

Ils seront remplacés dans le monastère par des chanoines de la congrégation;

Le P. Gallet fera sa démission de prieur.

Ces conditions furent loin de satisfaire le P. Gallet qui alors adopta complètement les desseins séparatistes de Solminihac. Requête fut même adressée aussitôt au cardinal pour lui demander de reconnaître trois congrégations de chanoines réformés avec les dénominations particulières de France, Guyenne et Anjou, et sous la direction, la première du P. Faure, la seconde de Solminihac et la troisième du P. Gallet. Ces congrégations auraient un supérieur général qu'on prendrait indifféremment dans leur sein. La requête fut rejetée (novembre 1632).

Dans ces conditions, le prieur de Toussaint ne pouvait pas être convoqué au chapitre général de 1634. Il en éprðuva un vif mécontentement. D'autre part, la communauté désirait l'union.

La résolution bien arrêtée du P. Guérin d'entrer à l'abbaye de Sainte-Geneviève amena le P. Gallet à Paris, assez peu de temps après la clôture du chapitre. Ses entretiens avec le cardinal et le P. Faure le gagnèrent complètement à la cause de la congrégation. Aussi, de retour à Angers, signail-il le 29 décembre 1634, au nom de la communauté, cet acte d'adhésion : « Nous vous décla<< rons que nous ne voulons être qu'un corps avec vous, ne << vivre que d'un même esprit et par les mêmes règles..., << vous reconnaissant, après Monseigneur le cardinal de La << Rochefoucauld, pour notre supérieur et général de l'or<< dre des chanoines réguliers de la congrégation de Sainte« Geneviève de Paris..., et, en tant qu'il est en nous ou << besoin serait, nous vous élisons pour tel, en cette qualité,

«

« vous suppliant de nous tenir pour vos enfants comme << nous vous reconnaissons pour notre père..... »

Mais les conditions imposées ? Il y avait bien là quelque point noir.

Le P. Faure prit le parti, en juillet suivant, de se rendre à Toussaint. « Il y fut reçu comme un ange envoyé du ciel pour y apporter la paix. » Les deux premières conditions furent légèrement modifiées en ce sens : les chanoines prenaient l'engagement de se rendre en d'autres. maisons de la congrégation, si le supérieur général jugeait à propos de les y appeler; et le renouvellement des vœux se ferait immédiatement. Quant au P. Gallet, il se démit de sa charge, pour prendre, comme les autres supérieurs de la congrégation, une simple commission de prieur.

Ceci se passait le 2 août 1635. L'union devenait donc enfin un fait accompli (1).

Malheureusement on ne put en dire autant de Chance

lade.

-

Élevé pour le monde, providentiellement destiné à l'Église, Alain de Solminihac avait vingt-deux ans il était né en 1593 lorsque son oncle, Arnaud de Solminihac, abbé de Chancelade, se démit en sa faveur. La résignation. fut approuvée du roi, et Rome expédia les bulles au nouvel abbé.

Chancelade, située à une petite lieue de Périgueux, était une abbaye fort ancienne, et tirait son nom d'une fontaine qu'entouraient des grilles de fer (fons cancellatus). D'abord simple retraite pour de pieux ermites, Chancelade adopta la règle de Saint-Augustin, en 1133, sous Gérald qui en fut le premier abbé. Cette abbaye compta de longues années de prospérité, peuplant de saints chanoines Fontenelles, au diocèse de Luçon, et donnant de zélés prieurs à plusieurs

(1) B. S. G., ms. fr. H. 173, in-fol., p.p. 382 et suiv.; ms. fr. H. 213, in-fol., p.p. 274, 283 et suiv; ms. fr. H. 21', in-fol., p.p. 78 et suiv., 340 et suiv., 417 et suiv.

maisons des diocèses de Périgueux, Bordeaux, Sarlat et Rodez. Mais déjà cette gloire était loin. Les guerres religieuses n'avaient laissé debout que l'infirmerie. Ces ruines. abritaient l'abbé avec trois chanoines dont le jeu et la chasse étaient la grande occupation (1).

Le jeune Alain conçut aussitôt le généreux projet de rendre à l'abbaye sa splendeur d'autrefois. Mais ses vingtdeux ans, son manque d'instruction, son ignorance complète de la vie religieuse, n'étaient-ce pas là autant d'obstacles insurmontables? Un sérieux noviciat d'une année, l'étude ardente des lettres, dans leurs rudiments comme dans leurs parties élevées, puis de la philosophie et de la théologie, la direction du P. Gaudier, de la compagnie de Jésus, la lecture des maîtres de la vie spirituelle et canonique, la visite des collégiales qui avaient mieux conservé l'esprit de l'ordre (2), telle fut la noble, mais ardue préparation de laquelle il attendait, Dieu aidant, par le triomphe sur les obstacles, le succès de la grande entreprise.

Un seul chanoine consentit à demeurer avec lui. Quelques novices vinrent combler les vides. La restauration matérielle, entreprise aussitôt, se continuait avec zèle. « Voilà un beau pigeonnier, mais où sont les pigeons que « vous y voulez mettre? » disait un jour à l'abbé l'évêque de Périgueux, en visitant la maison. « Il sera plutôt rempli que votre cathédrale achevée », répondit l'abbé (3). L'affirmation se vérifia. La cathédrale à laquelle on travaillait alors, attendait encore son achèvement longtemps après que Chancelade, où une foule de jeunes gens de Périgueux, Bordeaux, Limoges, Saintes étaient venus cher

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(1) Gall., tom. II, col. 1502; Chastenet, Vie de M. A. de Solminihac, Saint-Brieuc, 1817, p. 12-14.

(2) Nommons, en particulier, Saint-Vincent de Senlis, où il passa sep mois pour apprendre la pratique des saincts exercices de ces bons religieux, afin de les introduire en son abbaye de Chancelade ». (B. S. G., ms. fr. H. 213, in-fol., p. 102.)

(3) Vie de M. A. de Solminihac, p. 30.

cher les biens spirituels, comptait une famille nombreuse, offrant la louable réalité de la vie canonique (1).

Le moment ne tarda pas à venir où Alain de Solminihac allait vouloir assurer la durée de l'œuvre par de sages constitutions. Résumé de ce qu'il avait rencontré de mieux dans les statuts des divers ordres religieux, ces constitutions comprenaient seulement dix chapitres qui avaient pour objet les exercices de la journée, l'office divin, l'observance des trois vœux, l'homme intérieur, la mortification, le costume (2), les voyages, diverses pratiques de piété.

Deux points, cependant, restaient à régler pour le bien de l'œuvre. L'un regardait les bénéfices, l'autre l'abbé. Les bénéfices pourraient-t-ils être acceptés par les chanoines sans l'autorisation du supérieur, et l'abbé choisi en dehors de la réforme? Admettre l'affirmative mettait en péril, aux yeux d'Alain de Solminihac, la réforme elle-même. Il fallait donc consacrer la négative. La chose était facile pour les bénéfices à cet effet, un serment spécial fut imposé aux chanoines après les trois vœux. Mais la nomination de l'abbé qui appartenait au roi ? Une requête fut présentée à Louis XIII, qui renonça à sa prérogative, investissant le chapitre du droit de lui désigner pour la dignité abbatiale trois profès de ladite réforme, et prenant l'engagement de ne pas porter son choix sur d'autres.

L'agent d'une aussi admirable transformation fut salué

(1) L'abbé, modèle de régularité et visant à la perfection évangélique fit, en 1626, un quatrième vou, celui de chercher dans les affaires de quelque importance la plus grande gloire de Dieu : « Omnipotens sempi«terne Deus, ego frater Alanus de Solminihac..., voveo, coram sacratissima Virgine Maria et curia tua cœlesti universa, divinæ majestati tuæ, me <«< in praxi rerum et negotiorum quæ alicujus momenti esse videbuntur, « majorem tui nominis gloriam, quantum probabiliter judicare potero « semper quæsiturum curaturumque... » (Ibid., p.p. 37, 3.)

"

(2) L'habit ordinaire était « une soutane blanche et un scapulaire de lin large d'un demi-pied ». Au chœur, c'était « le surplis et l'aumusse ou une grande chape noire avec le camail, suivant la diversité des temps ». (Ibid., p.p. 132, 133.)

comme un des restaurateurs prédestinés de l'ordre canonique. Le cardinal de La Rochefoucauld le subdélégua, en 1630, pour visiter en son nom les maisons de chanoines. réguliers dans les diocèses de Périgueux, Sarlat, Limoges, Saintes, Angoulême et Maillezais. Un arrêt du conseil le nomma administrateur de La Couronne, en Angoumois, célèbre abbaye, jadis florissante (1), alors ruinée et déserte, mais appelée, par la réforme qui y fut aussitôt introduite, à une glorieuse résurrection. Saint-Gérald de Limoges (2) et Notre-Dame de Sablonceaux (3) en Saintonge recurent, à la même fin, des chanoines de Chancelade.

N'était-il pas juste que le réformateur devint le chef de ces communautés réformées ? Dans cette situation élevée, Alain de Solminihac pourrait aussi travailler plus efficacement à introduire le bon ordre dans les monastères voisins. Et, d'ailleurs, comment des monastères du Limousin, du Périgord, de la Guyenne, du Languedoc recevraient-ils de Paris une réelle et féconde direction?

Abandonné par le P. Gallet, l'abbé de Chancelade n'en

(1) Saint Bernard, écrivant au pape Eugène III en faveur de cette abbaye, qualifiait de saints les frères de La Couronne : «< Propter anxietatem sanctorum fratrum de Corona... » (Epist. CCLXVIII). Cette abbaye rattachait son origine à une ancienne église qu'avaient fait construire, dit-on, les enfants de Childebert II et qui était placée sous le vocable de Saint-Jean de Palue (S. Joannis de Palude). Au commencement du XIe siècle, un monastère fut construit dans un lieu voisin autour duquel les rochers formaient une sorte de couronne. De là le nom de l'abbaye. La vie commune s'y établit aussitôt sous la règle de Saint-Augustin. (Gal. christ., tom. II, col. 1043.)

(2) Saint-Gérald n'était que prieuré.

(3) Cette abbaye, qui datait également de la première moitié du XIe siècle, avait pour fondateur Guillaume X, duc d'Aquitaine. Elle était située non loin du cours et de l'embouchure de la Seudre, petite rivière dont le lit présente en cet endroit un sable abondant (fluit in loco sabuloso). Ce n'est pas sans vraisemblance qu'on fait dériver de là le mot latin: Sabloncellis, père du mot français: Sablonceaux. Les richesses de cette abbaye étaient autrefois considérables: « Opulentum sane fuit olim « hoc monasterium quod, in grangiis octoginta, totidem fratres conversos << numerabat. »(Gal., tom. II, col. 1131.)

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