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secours. Fidèle au procédé, il utilisa les mêmes rimes pour les vers vengeurs. Le nouveau sonnet débutait donc ainsi :

Dans un coin de Paris, Boileau, tremblant et blême,

Fut hier bien frotté, quoiqu'il n'en dise rien ;
Voilà ce que produit son style peu chrétien;

Disant du mal d'autrui, l'on s'en fait à soi-même (1). En prenant ce quatrain à la lettre, il faudrait dire que la menace du duc ne resta pas tout à fait lettre morte: s'il n'y eut pas d'esclandre au théâtre, le bâton n'en aurait pas moins fonctionné ailleurs.

Quoi qu'il en soit, aux yeux de Nevers, c'était, de la part du jeune poète, un service qui méritait récompense.

A quelque vingt ans de là (1701), l'évêché de Bethleem venant à être vacant, le duc de Nevers - c'était son droitdésigna au roi le P. de Sanlecque (2). A ce dernier, un évêché souriait pour le moins autant qu'une abbaye, qu'il n'hésitait pas à solliciter lui-même de Louis XIV :

Nous avons, grand héros, deux desseins différents,
Vous de vaincre vingt rois et moi vingt concurrents.
Mais l'un de ces desseins est mieux conduit que l'autre.
Que cependant tout irait bien,

Si vous me répondiez du mien,

Comme je vous réponds du vôtre (3).

Déjà l'évêque nommé avait reçu les félicitations de diverses personnes. Déjà il s'entendait appeler Monseigneur. Déjà même il avait fait sa profession de foi chez le nonce. Mais, ô inconstance de la fortune! ô ruine des plus belles espérances! on se rappela plusieurs de ses vers sati riques où évêques, moines, ecclésiastiques n'avaient pas été

(1) Ce premier quatrain se lit dans Titon du Tillet, Ibid. Le reste du sonnet ne nous serait pas parvenu.

(2) Bethléem était un évêché in partibus infidelium. Mais on lui avait annexé Notre-Dame de Bethleem, église hospitalière, près de Clamecy, laquelle relevait immédiatement du Saint-Siège. Cette église étant située dans le duché de Nevers, la désignation à l'évêché appartenait aux ducs, à cette époque. (Gal. christ., tom. XII, col. 686.)

(3) Placet au roy pour luy demander une abbaye, édit. à la suite du Bolæana, Amsterdam, 1742, in-12, p. 44.

épargnés. On citait surtout la satire contre les directeurs (1), une de ses pièces les plus malignement caustiques, mais aussi les plus littérairement soignées. Moins retenu que Boileau, ce que celui-ci ne fit qu'effleurer (2), il le pénétra, l'analysa, le développa, en donnant à sa pensée, qui pèche souvent par l'exagération, et le tour piquant, et l'acerbité du ton, et la pointe du trait.

Toutefois, il y a justice à le dire, les protestants essayant de tirer profit de l'imprudente satire, l'auteur composa une énergique protestation qui est demeurée parmi ses poésies inédites. Nous en transcrivons le début :

Mortels qui bâtissez pour le souverain Être

Des temples sans autel, sans victime, sans prêtre,
Vous qui, sans consulter ce que la loi vous dit,
Reconnaissez Calvin pour votre Saint-Esprit,
Vous dont les saints docteurs ont exercé leur zèle
A rêver dans Genève une Bible nouvelle,
Vous qui détruisez tout jusqu'à ne mettre plus
La virginité même au nombre des vertus,

Sachez que contre vous je vais crier d'un ton
Qui va faire trembler les murs de Charenton.
Mais, avant que la bile empoisonne ma rime,
Je vais, sans m'animer, dire ce qui m'anime.
Vous savez que j'ai peint la fausse charité
De ceux qui confessaient par sensualité

Et qui, voulant trop voir dans chaque circonstance,
Troublaient le doux sommeil de leur concupiscence.
Vous ne savez pas moins que j'ai décrit les mœurs
De ceux que nos péchés ne rendaient point pécheurs
Et qui même évitaient jusques à la fumée
Du feu dont l'impudique a l'âme consumée.

(1) C'est la seconde. Elle est adressée à Bourdaloue,

Chrysostome françois, censeur évangélique,

Aussi profond docteur qu'orateur pacifique.

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Bien qu'elle n'ait pas pris place dans la première édition des Poésies du génovéfain, Harlem, 1696, in-8°, parce qu'on n'était point suffisamment édifié sur l'exactitude des copies, cette satire circulait à l'état de manuscrit el même d'imprimé. (Voir Avis au lecteur de l'édition sus-désignée du Bolæana.) (2) Voir Satires X et XI.

(3) B. S. G., carton Q. 2, Poésies de M. de Sanlecque, premier cahier. fol. 14, vers.

Louis XIV n'agréa point la présentation.

Pourtant le poète n'avait pas été sans chanter les louanges du grand roi. Il lui avait adressé, en 1686, une épître qui commençait sur ce ton solennel :

Toi qui fais tout céder au plaisir d'être juste,
Qui passais dès vingt ans l'âge avancé d'Auguste,

(1).

Pourtant, une autre fois, un seul placet avait obtenu ou devait obtenir du roi pour l'auteur et sur-le-champ ce que personne n'osait demander. Mais aussi le poète disait :

Nous distinguons deux personnes en toi :

L'une est Louis, l'autre le roi.

Et, après avoir fait l'éloge pompeux de Louis :

Mais, à propos de bon, d'indulgent, de vrai père,
Louis voudrait-il bien me présenter au roi ?

Tous mes amis n'osent le faire (2).

Pourtant le P. de La Chaise dut intervenir. Il était l'ami de Sanlecque, et l'on sait son influence à la cour. Il est probable que c'est dans cette circonstance et à ce sujet que le premier reçut du second un madrigal qui s'ouvrait par

ce vers:

Tu vas bientôt décider de mon sort,

et se fermait par ces deux autres :

Parler en ma faveur, c'est dire les prières

Pour les agonisants (3).

Malgré tout, Louis XIV demeura inflexible. Il fallut que l'évêque désigné se contentát de rester simplement prieurcuré de Garnay, près Dreux, humble poste où nous le voyons dès 1689. Il fallut qu'il se résignât à un séjour où

(1) Épître au roy après la destruction de l'hérésie, même édit. d'Amsterdam, p. 6. C'est la seconde épître. On peut lire aussi le commencement de la première (1686) et celui de la cinquième satire (1694).

(2) Même édit., p. 52.

(3) Même édit., p. 49.

tout se présentait sous un aspect assez sombre. D'abord,

le presbytère :]

Hé! qui ne s'ennuirait d'une salle aquatique

Où vingt crapauds privés me donnent la musique.

Puis les habitants :

D'autre part, mon village est plein de gros manands, Picards en apparence et dans le fond normands (1). Enfin l'église :

Dans mon église l'on patrouille,

Si l'on ne prend bien garde à soi;
Et le crapaud et la grenouille

Chantent tout l'office avec moi (2).

Non seulement la résignation fut chrétienne et sacerdotale. Mais la vie du P. de Sanlecque, durant les treize années qui lui restaient à parcourir, attestait en lui une abnégation parfaite, un détachement absolu. Là, disait-il dans une pièce, restée inédite,

vivant comme un reclus,

Près de Dreux, loin d'Anet, je prends un soin extrême
A ne régner que sur moi-même.

De mes moindres défauts je songe à me guérir.

Je veux bien vivre et bien mourir (3).

Si les ressources eussent autorisé cette expression, l'on aurait pu dire que la charité du pasteur était inépuisable. Mais ce que l'on est en droit d'affirmer, c'est que les revenus de la cure appartenaient plus aux paroissiens qu'au curé. Les réparations les plus urgentes du presbytère étaient même laissées de côté. Y avait-il là, à la fois, un peu de l'insouciance du poète? C'est possible, c'est peutêtre probable. Une anecdote, dans l'hypothèse de sa réalité, prouverait au moins que le poète savait, en certaines cir

(1) Même édit., p. 24.

(2) Même édit., p. 55.

(3) B. S. G., carton Q. 2, Poésies inédites, deuxième cahier, fol. 34, vers. Cette pièce est adressée à Campistron, secrétaire du duc de Vendôme, et qu'il nomme « héros du Parnasse ».

constances, retrouver sa verve joviale. Obligé, pour éviter la pluie, de changer successivement son lit de place, il aurait rimé Les promenades de mon lit, poème sur lequel nous n'avons pu mettre la main (1).

Nous rappelions précédemment ce qu'étaient les sentiments du clergé au sujet de l'édit de Nantes. Nous pouvons invoquer ici un nouveau témoignage. Nous le puisons dans une œuvre, inédite encore, de notre poète. Sous le titre de Placet des religionnaires, Sanlecque disait à Louis XIV:

...

Grand roi, n'attends pas que mon cœur applaudisse Ces excès qu'on t'inspire avec tant d'artifice,

Ni que je mette au rang de tes justes exploits

Le désir d'extirper de fidèles sujets.

Bien que ta volonté soit une loi suprême,
Monarque glorieux, j'en appelle à toi-même,
Et contre le plus sage et le plus grand des rois
Je réclame aujourd'hui la justice et nos droits.
Quand les siècles futurs verront dans ton histoire
Un peuple, si soumis, si zélé pour ta gloire,
Abandonné sans cesse à l'injuste courroux
D'un conseil violent qui t'arme contre nous,
Quand ils verront Louis rejeter nos requêtes
Et lancer coup sur coup sa foudre sur nos têtes,
Quand ils verront, hélas! nos temples démolis,
De nos hymnes sacrés les concerts abolis,

Enfin quand ils verront notre âme désolée
Succomber sous le faix dont elle est accablée,
Que pourras-tu répondre à la postérité ?

Qu'on ne mette pas en avant le nom de Dieu, car ce Dieu

Ne veut pas qu'à l'autel on traîne les victimes (2).

Mais, dira-t-on, en face de ce document, il y en a un autre, produit de la même plume, et celui-là n'est pas resté à l'état de manuscrit : c'est l'Epitre, déjà citée, au roi après la

(1) Voir Titon du Tillet, loc. citat., et Moréri.

(2) Même carton Q. 2, deuxième cahier, p. 15 rect.

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