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Dame de Chage-lez Meaux, à Saint-Jacques de Montfort, à Beaulieu-lez-Le Mans, à Blois, à l'abbaye-mère, dans ceux de visiteur et d'abbé du Val des Écoliers de Liège, Alain Le Large s'est également distingué comme écrivain.

La langue latine lui était presque aussi familière que la langue française. Le seul ouvrage qu'il publia fut écrit dans la première. Traité déjà par nous signalé, les De canonicorum ordine disquisitiones (1) sont, le titre l'indique et l'ouvrage répond au titre, de savantes recherches sur l'ordre canonique. Cet ouvrage est même antérieur de deux années à celui du P. Chaponnel. L'ancien a dû être de quelque utilité au nouveau. A une érudition vraie l'auteur a eu le mérite d'unir une latinité de bon aloi (2).

Enfant de la Bretagne, le P. Le Large avait eu l'idée d'écrire l'histoire de cette province. Mais, ayant appris que dom Lobineau avait déjà commencé cet important travail, il limita ses études à sa ville natale, Saint-Malo, et au diocèse auquel elle donnait le nom. C'est dom Lobineau qui nous fait connaître ce détail dans la Préface de son Histoire de Bretagne. Il dit ensuite, rendant hommage à la science, à la modestie, à la largeur de vues et de sentiments du génovéfain: «S'il abandonna sans peine un grand et vaste « dessein, qu'il était capable de bien traiter, il ne nous « cacha point les lumières que de longues et judicieuses « recherches lui avaient acquises; et nous nous croyons obligés de lui rendre cette justice d'avouer que nous « avons extrêmement profité des conférences que nous << avons eues avec lui. »

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Il n'a pas été donné au P. Le Large de mener à bonne

(1) Paris, 1697, 1 vol. in-4. V. 1er vol., p. 67.

(2) La B. S. G. possède, ms. fr. H. 11, in-fol., la traduction de l'ouvrage sous le titre Dissertations sur l'ordre des chanoines réguliers, dans lesquelles il est traité de l'origine, des différents progrès et de la nature de cet ordre. La traduction est signée: Fouldrier de Boiruaux ou Boirvaux, chanoine régulier de la congrégation, avec cette date: Saint-Ambroise de Bourges, 13 juillet 1718.

fin l'Histoire du diocèse de Saint-Malo. Le P. Deshayes de la même congrégation s'était chargé de mettre en ordre et de compléter le manuscrit de son confrère défunt. Suivant dom Lobineau (1), on en attendait la publication. Mais l'histoire est toujours demeurée dans les cartons de Sainte-Geneviève où on la voit encore avec deux livres en moins (2). Dans cette œuvre, l'historien consciencieux et érudit se retrouve; et le narrateur, en faisant usage de l'idiome de son pays, ne se montre ni moins correct ni moins habile. M. Hauréau a utilisé, pour son historique du diocèse de Saint-Malo dans le tom. XIV du Gallia christiana, un résumé du travail du génovéfain (3).

Pendant son séjour à Notre-Dame de Chage, le P. Le Large se trouva en relation avec Bossuet, et une sorte d'intimité s'établit entre le docte religieux et le grand évêque.

Dans ce génovéfain, la sainteté brillait à l'égal de la science, mais une sainteté douce, attrayante, persuasive. « C'était un homme, dit encore dom Lobineau, qui joignait à une solide et sublime vertu des manières si engageantes, qu'on ne pouvait le connaître et le fréquenter << sans se trouver engagé à le suivre dans les routes de la perfection (4).

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(1) Préface de l'Histoire de Bretagne.

(2) Ms. fr. H. 50, in-fol. Les deux livres manquants sont le troisième et le quatrième.

(3) Col. 995-996 : « quam (historiam) non sine fructu consuluimus. » Ce résumé se trouve à la Bibl. nat., Fonds franç., ms. 22359, lequel ms. a appartenu à la Biblioth. des Blancs-Manteaux, avec la cote 86 D, et qui porte ce titre Extrait d'une histoire des évesques d'Aleth et de SaintMalo, composée par le P. des Haies, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, curé de Bazouge en Bretagne, sur les mémoires du P. Le Large, son confrère. D'après une note de ce ms., le P. Deshayes était originaire de Rennes.

(4) Loc. cit.

VII

SANLECQUE (LOUIS DE)

(1652-1714)

Dans le siècle qui a conquis et conservé la palme litté raire, Sainte-Geneviève eut aussi son poète français. Non pas assurément que nous prétendions élever le P. de Sanlecque au rang sublime des princes de la poésie. Sa place est plus modeste, sans être cependant à dédaigner.

Louis de Sanlecque appartenait à une famille d'artistes et de savants. Le grand-père, Jacques de Sanlecque, avait justement mérité la réputation d'un des plus habiles graveurs de poinçons, en même temps que celle d'un des plus ingénieux fondeurs de caractères d'imprimerie. Le père, également appelé Jacques, supérieur même au premier dans l'art de la gravure en ce genre, savait le latin, le grec, le syriaque, l'arabe, l'anglais, l'espagnol, l'italien, et avait, en outre, des connaissances étendues en théologie, médecine, jurisprudence, mathématiques, astronomie. A tout cela il joignait le génie musical à tel point que, sans avoir reçu aucune leçon, il pouvait jouer de toutes sortes d'instruments. Un de ses jeunes enfants s'annonçait comme un prodige à sept ans, il possédait la langue grecque et la latine, se trouvait initié à l'hébraïque et n'était pas étranger à la science de la philosophie (1). Si la mort frappa cet enfant admirable ayant à peine accompli son second lustre, deux autres frères ne laissèrent pas d'ajouter quelque éclat au nom de Sanlecque, l'un en suivant la même carrière (2), l'autre en cultivant un art différent.

(1) Vigneul-Marville, Mélanges d'histoire et de littérature, Paris, 1701. tom. I, p.p. 80 et suiv.

(2) Jean tel était son prénom

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T. II.

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Louis de Sanlecque entra de bonne heure à l'abbaye de Sainte-Geneviève. Une circonstance révéla son talent de poète. Il avait été envoyé comme régent dans la maison de Nanterre. Les jours gras approchaient. Le P. Pilgrain, professeur de rhétorique et poète latin estimé, l'engagea à préparer une pièce pour être jouée en ces jours par les élèves. Comme le jeune régent n'avait plus qu'un mois devant lui, il fit représenter, après corrections, le Bourgeois gentilhomme de Molière, pièce à laquelle il adapta, pour servir d'entrée, quatre ou cinq cents vers de sa façon. Dans ces vers, le poète faisait défiler le public, désireux d'assister à la représentation: Parisiens, Picards, Normands, Bretons, Bourguignons, Auvergnats, Gascons, tous venaient se présenter à la porte du théâtre et tous recevaient, de la bouche des Suisses qui la gardaient, cette réponse impi. toyable Point d'argent, point de suisses. Cette composition fut très goûtée (1). Aussi, pendant les sept ou huit ans qu'il régenta à Nanterre, fut-il l'auteur ou l'arrangeur, en quelque sorte attitré, des pièces destinées au théâtre de la maison.

Sorti de Nanterre et n'ayant plus les absorbantes occupations du professorat, il aspira, pour parler le langage du temps, à s'élever plus haut sur la montagne du Parnasse. Il osa débuter par une attaque, à couvert, contre Boileau, déjà presque à l'apogée de sa gloire. Voici les raisons d'une pareille audace.

Le duc de Nevers, un des beaux esprits de l'hôtel de Rambouillet, s'était prononcé pour la Phèdre de Pradon contre la Phèdre de Racine. Après la première représenta

lisons-nous dans Moréri, les poinçons et matrices de son père et de son grand-père à Jean-Eustache-Louis Sanlecque, son fils, entre les mains duquel ils subsistent toujours dans la même beauté qui les a fait employer par les Petit, les Cramoisi, les Muguet et autres célèbres impri

meurs... >>

(1) D'après Titon du Tillet, le Parnasse françois, Paris, 1732, in-folio, p. 551, des fragments avaient été conservés.

tion de la pièce de ce dernier, un sonnet circula qui fut attribué au duc et dont le premier quatrain décochait ces traits:

Dans un fauteuil doré, Phèdre, tremblante et blême,
Dit des vers où d'abord personne n'entend rien.

Sa nourrice lui fait un sermon fort chrétien
Contre l'affreux dessein d'attenter sur soi-même.

On répondit par un autre sonnet, en empruntant les rimes du précédent :

Dans un palais doré, Damon, jaloux et blême,
Fait des vers où jamais personne n'entend rien.
Il n'est ni courtisan, ni guerrier, ni chrétien,
Et souvent pour rimer il s'enferme lui-même.

La sœur du duc y était cruellement outragée (1). Ce dernier, persuadé à tort que Racine et Boileau étaient les auteurs de la pièce, s'emporta, dans un nouveau sonnet où revenaient encore les mêmes rimes, jusqu'à écrire :

Vous en serez punis, satiriques ingrats,

Non pas, en trahison, d'un sou de mort-aux-rats,
Mais de coups de bâtons donnés en plein théâtre (2).

Toutefois le prince de Condé les prenant, coupables ou innocents, sous sa protection, le malheureux duc dut estimer plus sage de frapper ou faire frapper à coups de vers. C'est alors que le jeune Louis de Sanlecque vint à son

(1) Hortense Mancini, épouse de Charles de La Porte, duc de La Meilleraye :

Une Sœur vagabonde aux crins plus noirs que blonds

Va partout l'univers promener deux tétons,

Dont, malgré son païs, Damon est idolatre.

On avait en vue de retourner ce tercet:

Une grosse Aricie, au teint rouge, aux erins blonds,
N'est là que pour montrer deux énormes tétons,
Que, malgré sa froideur, Hippolyte idolâtre.

On désignait par cette Aricie l'actrice qui avait créé le rôle de Phèdre dans la pièce de Racine.

(2) Ces sonnets sont cités en entier dans l'Avertissement qui précède la VIIe Épitre de Boileau, dans les OEuvres de Boileau, Paris, 1772, in-8o, tom. II, p. 107-111.

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