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le téméraire et opiniâtre génovéfain (1). Une assemblée de prélats censurait, le 22 août 1727, au palais abbatial de Saint-Germain des Prés, les livres de ce dernier (2). L'évêque de Marseille, plus d'un mois auparavant, le cardinal de Noailles, tout récemment, en avaient fait autant. Le Mandement du cardinal était suivi, plus tard, d'une longue Instruction pastorale qui exposait les raisons du dogme pour mieux faire ressortir les motifs de la condamnation. Mais le prélat, en condamnant la doctrine, avait la consolation de pouvoir annoncer la soumission de l'auteur, et il se faisait un devoir de déclarer que l'abbaye de SainteGeneviève, comme la Congrégation de France, absolument opposée à la fausse théorie et aujourd'hui la condamnant formellement, était complètement étrangère à la composition et à la publication des livres qui la soutenaient (3).

De cette dernière assertion, cependant, il ne faudrait pas conclure qu'il n'y eût aucune divergence dans l'abbaye et la congrégation. Non seulement quelques religieux, comme le P. Prévôt, avaient incliné plutôt par amitié qu'autrement du côté de leur confrère éprouvé, mais il s'en était rencontré qui allaient plus loin. Le P. Lenet, par exemple, envoyait de Beauvais ces lignes à Le Courayer, le 31 décembre 1726: «J'ai achevé de lire votre réponse et je l'ai lue

avec le double plaisir de me voir instruit et de trouver << confondus ceux qui m'avaient trompé... Il ne peut res<< ter aucun doute, et la validité des ordinations anglaises « demeure absolument démontrée. Je serais trop long et je << paraîtrais trop flatteur pour un ami, si je vous marquais << en détail tout ce qui m'a charmé dans votre ouvrage (4). »

(1) Dénonciation..... d'un livre intilulé : Défense......., s.1., 1727, in-12. (2) L'acte, signé du cardinal de Bissy, évêque de Meaux, des archevêques de Sens et de Cambrai et de dix-sept évêques, allait recevoir d'autres adhésions et, entre autres, celles des évêques de Luçon et de Beauvais, le 1er octobre et le 8 décembre de la même année.

(3) Instruction pastorale, p.p. 115, 116.

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Il est juste de remarquer que, Le Courayer ayant avancé sur l'Eucharistie des propositions fort mal sonnantes et également atteintes par les condamnations épiscopales (1), ses partisans avaient toujours soin de faire les plus expresses réserves sur ce point.

La soumission du novateur, si peu sincère qu'elle fût, n'avait été signée qu'après bien des luttes, des résistances, des subterfuges, des promesses illusoires. Marquons-en brièvement les tristes préludes avant d'en rappeler les désastreuses conséquences.

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Il terminait une lettre hautaine à l'évêque de Marseille, l'héroïque Belsunce, par ces paroles qui dépassaient vraiment toute mesure : « Puis donc, Monseigneur, que content << de débrouiller des idées que nos théologiens avaient em«barrassées, je ne me suis point écarté de la doctrine de l'Église ni des dogmes qu'elle enseigne, je me flatte que, détrompé des impressions sinistres que s'est formées de a moi Votre Grandeur, sur des rapports calomnieux, elle << me tiendra justifié des excès dont on m'a accusé sans fonde<«<ment. La justice et la charité l'exigent ; j'ose même espérer « de votre religion qu'après avoir souffert qu'on se servît « de votre nom pour me diffamer, vous me rendrez publique«ment justice... Il ne m'est point permis non plus qu'à vous «< de nous taire : vous regarderiez mon silence comme une << conviction des erreurs qu'on m'impute, et je regarderais le « vôtre comme un déni de justice indigne de votre piété. Il << m'est dû une réparation, et je la demande. Je n'ose croire << que vous me la refusiez. Mais, en ce cas, Votre Grandeur ne << peut trouver mauvais que je me récrie contre la calomnie, et << qu'en conservant les égards qui sont dus à votre caractère,

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(1) Le mandement, en particulier, condamnait les livres entant que renfermant une doctrine ou des expressions contraires à l'enseignement de l'Église sur le sacrifice de la messe et la présence réelle, sur le sacerdoce, a forme des sacrements et le caractère qu'ils impriment, sur les rites et les cérémonies de l'Église, sur son autorité, la primauté du pape.

«

j'annonce au public qu'on abuse indignement de votre « nom pour flétrir un théologien plus orthodoxe que ceux << qui l'accusent et le déchirent (1). »

Une condamnation par une assemblée d'évêques inquiétait davantage Le Courayer. Il fallait éviter le coup. Une lettre était écrite au cardinal de Bissy, le 13 août, lorsque circulait dans le public le bruit d'un projet de censure. « J'espère, disait Le Courayer, que Votre Éminence, mieux « instruite que M. de Marseille, me rendra plus de justice. >> Il ajoutait en demandant une audience au cardinal: « Il « ne tient qu'à vous de vous convaincre de la fausseté des impressions qu'on a voulu inspirer contre moi à Votre Émi<< nence. » Quelques jours après, le 19 suivant, il insistait dans une nouvelle lettre pour être entendu. (2) Les prélats estimèrent avec raison la chose inutile, puisqu'il s'agissait de prononcer sur des livres d'après le sens obvie des propositions.

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Le tenace génovéfain avait aussi essayé de prendre ses mesures à l'égard de son premier juge naturel, le cardinal de Noailles, archevêque de Paris. Dès le 11 mars, dans une missive, il entendait rendre compte à ce dernier, comme c'était son devoir, de sa foi et de sa doctrine, lui demandant, d'une part, justice contre des ennemis acharnés, lui promettant soumission, de l'autre, quoique en termes un peu embrouillés : « C'est à Elle (à Son Eminence), disait-il, à me « marquer si je me suis écarté de la vérité en quelque « chose. Plein de déférence pour ses lumières, je suis prêt « à réformer tout ce qui pourrait paraître contraire à la « déclaration que je viens d'avoir l'honneur de lui faire, «<et je désavoue sans répugnance toutes les erreurs qu'on << m'a imputées injustement (3). »

(1) Lettre du 18 juillet 1727, imprimée dans la Relation hist. et apolog. des sentimens et de la conduite du P. Le Courayer, par Le Courayer, Amsterdam, 1729, tom. II, p. 149-160.

(2) Les deux lettr. sont imprimées dans ibid. p. 162-171.

(3) Cette lettre, imprimée, figure, B. S. G., dans le Recueil D. 1580 137, in-4, et dans tom. II, p. 109-114 de la Relation.

il fut

Le Mandement donné, mais non rendu public, lancé le 6 septembre seulement (1) — Le Courayer mettait un peu moins d'ambages dans ses paroles, tout en protestant encore de la pureté de sa foi : « Je puis assurer Votre Emi

nence que j'acquiescerai à la condamnation des erreurs << qui pourraient altérer la foi, et des expressions qui pour«raient scandaliser. Je supplie Votre Éminence de vouloir << bien accepter ma soumission comme la preuve du plus << profond respect avec lequel... » (2).

Aussitôt après la communication officieuse de ce Mandement, il prenait la plume pour renouveler et accentuer son adhésion: « Je prends la liberté d'assurer Votre Éminence « que je suis prêt de réitérer le désaveu que j'ai déjà fait << des erreurs et de tous les mauvais sens dont on peut « rendre ces propositions susceptibles, et que Votre Émi«nence se propose de condamner. Je proteste donc encore << une fois à Votre Éminence que je n'ai jamais eu intention << d'enseigner ces mauvais sens et ces erreurs, ni de les sou<< tenir. Mais puisque contre mon intention et une déclaration « aussi précise que celle que j'ai donnée à Votre Éminence, «<elle juge qu'on peut abuser de mes expressions pour << insinuer et autoriser des erreurs condamnables, je les << abandonne et les condamne moi-même le premier en ce << sens, et me soumets à la censure de ces expressions ou << de ces erreurs sans répugnance et sans équivoque. Je « supplie même Votre Éminence de rendre publique cette << déclaration comme une preuve de ma soumission et de << mon orthodoxie (3)... »

Toutefois, le Courayer refusait de souscrire cette formule de soumission qui lui fut présentée par le duc de Noailles,

(1) Lettre copie

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de l'abbé de Riberolles, abbé de Sainte-Geneviève, B. S. G., mss. fr., dans Recucil Z., in-fol.

(2) Lettre au card. de Noailles, du 25 août 1727, dans Relation..., tom. II, p. 177-178:

(3) Lettre du même au même, du 5 septembre suiv., dans ibid., p. 177-180.

frère du cardinal: « J'ai vu l'ordonnance par laquelle Votre « Éminence condamne les livres que j'ai faits au sujet de la « validité des ordinations des Anglais; je me soumets de bon « cœur à son jugement; j'attends avec impatience la lettre << pastorale qu'elle promet à son diocèse, puisque j'y trouverai l'instruction dont j'ai besoin et une occasion de » renouveler à Votre Éminence les marques de ma soumission, que je rendrai toujours volontiers à celui en qui je « reconnais l'autorité d'un juge et la charité d'un père (1). » Il craignait de trop s'engager à l'avance relativement à l'Instruction pastorale.

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Cette Instruction pastorale, complément du Mandement, que serait-elle ? Dans quels termes se trouvait-elle conçue ? C'était, aux yeux de l'accusé, la pièce capitale. Elle lui fut préalablement communiquée. Il la lut et se décida, le 30 octobre, à signer un acte de soumission rédigé en ces termes assez vagues : « J'ose assurer Votre Éminence que j'acquiesce sincèrement à la doctrine catholique qu'elle y expose (dans son Instruction pastorale) << sur les différents chefs qui font l'objet de son Instruction; << que je condamne avec la même sincérité toutes les « erreurs qu'elle y censure, aussi bien que toutes les « expressions qui, dans mes deux ouvrages, expriment et « favorisent ces erreurs que je n'ai eu jamais intention d'enseigner et que je n'ai jamais crues. Je suis fâché du << scandale que mes livres ont causé (2). »

L'archevêché estima l'acte insuffisant.

Le Courayer pressentait lui-même l'appréciation. C'est ce qu'il mandait immédiatement au P. Prévôt, un de ceux qui n'avaient cessé de conseiller la soumission. « J'ai écrit « une lettre, disait-il. On en paraît content. J'ai éloigné << toute imputation, et il n'y est point parlé d'acquiescement « pur et simple. Ainsi nous en voilà revenus à la lettre

(1) Dans ibid., p. 245.

(2) Relation..., tom. II, p. 254.

T. II.

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