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un an qu'il demeura dans cette maison, il travailla tellement la communauté, qu'elle se déclara pour Soanen, le prélat persécuté. Une nouvelle retraite lui fut assignée à SaintMartin de Troyes, en attendant que, pour les mêmes raisons on se trouvât obligé de le reléguer à Saint-Jean-au-Bois dans la forêt de Compiègne.

A Troyes, il pouvait se consoler de ses disgrâces. Il se voyait rapproché d'un prélat, son parent, son ami et, ce qui valait bien mieux, un fidèle de la secte. Il y trouvait l'abbé Duguet, autre fidèle éprouvé, et pouvait vivre dans l'intimité avec lui.

L'évêque de Troyes s'empressa de placer le P. Lenet à la tête de la commission chargée du nouveau missel, et lui confia la traduction d'un traité, en latin, du grand Bossuet, œuvre inédite que le neveu se proposait de publier et que, pour le rendre profitable à un plus grand nombre, il désirait en même temps donner en français. Le traité avait pour objet l'amour de Dieu requis dans le sacrement de pénitence. Le texte original et la traduction parurent en 1736. Un long mandement de l'évêque de Troyes prenait place en tête du volume. Quel qu'en fût le motif, le silence était fait sur le nom du traducteur, et même l'on aurait pu croire que la traduction était l'œuvre du prélat lui-même (1). Confident de Duguet, il devint dépositaire de deux manuscrits considérables de cet écrivain et les fit imprimer après la mort de l'auteur. Nous venons de désigner, en premier lieu, le Traité des principes de la foi chrétienne (2) ou l'exposé clair, méthodique des preuves fon

(1) Traité de l'amour de Dieu nécessaire dans le sacrement de pénitence suivant la doctrine du concile de Trente, ouvrage posthume composé en latin par Messire Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, avec la traduction françoise, par Messire Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Troyes, Paris, vol. in-12. C'est le traité qui figure dans les éditions complètes de l'évêque de Meaux sous le titre : De doctrina concilii Tridentini circa dilectionem in sacramento pænitentiæ requisitam.

(2) Paris, 1736, 3 vol. in-12.

damentales de la religion, et, en second lieu, les Conférences ecclésiastiques ou Dissertation sur les auteurs, les conciles et la discipline des premiers siècles de l'Église (1). Les deux ouvrages sont précédés d'un avertissement du génovéfain. Dans l'un et l'autre, rien que d'orthodoxe. Peut-être, pour le premier, l'absence d'écarts est-elle due à la mort qui ne permit pas à l'auteur d'aborder la doctrine. de Jésus-Christ. Le second est formé des conférences que Duguet, alors oratorien, donna, dans les années 1678-1679, au séminaire de Saint-Magloire, à Paris, et qui eurent un si grand succès. En exposant la discipline ancienne, l'auteur a bien soin de ne déverser aucun blâme sur la discipline moderne.

Telles furent les plus dignes occupations du P. Lenet à Saint-Martin et à Saint-Jean. Saint-Jean fut la dernière retraite tout nous indique qu'il y mourut, en 1748.

En qualifiant ainsi les travanx littéraires du trop bouillant génovéfain, nous nous rappelions qu'il ne fit jamais trève avec les soucis et les agissements du passé. Autant que son isolement et sa modeste situation le permettaient, il ne cessait d'être un agent du parti. Ce sont les Nouvelles ecclésiastiques qui, après nous avoir fourni un certain nombre de détails biographiques, nous édifient encore sur ce point (2).

(1) Cologne, 1742, 2 vol. in-4.

(2) Nouv. eccl., 24 juillet 1749.

La France littéraire attribue à Lenet, en qualité d'éditeur, un « Témoignage au sujet de M. Duguet, qui se trouve dans le Recueil de lettres que Mme Mol fit imprimer en 1734 ». Nous n'avons pu découvrir ce Recueil dans aucune des bibliothèques de Paris.

VI

BERNARD (JEAN-BAPTISTE)

(1710-1772)

Un jour, une pièce de poésie était livrée au public. Œuvre d'un inconnu, elle semblait présager un vrai poète lyrique; et un des plus fins connaisseurs, un maître dans l'art, suivant un critique contemporain, ne faisait point difficulté d'égaler cette pièce aux plus belles odes de Rousseau (1). C'était une ode, en effet, et le rapprochement se présentait d'autant plus naturellement aux esprits, que la publication avait lieu l'année même de la mort de celui qui, chez nous, est demeuré sans rival dans cette poésie de l'enthousiasme et de l'inspiration, dans cette poésie où l'irrégularité de la marche s'allie si bien à la magnificence des images :

Son style impétueux souvent marche au hasard;
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.

L'ode, due à la plume d'un génovéfain, Jean-Baptiste Bernard, professeur d'éloquence ou de rhétorique au collège de Nanterre, était adressée au duc d'Orléans à l'occasion des prix de sagesse que celui-ci devait accorder à ce même collège en l'année 1742 (2).

Le poète disait au prince:

On grave les fureurs d'un héros sanguinaire

Sur le fer, le marbre et l'airain;

De ses lâches flatteurs l'adresse mercenaire

A l'immortaliser anime le burin;

Mais c'est dans votre âme attendrie
Qu'avec des traits de feu, victorieux des ans,
Un vif et tendre amour peint l'image chérie
Des héros doux et bienfaisants.

(1) Observations sur les écrits modernes, tom. XXV, p. 1 (2) Elle est reproduite dans ibid.

Les espérances qu'on avait conçues ne se réalisèrent pas. L'on dit que le P. Bernard continua de cultiver la poésie. Mais nous ne possédons de lui que deux autres odes (1), et encore sont-elles inférieures à la première. Elles se rapportent à la construction de la nouvelle église SainteGeneviève. L'une est de 1755 et vise le futur monument, l'autre de 1764 et célèbre la pose de la première pierre. Naturellement, étant présentées à Louis XV, elles chantent - mais en tout la poésie revendique le droit de vivre de fiction - la gloire, la grandeur, les vertus mêmes du monarque.

Poète n'ayant pas donné ce qu'on était en droit d'attendre, le P. Bernard fut-il orateur plus accompli? De professeur de rhétorique, il devint prieur-curé de Nanterre. Dans ces deux situations et en des circonstances solennelles, il fut appelé à porter la parole évangélique. L'oraison funèbre. du duc d'Orléans, celle de Henri II, prince de Condé, sont les deux principaux des quelques discours que les presses nous ont conservés.

La première fut prononcée en l'église Sainte-Geneviève, le 23 mars 1752, après la mort du duc d'Orléans qui, nous le savons, avait demandé pour ses dernières années à l'abbaye une retraite chrétienne et studieuse. L'église SaintLouis entendit la seconde, le 4 septembre 1764. Il y avait là une fondation. Perrault, le secrétaire des commandements de Condé, en fondant dans l'église de la maison professe des jésuites un service annuel pour le repos de l'âme du prince, imposait en même temps l'obligation de l'y faire louer par un orateur chrétien. Après l'expulsion des jésuites, il fallait bien aviser au moyen de remplir la clause. Les chanoines de Sainte-Catherine on n'oublie pas que c'étaient des génovéfains-allaient, il est vrai, en 1767, être transférés à Saint-Louis et, par conséquent, succéder aux obligations

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(1) Ces deux odes sont imprimées.

de leurs prédécesseurs (1). Mais en attendant? Pour l'année 1764, le parlement d'accord avec la famille se chargea de faire célébrer le service et prononcer le discours.

Les deux oraisons funèbres du P. Bernard, écrites avec assez d'élégance et une certaine chaleur de langage, montrent bien plus l'art du rhéteur qu'elles ne font sentir la véritable éloquence de l'orateur.

Avec les qualités oratoires de cette nature, on peut plaire, acquérir même une certaine réputation. Mais rarement l'on s'élève au-dessus du commun des prédicateurs, et c'est à peine si l'on marque son sillon dans la carrière parcourue. Voilà ce qui explique, et cette quasi-célébrité dont jouit le P. Bernard durant sa vie, et l'oubli dans lequel il est tombé presque aussitôt (2).

«

VII

MERCIER (BARTHÉLEMY)

Abbé de Saint-Léger

(1734-1799)

L'Europe possédait deux hommes rares, profon« dément versés dans la bibliographie et l'histoire littéraire de tous les âges et de tous les pays; rivaux sans jalousie, s'aimant, s'honorant l'un et l'autre, toujours prêts à

(1) La maison professe s'appela des lors prieuré de Saint-Louis-SainteCatherine. (Lebeuf, Histoire de Paris, édit. de M. Cocheris, tom. III, p.p. 447 et 480.)

(2) Parmi les rares œuvres oratoires du P. B. Bernard, on peut citer encore le Discours, assez remarquable, sur l'obligation de prier pour les rois, prononcé, à Saint-Louis-Sainte-Catherine, le 5 décembre 1769, jour consacré dans cette église à faire des prières publiques pour le roi et le royaume (1769, in-8).

Nous devrions dessiner ici la silhouette du grand orateur de la congrégation, Guillaume de Géry, si le travail n'avait été fait au chapitre vi, p.p. 183 et suiv. de la première partie. Que, par le souvenir, ce brillant orateur prenne rang dans notre galerie littéraire.

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