Page images
PDF
EPUB

<< répondre aux questions qui leur étaient faites sur la « science, qu'ils cultivaient avec tant de fruit et de gloire ; . Arcades ambo

Et cantare pares ac respondere parati.

<< Ces deux hommes, que le lecteur instruit a déjà nommés, « étaient Barthélemy Mercier, ex-bibliothécaire de SainteGeneviève, connu de toute l'Europe savante, sous le nom « d'abbé de Saint-Léger, et l'abbé Morelli, bibliothécaire « de Saint-Marc à Venise. »>

«

Ainsi s'exprimait, au lendemain de la mort de Barthélemy Mercier, Chardon de la Rochette, en commençant la Notice qu'il consacrait au savant bibliographe (1).

Ce dernier fut donc un fils de Sainte-Geneviève. Sa vocation à la vie canonique paraît avoir été plus humaine que divine, plutôt inspirée par la louable ambition de la science que déterminée par un véritable amour de l'état religieux : « La passion de l'étude, continue le biographe, le « désir ardent du savoir lui firent donner la préférence à « une congrégation riche en hommes instruits, en bibliothè-. «ques, en moyens de tous genres (2). » Cet enfant de Lyon, il y était né le 4 avril 1734 - appartenant à une honorable famille de la grande cité, entrait dans l'antique abbaye à quinze ans, et, à seize, était admis à la profession. Envoyé à l'abbaye de Chatrices, pour y compléter ses études littéraires et philosophiques, avant d'aborder la science maîtresse, la science de la théologie, il eut le bonheur d'y rencontrer un vénérable prélat, non moins érudit que pieux, autant protecteur des lettrés qu'ami des lettres, Jean de Caulet, évêque de Grenoble, qui, titulaire de l'abbaye, y venait, chaque année, retremper son âme dans

(1) Notice sur la vie et les écrits de l'abbé de Saint-Léger. Cette Notice, publiée en 1799 (Magasin encyclopédique, Ve année, tom. II, 1799, p. 152), a pris place dans les Mélanges de critique et de philologie du même auteur, Chardon de la Rochette, Paris, 1812, in-8, tom. II, p. 241.

(2) Ibid., dans Mélanges, p. 242.

la retraite, et fortifier ou accroître ses connaissances par un travail plus libre, mieux soutenu. La large et prompte intelligence de l'étudiant frappa le prélat qui le prit en affection. Ce fut là pour le jeune Mercier l'occasion, sinon le principe d'une vocation littéraire. Chargé de la bibliothècar cet ami des livres ne que particulière de l'abbé, s'était pas contenté d'en remplir son palais épiscopal de Grenoble, il avait encore eu soin d'en fournir sa maison abbatiale de Chatrices - Mercier reçut de Caulet les premières notions de bibliographie raisonnée, précieuses leçons dont il conserva toujours le souvenir (1). Son second maître fut l'illustre Pingré. Rentré à Sainte-Geneviève, quelque sept ans plus tard, le jeune génovéfain, selon son vif désir, lui était associé en qualité de second bibliothécaire, et devint pour lui un collaborateur habile (2). En 1760, une mission astronomique appelant Pingré dans les Indes, il le remplaça, de fait, comme préposé supérieur à la garde de ce vaste dépôt des connaissances humaines, et il remplit cette charge avec le plus grand zèle jusqu'en 1772.

Mercier débuta dans la vie littéraire en se faisant éditeur, mais éditeur intelligent, non seulement par le choix des pièces dont il composait son petit volume, mais peutêtre aussi quelquefois par les retouches qu'il se permit. Le Recueil C est son œuvre (3). Ce Recueil, publié en 1759, faisait suite à deux autres, auxquels, l'on avait cru devoir donner, comme marque distinctive, les simples qualificatifs : A et B. Le premier de ces deux Recueils datait de 1745, et le second de 1752. Le P. Mercier pensait que ces sortes

(1) lbid., p. 243.

(2) Let. inéd., B. S. G., ms. fr. Z., in-4, Recueil de lettres du P. Marsan au P. Pingré, lettre ms. du 22 mai 1757: « Je suis convaincu, écrivait le pre«<mier au second, que vous auriez de la peine à trouver un sujet dans la «< congrégation plus intelligent, plus laborieux et plus propre à travailler « à un catalogue de notre précieuse et nombreuse bibliothèque. Vous ne « pouvez, il me semble, faire un meilleur choix et vous ne devez rien omettre pour l'obtenir. »

(3) Barbier, Dictionn., no 15418.

de collections seraient toujours bien reçues du public, pourvu qu'on les fit « avec goût », que « les matières» en fussent «< variées et intéressantes », et surtout qu'on ne se permit pas d'y faire entrer « de longs morceaux d'érudition, uniquement destinés aux savants. » Ce fut la règle qui présida au travail du génovéfain. Celui-ci inséra, à la fin, une Imitation de l'ode à sainte Geneviève, du R. P. Le Jay, par François Arouet, étudiant de rhétorique et pensionnaire au collège de Louis-le-Grand. De cette ode, première œuvre de Voltaire qui ait eu les honneurs de l'impression, le lecteur nous saura gré d'extraire ces deux strophes :

Oui, c'est vous que Paris révère
Comme le soutien de ses lis,
Geneviève, illustre bergère :
Quel bras les a mieux garantis?
Vous qui, par d'invisibles armes,
Toujours au fort de nos alarmes,
Nous rendîtes victorieux,
Voici le jour où la mémoire
De vos bienfaits, de votre gloire,
Se renouvelle dans ces lieux.

Vous, tombeau sacré que j'honore,
Enrichi des dons de nos rois,
Et vous, bergère que j'implore,
Ecoutez ma timide voix !
Pardonnez à mon impuissance,
Si ma faible reconnaissance

Ne peut égaler vos faveurs.

Dieu même, à contenter facile,

Ne croit point l'offrande trop vile

Que nous lui faisons de nos cœurs (1).

(1) L'ode est de l'année 1709, année si malheureuse pour les armées françaises. Elle ne figure point parmi les poésies de Voltaire dans l'édition de Kehl. Elle est reproduite dans l'édition de Paris 1817-1821, chez veuve Perronneau, en 56 volumes in-12. Le P. Mercier l'a tirée d'un Recueil fort rare, imprimé dans le temps.

L'année suivante, le jeune génovéfain se faisait remarquer par une critique, sagement raisonnée, de l'Essai d'un projet de catalogue de bibliothè ques. Cet essai était de l'abbé de Montlinot, alors chanoine de Saint-Pierre de Lille, puis libraire, puis publiciste. Montlinot voulait remplacer l'an

L'injuste et impolitique mesure qui frappait les jésuites, en 1762, pouvait, par contre-coup, frapper les Mémoires de Trévoux que les Pères publiaient depuis tant d'années. C'eût été un malheur littéraire et historique. Il fallait y parer. L'abbaye de Sainte-Geneviève eut la gloire de contribuer largement au salut de l'importante publication, en procurant le nouveau directeur des Mémoires et en lui adjoignant un illustre collaborateur. Le nouveau directeur fut Mercier, et le collaborateur Pingré (1).

Malgré sa jeunesse, Mercier ne se trouva point au-dessous de la situation. Et, certes, ce n'était pas une mince besogne que de maintenir à la publication son importance et son intérêt. Grouper des talents qui apportassent un précieux concours, coopérer soi-même très activement à la rédaction, voilà l'œuvre du jeune religieux pendant quatre années. Quelques mots sur les principaux articles que nous savons être de lui.

cienne division bibliographique: théologie, jurisprudence, sciences, arts, belles-lettres, histoire, par une autre où la prétention perçait plus que le naturel, du moins dans ses premiers termes : Science de Dieu, science de l'homme, science de la nature... L'Essai avait paru dans le Journal encyclopédique (1er septembre 1760). Les Observations en forme de lettre qui furent opposées, avaient leur place dans le même journal périodique (15 novembre et 1er décembre suiv.). Le bibliographe et le journaliste se révélaient en même temps.

(1) Nous n'adoptons pas l'opinion émise par le P. Sommervogel dans son Essai historique sur les Mémoires de Trévoux. (Table méthodique, Paris, 1864-1865, p. XCV-XCVII). Le docte jésuite, s'appuyant sur Bachaumont, donne pour directeur immédiat des Mémoires, après l'expulsion des jésuites un médecin, le docteur Jolivet, qui aurait conservé la direction jusqu'à sa mort, en 1764. C'est alors seulement que le P. Mercier aurait eu cette direction. Pour nous, les assertions de Chardon de la Rochette, qui avait vécu dans l'intimité avec Mercier, nous ont paru d'une plus grande autorité que les notes plus ou moins rapidement rédigées par Bachaumont et publiées après sa mort. Or, en ce qui concerne notre génovéfain, Chardon de la Rochette s'exprime en ces termes : A vingt<< huit ans, il fit ses premières armes dans le Journal de Trévoux qu'il « rédigea, en société, avec Pingré et l'abbé Guyot..., depuis le mois de juillet 1762 jusqu'à celui de d'octobre 1765 inclusivement, et qu'il conti« nua seul jusqu'en août 1766. » (Notice. dans Mélanges, p. 244). Simple collaborateur alors, le docteur Jolivet aurait été pris par Bachaumont pour le directeur même.

((

Un libraire, Guillaume-François de Bure, qui était à la fois un savant, avait, en 1763, fait paraître le premier volume de la Bibliographie instructive. Il se proposait de combler une lacune dans la science bibliographique, en éditant en français un catalogue raisonné de la plus grande partie de ces livres précieux, qui ont paru successivement dans la république des lettres depuis l'invention de l'imprimerie jusqu'à nos jours. Il avait surtout en vue les livres rares et singuliers, et il leur destinait une mention spéciale (1). La lacune existait véritablement. Sous ce rapport, nous nous trouvions même dans une regrettable infériorité en regard de nos voisins qui, cultivant, et non sans succès, cette science des livres, savaient, par d'importants travaux, y initier le public. La pensée était donc excellente on ne pouvait qu'y applaudir, quoique le véritable érudit ne vît pas, sans un certain déplaisir, relégués au second plan les livres qui se recommandaient uniquement par leur valeur intrinsèque, et non point par la rareté, la beauté de l'impression ou de la reliure, car, si l'auteur mentionnait ces livres, c'était en quelque sorte par acquit de conscience, pour rendre complet le catalogue. Mais les oublis, les méprises et même les bévues étaient presque inévitables dans un classement qui supposait des connaissances, à la fois, si précises et si variées. L'article consacré au volume dans les Mémoires de Trévoux constatait le fait d'un certain nombre de ces défauts-là, mais l'auteur laissait à d'autre le soin de faire la critique de détail (2).

Le P. Mercier se réservait cette tâche. Il prit le titre et emprunta le caractère de correspondant des Mémoires, Deux longues missives furent consacrées à l'épineuse besogne, et une troisième, plus courte, à l'examen de la réponse opposée. Gardant l'anonyme dans les deux pre

(1) Nous reproduisons la pensée ou les expressions du titre de l'ou

vrage.

(2) Memoires..., juin 1763, p.p. 1358 et suiv.

« PreviousContinue »