Page images
PDF
EPUB

destruction de l'hérésie. Eh bien ! qu'on lise cette Épître, et l'on verra qu'il s'agit de la destruction de l'hérésie par de sincères, de volontaires conversions (1).

Le P. de Sanlecque avait la plus grande estime. pour l'ordre des jésuites, comme on le voit par le portrait qu'il traça du vrai fils de Saint-Ignace (2). Par contre, il prisait peu les jansénistes, et sa palette lui fournissait de sombres couleurs pour les peindre (3).

Si la reconnaissance pour le duc de Nevers lui inspirait cet inconcevable vers:

Horace n'est point mort, il est duc de Nevers (4),

il paraît bien cependant que Sanlecque aurait fini par avoir quelque peu à se plaindre de son protecteur et vieil ami. En effet, nous lisons dans une pièce sur la mort de M. le duc de Nevers:

Nevers, je pleure ton trépas

Et j'en suis même inconsolable;
Ton cœur à mon égard était invariable,
Quoique ta main ne le fût pas.

(1) Édition du Bolæana, Amsterdam, 1742, p. 6. (2) Même édition du Bolæana, p. 61.

(3) Même édit., p. 62.

Voici ce tableau qui aurait eu besoin d'une retouche :

Sobre dans ses discours, délicat à sa table,

Portant un fin orgueil aux pieds du crucifix,
L'esprit impérieux, modeste en ses habits,
Fort sévère au prochain, pour soy fort charitable,
Des livres séduisans au cœur infatigable,
Aux décrets de l'Église écrivain peu soumis ;
Qui n'est de son parti, n'est point de ses amis;
Du grand saint Augustin, singe peu véritable,
Hors son petit troupeau, tout le monde n'est rien;

Il n'est point hors de là de saints, de gens de bien;
Son mérite, à le croire, est l'objet de l'envie;
Cependant l'amour-propre est toute sa vertu.
A ces fidèles traits, cher ami, connois-tu
D'un parfait janséniste et l'esprit et la vie.

(4) Épître au duc de Nevers, pour obtenir de lui qu'il publiâl une satire qu'il lui avoit entendu réciter. (Même édit., p. 35.)

Cependant cette main mérite qu'on l'excuse:

Elle écrivait des vers si nobles, si divins,

Qu'il semblait quelquefois aux esprits les plus fins

Que ton épouse fût ta muse.

(1).

Toujours exagéré dans l'éloge du talent poétique du noble duc, il continuait à être injuste à l'endroit de Boileau. Dans l'Epttre même où il exaltait le premier, il disait du second: Boileau ne sait plus que médire.

Il veut polir son vers qu'il croit encor sublime;

Mais c'est en vain : son vers est plus dur que la lime.

Plus tard, cependant, l'âge apportant à l'esprit avec plus de calme plus d'équité, il revint à l'admiration de sa première jeunesse pour l'illustre poète :

Autrefois, au sortir de mon adolescence,

Despréaux, le grand Despréaux,

Dès qu'il vit de mes vers qui lui paraissaient beaux,
Disait à son peuple caustique,

Qu'après lui je tiendrais le sceptre satirique.

Et Sanlecque ajoutait ingénûment:

Je l'espérais aussi, mais je n'y pense plus (2).

Il poussa même la générosité jusqu'à écrire une sorte d'amende honorable, l'Apothéose de Boileau (3),

De ce mortel utile à tant de gens,

Ami du vrai, du bon goût, du bon sens,
Chaud à venger la raison méprisée;

de Boileau, le Juvenal français; du grand Boileau à qui Momus lui-même doit rendre les armes, jugement porté par le souverain des dieux et que ratifièrent les autres immortels en proclamant d'une voix unanime

L'heureux Boileau dieu de la raillerie.

(1) Même carton Q. 2, Poésies inéd., 2e cahier, fol. 19, vers.
(2) Même carton Q. 2, Poésies inéd., 2o cahier, fol. 34, vers.
(3) Même édit. du Bolæana, p. 60.

Boileau lui-même avait changé de sentiments à l'égard de Sanlecque. Nous en avons la preuve dans une modification qu'il apporta à un endroit de sa dixième Epitre, publiée en 1695. S'adressant à ses vers, il avait écrit d'abord:

Dans peu vous allez voir vos froides rêveries
Exciter du public les justes moqueries,
Et leur auteur, jadis à Régnier préféré,

A Sanlecque, à Régnard, à Bellocq comparé.

Au moment de la publication, ce dernier vers fut remplacé par celui-ci qui se lit dans toutes les éditions:

A Pinchêne, à Linière, à Perrin comparé.

Des trois premiers poètes qui avaient eu maille à partir avec Boileau, Régnard avait fait sa paix et Bellocq des excuses. Il y a lieu de penser que quelque rapprochement s'était aussi opéré entre le législateur du Parnasse et le poète génovéfain (1).

[ocr errors]

(1) Voir OEuvres de Boileau, Paris, 1772, in-8°, tom. II, p. 173, Remarques. Boileau aurait dit encore : Sanlecque est un mauvais poète; il ne va que par bonds. » (V. Journal et Mémoires de Mathieu Marais, tom. I, Paris, 1863, p. 21.)

Nous rencontrons parmi les poésies inédites du génovéfain cette épitaphe sur la mort imaginaire et véritable de M. Molière :

Gy git qui parut sur la scène

Le singe de la vie humaine,

Qui n'aura jamais son égal.

Mais voulant de la mort, ainsi que de la vie,

Etre l'imitateur dans une comédie,

Pour trop bien réussir, il réussit fort mal,

Car la mort, en étant ravie,

Trouva si belle la copie,

Qu'elle en fit un original.

(Même carton, même cahier, fol. 29 rect.)

On trouve encore dans ce même carton un certain nombre d'autres pièces également inédites. Nous en mentionnerons quelques-unes : 1o Satire Contre le faux honneur, dédiée à M. l'abbé Destrades, dialogue peu remarquable;

2o Épître A Son Altesse royale Monseigneur le duc d'Orléans ;

30 Compliment de Mme l'abbesse de Letrées à Mme la mareschalle duchesse d'Humières;

40 Deux pièces au Comte de Vezelay, éloge assez délicat ; 5o A Son Altesse Monseigneur le duc de Vendosme, Estrenne

Si Louis de Sanlecque avait limé, poli toutes ses compositions (1) à l'égal de la Satire contre les directeurs, du Poème sur les mauvais gestes de ceux qui parlent en public et surtout des prédicateurs, de quelques petites pièces, et principalement de ses Placets au roi (2), la critique découvrant moins de côtés défectueux lui aurait assigné un rang supérieur. Voltaire a eu raison de le classer « parmi les poètes médiocres dans lesquels on trouve des vers heureux ». Mais, à notre sens, il n'a pas été d'une sévérité assez équitable en ajoutant. « La plupart de ces vers appartiennent au temps et non au génie (3). » Il eût été bon, au moins, de préciser, d'expliquer la pensée. Qu'on ôte à Sanlecque le génie, bien; mais qu'on sache lui accorder le talent, en se gardant de faire de ses œuvres une sorte de produit fatal de l'époque, assertion trop vague pour être suffisamment intelligible.

(1) Il est bon de noter que les meilleures poésies du P. de Sanlecque, celles-là mêmes qui furent publiées, le furent sans son aveu. La première édition parut en 1696, sous le titre Poésies héroïques, morales elhistoriques, par M. de ***, Harlem, in-8°. L'éditeur convenait dans la préface qu'une revision par l'auteur eût été désirable. La seconde édition fut donnée douze ans après la mort du poète, sous ce titre : Poésies du P. Sanlecque, Harlem, 1726, in-12. Cette seconde édition, plus complète que la première, l'est moins que celle qui fait suite au Bolæana. Voilà ce qui explique pourquoi nous nous sommes servi de cette dernière.

(2) Dans un autre Placet en faveur d'une Demoiselle dont le père et les frères avoient tous mangé leurs biens et le sien au service du roy,

Qui sçait l'art d'être craint et celuy d'être aimé,

il ne manquait pas de tact, non plus, pour implorer les « royalles faveurs ». Il y avait un autre titre encore à produire :

Grand roy, souvenez-vous que Clermont et Rohan

A ceux de votre nom ont allié leur sang.

(Même carton Q. 2, deuxième cahier, fol. 13-14.)

(3) Siècle de Louis XIV, Catalog. alphab. de la plupart des écrivains français.

VIII

VAU (LOUIS DU)

(1658-1738)

Une question de droit canonique mit la plume à la main de Louis du Vau qui devait être le successeur immédiat du P. Dantecourt comme chancelier de l'université de Paris, et qui occupait alors une chaire de théologie à SainteGeneviève.

La question fut soulevée par Jean Gerbais, docteur de Sorbonne, dont le nom devait à plusieurs publications une certaine notoriété. Ce dernier avait fait paraître, en 1696, deux Lettres, non signées, sur le pécule des religieux qui devenaient curés ou évêques. Voici à quelle occasion. Le curé de Saint-Étienne du Mont, chanoine régulier de SainteGeneviève, étant mort (1), il s'en était suivi un procès entre l'abbaye qui prétendait à la succession, et les marguilliers qui élevaient les mêmes prétentions. Jean Gerbais, qui avait figuré comme témoin dans l'information, crut devoir, gain de cause étant donné à l'abbaye, traiter théoriquement la question. De là les deux Lettres lancées dans le public (2).

Ce n'était pas la première fois que ce docteur de Sorbonne se faisait le défenseur de causes mauvaises ou de doctrines hasardées. Son traité latin: Des causes majeures, condamné par Innocent XI, avait paru en France trop

(1) Il s'appelait Julien Gardeau et mourut en septembre 1694.

(2) La première avait pour titre : Lettre d'un docteur de Sorbonne à un bénédictin de la Congrégation de Saint-Maur touchant le pécule des religieux fails curez ou évêques. La seconde, sur le même sujet, était une réplique à cette réponse également anonyme, mais demeurée inédite : Lettre à un docleur de Sorbonne touchant le pécule des religieux curez et évéques.

« PreviousContinue »