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mières, avouant presque aussitôt la paternité de l'appréciation (1), il inscrivit son nom en tête de la troisième. Mais, ici comme là, il se montra critique compétent, judicieux, sévère, incisif, sans fausser pourtant le ton des convenances, sans enfreindre les lois de la courtoisie. En signalant les défauts du travail dans l'intérêt des lettres, il savait rendre justice aux louables efforts de l'auteur et reconnaître le mérite général de la publication (2).

L'année suivante vit éclore le second volume de la Bibliographie instructive. Le censeur royal, Claude Capperonnier, dans l'approbation donnée à ce volume, avait entendu faire justice des attaques dirigées contre le premier. Les Mémoires se bornèrent à enregistrer le double fait, l'apparition du nouveau volume et la chaude approbation du censeur, car comment être «< assez téméraire pour s'élever davantage contre un ouvrage si bien protégé » (3)?

En 1765, deux autres volumes de la Bibliographie; même approbation du censeur royal; même réserve des Mémoires. Pourtant, le censeur ayant fait parler Cicéron, dont il transcrivait ces paroles: «Nescio quo modo plerique <«<errare malunt, eamque sententiam, quam adamaverunt,

«

pugnacissime defendere, quam sine pertinacia quid << constantissime dicatur exquirere » (4), les Mémoires décochèrent ce trait : « Si nous connaissions aussi parfaitement << que M. Capperonnier les ouvrages de Cicéron, nous « pourrions, à l'exemple de ce censeur, en transcrire ici quelques passages qui l'intéresseraient beaucoup; mais « en nous rappelant la lettre sans réponse dont il était question tout à l'heure, il se présente un mot de l'orateur << romain, et, ne fût-ce que pour paraître avoir lu les bons

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(1) Mémoires de Trévoux, septembre 1763, p. 2242.

(2) Voir Mémoires de Trévoux, juillet 1763, p.p. 1617, et suiv., août 1763, p.p. 1994 et suiv., octobre 1763, p.p. 2407 et suiv. Ces lettres portent en suscription... aux auteurs de ces Mémoires.

(3) Ibid., juillet 1764, p. 375-378.

(4) Acad., lib. II, ou Lucullus, cap. ш.

<< auteurs, nous le citerons tout naturellement: Negligere « quid de se quisque sentiat, dit Cicéron (1), non solum arroa gantis est, sed etiam omnino dissoluti. Rapprochez ce << mot de cet autre d'Ovide :

« Si fueris censor, primo te crimine purgo (2). »

Les erreurs historiques n'appelaient pas moins l'attention, n'excitaient pas moins le zèle du P. Mercier que les oublis et les écarts en bibliographie. Ce n'est pas d'aujour d'hui que, par intérêt ou par malice, l'on s'étudie à mettre en défaut la science des archéologues. Le P. Colonia comp、 tait parmi les habiles dans la connaissance des objets antiques. De plus, c'était un jésuite. Double motif pour tenter une épreuve. Donc, quelques plaisants de Lyon le P. Colonia appartenait à la maison de cette ville s'avisèrent de prendre une urne, de faire graver dessus :

Ollam Severi Flaminis ne tangito,

l'enfouirent quelque temps à Aisnay, dépendance et sous les murs de Lyon, puis la retirèrent en faisant grand bruit de la découverte, et la portèrent au bon religieux qui ne manqua pas, sur leur dire et après examen, de s'extasier en contemplant la précieuse trouvaille. Un article sur l'antiquité et la parfaite conservation de l'urne qui remontait certainement à la domination romaine, et sur les graves renseignements historiques qui découlaient du fait, fut envoyé par le Père aux Mémoires de Trévoux et inséré dans le numéro de décembre 1724 (3). Le tour joué, les plaisants le firent connaître à un journal de Hollande, les Lettres historiques, qui publièrent, à ce sujet, une longue et curieuse missive. La chose était notoire à Lyon. L'abbé Expilly qui n'en avait pas eu connaissance, s'en était tenu, dans son Diction

(1) Offic. I, cap. xxvi.

(2) Mémoires..., novembre 1765, p. 1316-1322.

(3) Mémoires..., p. 2271.

T. II.

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naire (1), à l'article du P. Colonia. Il y avait là une erreur que le P. Mercier ne pouvait ne pas signaler en rappelant les faits. Il donna encore à la rectification la forme d'une lettre aux auteurs de ces Mémoires. Cette fois aussi, elle était publiée portant en tête le vrai nom du correspondant (2).

Le critique, à l'occasion, pratiquait l'éreintement littéraire. Chaudon venait de faire sortir des presses les deux premiers volumes d'un nouveau Dictionnaire historique. Il le présentait au public comme étant l'œuvre d'une Société de gens de lettres. Mercier, ayant eu la faveur des premiers exemplaires, s'empressa de prendre connaissance de l'ouvrage, en commençant naturellement par la Préface. Les précédents Dictionnaires historiques, celui de Ladvocat surtout, y étaient sévèrement appréciés. Ceci paraissait presque naturel, les nouveaux auteurs désirant préparer les voies à leur élucubration. Mais quelle ne fut pas la surprise du critique qui croyait trouver là une œuvre magistrale et de première main, lorsqu'il constata: 1° que des articles entiers étaient pris textuellement dans le Dictionnaire même de Ladvocat; 2° que d'autres, venant de la même source, n'offraient que de légères modifications; 3° qu'il n'y avait pas la moindre indication de la provenance. Mais les articles nouveaux? Ceux-ci, le critique l'avait également constaté, fourmillaient, ou de bévues sur les hommes et sur les choses, ou de fautes typographiques. Délit littéraire d'une part, inadvertances de l'autre, tout cela fut relevé, exposé, prouvé sous le couvert du correspondant pseudonyme: Font*** de Ri*** (3).

Le P. Mercier consacrait aussi un article à une question alors vivement débattue, l'authenticité du Testament poli

(1) Le 1er volume du Dictionnaire géographique, historique et politique de la France, volume où se trouvait l'article : Aisnay, venait d'être publié cette même année 1763.

(2) Mémoires de Trévoux, sept. 1763, p.p. 2234 et suiv.

(3) Lettre aux auteurs de ces Mémoires, Mémoires..., février 1766, p.p. 436 et suiv. (Voir Barbier, Dictionnaire... n° 9892.)

tique du cardinal de Richelieu. Dès 1749, Voltaire s'était prononcé pour la négative. Mais ce ne fut pas sans susciter immédiatement des contradicteurs, parmi lesquels il faut citer les Mémoires de Trévoux et l'académicien Lauréault de Foncemagne. Les Mémoires insérèrent, en février 1750, une réfutation (1) et, la même année, l'acadé micien publia une lettre. La réfutation, la lettre surtout renfermaient de solides raisons en faveur de l'affirmátive. Voltaire cependant revenait aussitôt à la charge en son Oreste. Nouvelles observations des Mémoires (2). Réplique, mûrie plusieurs années, mais péremptoire, de Lauréault de Foncemagne (3) qui donna même une nouvelle édition corrigée, complétée, annotée, la meilleure, sous tous rapports, de celles publiées jusque-là, du fameux Testament. C'est l'édition de 1764 in-8 (4). A tout cela Voltaire opposa des Doutes nouveaux (5). La grave question, portée ainsi devant le public, pouvait être d'autant moins passée sous silence dans les Mémoires, qu'ils se trouvaient eux-mêmes engagés. Elle y prit donc place. par la plume du P. Mercier (6). Plus timide que les anciens rédacteurs, ce dernier estima que, dans l'état de choses,

(1) Mémoires..., p. 344.

(2) Mémoires..., mai 1750, p. 1133.

(3) Lettre sur le Testament politique...imprimée pour la première én 1750 et considérablement augmentée dans cette seconde édition, 1764, in-8. Elle était tellement augmentée qu'elle pouvait être considérée comme une seconde lettre.

(4) La Lellre... augmentée de Foncemagne prenait place à la suite de cette édition.

(5) 1765, in-8. Ils sont datés par Voltaire lui-même d'octobre 1764 (France litt., art. Voltaire, no 263). Déjà donc les ouvrages imprimés à la fin d'une année pouvaient porter le millésime de l'année suivante.

(6) Mémoires..., janvier 1765, p.p. 145 et suiv.

Pour les articles non signés, nous avons surtout puisé nos renseignements dans la Nolice raisonnée des ouvrages, lettres, dissertation, etc., publiés séparément ou dans divers journaux, depuis l'année 1760 jusqu'en 1799, rédigée en partie par lui-même, c'est-à-dire par Mercier. Cette Notice a pris place, par les soins de M. Ch. de Chenedollé, dans le Bulletin du bibliophile belge, tom, IX, 1re sér., p.p. 60, 156, 261, 327, 402, 456, et tom. I, 2o sér., p. 64.

la prudence et la réserve s'imposaient, laissant à l'avenir le soin de décider. L'avenir fut meilleur juge: il donna raison à Foncemagne.

Après la cérémonie de la pose de la première pierre de la nouvelle église de Sainte-Geneviève, Louis XV avait voulu visiter la belle bibliothèque de l'abbaye. C'était en septembre 1764. Le P. Mercier fit au roi, en admirable connaisseur et à la grande satisfaction de Sa Majesté, les honneurs du riche établissement dont il avait la direction. Il avait fait réunir et disposer sur des tables les volumes les plus curieux. Le roi passa plus d'une heure à les examiner, les uns après les autres, se faisant expliquer les signes caractéristiques de chacun. « Bignon, ai-je ce livre dans ma bibliothèque », demandait parfois le roi. Bignon était bibliothécaire royal. Mais Bignon se voyait forcé de garder un silence prudent. Mercier prenait alors la parole, et c'était parfois pour répondre négativement.

Parmi les ouvrages les plus remarqués par Louis XV, se trouvait la Bible de Sixte-Quint, sortie des presses du Vatican, en 1590. Quelque temps après, le roi, venant d'entendre la messe, traversait la grande galerie de Versailles. Le bibliothécaire de Sainte-Geneviève avait pris place parmi les spectateurs. Aussitôt que le roi l'aperçut: « Choiseul, << dit-il, en se retournant vers son premier ministre, à << quels signes reconnaît-on la Bible de Sixte-Quint? >> Sire, je ne l'ai jamais su », reprit le ministre surpris d'une pareille question. Et le roi de le dire aussitôt, montrant bien qu'il n'avait pas oublié la leçon reçue à SainteGeneviève.

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Pendant la royale visite à l'abbaye, le P. Mercier avait eu soin d'attirer l'attention de Louis XV sur une autre bibliothèque, celle de Saint-Victor, dont les bâtiments délabrés exigeaient une prompte réparation. Sans doute, à la suite de la désastreuse guerre de sept ans, il était difficile de demander au trésor de se charger des dépenses. Mercier

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