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grégation, pleine de sujets qui ont beaucoup de mérite et d'érudition» (1).

C'est à ce titre que, dans une contestation, qui fit du bruit à l'époque, entre augustins et bénédictins, il fut opposé, comme défenseur des premiers, à l'illustre Mabillon, défenseur des seconds. Aux États de Bourgogne, en 1688, il s'agissait de savoir qui, des chanoines réguliers ou des moines de la province, auraient la préséance. Chacun des deux ordres y prétendait et défendait, depuis plusieurs années déjà, par la parole et la plume, ce qu'il estimait son droit, sa prérogative. Des factums étaient donc produits de part et d'autre, et en dernier lieu par les deux savants désignés. L'antiquité respective des deux ordres, leur rang et leur mission dans l'Église, le droit canonique, le droit civil, les coutumes générales et particulières, tout cela était tour à tour invoqué et contesté, affirmé et nié, attaqué et soutenu. Le célèbre abbé de Rancé n'avait pas tout à fait tort de qualifier ainsi le procès : « J'ai vu les fac«<tums des chanoines réguliers et des bénédictins. Les « hommes me font compassion; à quoi passent-ils leur « temps? En vérité un moine est bien mieux dans son «< cloître que dans les assemblées publiques; ne leur per<< suadera-t-on jamais que leur gloire est de se cacher et « de ne se mêler de rien, et leur honte de se montrer et « de se mêler d'affaires (2)? »

Sa qualité de moine avait sans doute rendu l'austère abbé de la Trappe plus sévère à l'endroit des bénédictins. Mais sa parole se retournait également contre les chanoines réguliers. La science ecclésiastique gagnait assez peu à des

(1) Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques du XVIIe siècle, 5e partie, p. 510.

(2) Ellies du Pin, ibid., p. 72-84. Ces factums étaient livrés à la publicité, à l'exception de la seconde réplique de Dantecourt, « parce que les Etats, dit le P. Le Long, tom. I, no 11637, ne voulurent pas terminer le fond du débat. Les bénédictins gardèrent leur place, et on en donna une hors de rang aux chanoines réguliers ».

discussions aussi embrouillées, tandis que l'humilité religieuse, du moins aux yeux du public, y perdait beaucoup. Nous devons chercher ailleurs, pour le génovéfain Dantecourt, la gloire d'écrivain.

L'argument de prescription a toujours fort embarrassé les protestants. Nicole et Bossuet, en particulier, en ont fait un victorieux usage, le premier dans son livre : Préjugés légitimes contre les calvinistes, et le second dans sa conférence avec Claude. Ce dernier, suivant son habitude et ses ardeurs belliqueuses, s'était empressé de lancer dans le public une prétendue réfutation des Préjugés sous le titre : La défense de la réformation contre le livre (1)... Parmi les catholiques, cette nouvelle œuvre du ministre fit assez peu d'impression, et on ne jugea point qu'elle appelât une réfutation directe, spéciale. Bossuet, d'ailleurs, quelques années après (2), en triomphant de Claude dans le mémorable duel théologique, avait, du même coup, réduit à néant tout le livre du ministre. Mais les protestants tirant gloire, aussi bien que l'auteur, de ce livre demeuré en définitive inattaqué, il parut nécessaire d'opposer une réponse (3).

Ce fut le Père Dantecourt qui se chargea de la tâche. Ses études théologiques et littéraires le rendaient apte à la remplir avec honneur. Il y consacra sa précision doctrinale, sa connaissance des Pères, sa science des faits et des personnes, la sagacité de son esprit, la rectitude de son jugement, la force de sa logique; et toutes ces ressources furent exploitées dans un langage modéré, convenable, soutenu, solide, parfois élevé et élégant. En sorte que l'œuvre produite, tant pour le fond que pour la forme, ne devait pas être indigne de l'âge d'or de notre littérature, ni même figurer

(1) Les Préjugés sont de 1671 et la Défense de 1673. (2) En 1678.

(3) La défense de la réformation comptait plusieurs éditions; et la Réponse au livre de M. Meaux, intitulé: Conférence avec M. Claude, en 1683, montrait bien que ce dernier était loin de s'avouer vaincu.

T. II.

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sans quelque éclat, mais au second plan, dans ce siècle si fécond en chefs-d'œuvre. Disons aussi que le rang même occupé par l'auteur dans le monde savant- il était chancelier de l'université lui permettait, sans témérité

apparente, de relever le gant jeté par les huguenots aux catholiques et de s'avancer dans l'arène, tête haute et visage découvert. Mais, s'il releva le gant avec vaillance, il préféra, en religieux sans doute, disparaître sous le voile de l'anonyme (1).

Si nous nous en rapportons au Dictionnaire des anonymes (2), ce ne serait pas la première fois que le docte génovéfain prit la plume contre les assertions téméraires ou injustes du ministre de Charenton. Le P. Dantecourt aurait également écrit ce volume: Remarques sur le livre d'un protestant intitulé: Considérations sur les lettres circulaires de l'assemblée du clergé de France de l'année 1682. Ce protestant était Claude. Le livre voyait le jour en 1683 (3). Nous dirons volontiers : l'étude attentive du volume viendrait confirmer l'assertion de Barbier; il y a moins d'érudition sans doute dans cette première œuvre - le sujet ne demandait pas davantage, mais la manière de dire et de sentir, parfois même les pensées semblent bien révéler une commune origine.

Quoi qu'il en soit, deux mots sur l'objet du livre et les circonstances qui l'ont fait naître.

(1) Défense de l'Église contre le livre de M. Claude, Cologne, 1689, 2 vol. in-12, édit. très compacte.

(2) Barbier, no 16255. Ellies du Pin, Moréri, Feller, le Dictionnaire universel... des sciences ecclésiastiques, des PP. Richard et Giraud, n'attribuent à Dantecourt d'autres ouvrages que les Factums et la Défense.

(3) Paris, 1 vol. in-12. Aux Remarques s'ajoutait un Examen de trois endroits importans du livre de M. Burnet, protestant anglois, sur le même sujet. Les Considérations avaient été imprimées à La Haye, cette même année 1683. Les Remarques étaient dédiées à l'archevêque de Paris, François de Harlay, qui avait présidé l'assemblée « avec cette haute capacité et cette expérience consommée qui lui ont si justement mérité la vênêation et l'amour de tout le monde ». (Dédicace.)

L'assemblée de 1682, après avoir donné la mesure de son servilisme aux volontés de Louis XIV, qui l'avait du reste convoquée pour cela, s'occupa d'une œuvre plus chrétienne et surtout plus ecclésiastique, nous ajouterons plus française la conversion des calvinistes du royaume; car cet heureux résultat, poursuivi par l'Église, qui se montrait en cela fidèle à sa mission, était désiré par la France elle-même, qui aspirait à l'unité de la foi religieuse. Quatre choses furent décidées et aussitôt accomplies ou obtenues : on adressa un avertissement pastoral aux calvinistes pour les engager à rentrer dans l'Église; on consigna dans un mémoire les diverses méthodes dont on pouvait heureusement se servir dans ce même but; on rédigea une lettre à tous les prélats du royaume, afin de faire appel à leur zèle évangélique en faveur du grand dessein; enfin, deux missives du roi furent octroyées, l'une pour les mêmes prélats, et l'autre pour les commissaires départis dans les provinces, leur enjoignant « de travailler avec zèle et dans l'esprit de paix au soin d'un ouvrage si avantageux à la gloire de Dieu et au bien de l'État, d'agir de concert dans cette sainte entreprise, sur toute chose de ménager avec douceur les esprits de ceux de la religion prétendue, de n'employer que la force des raisons pour les ramener à la connaissance de la vérité, et de ne rien faire contre les édits et déclarations, en vertu desquels l'exercice de leur religion est toléré » (1).

Dans tout cela, assurément, même aux yeux du protestant sensé et impartial, il ne pouvait y avoir rien de répréhensible le but était noble et les moyens adoptés ou conseillés se renfermaient dans les limites évangéliques. Mais voici que l'organe le plus accrédité des calvinistes en jugea autrement. S'il s'en était tenu à une protestation mesurée, convenable, on l'eût compris l'attachement à une secte religieuse, surtout de la part des ministres, n'admet guère (1) Avertissement des Remarques.

le besoin, la nécessité d'une conversion pour les adeptes. Hélas! la modération n'entrait pas dans les habitudes de Claude. Sous sa plume, les assertions hasardées se produisirent, les erreurs s'accentuèrent, les accusations gratuites prirent corps, en sorte que la pensée de la haute assemblée se trouvait indignement travestie, l'œuvre injustement appréciée, peut-être compromise. La vérité demandait un vengeur. Le zèle religieux le suscita dans l'auteur des Remarques.

En suivant ces discussions, on peut se faire une idée, au sujet de l'édit de Nantes, et des préoccupations des protestants, et de l'état de l'opinion publique, et des sentiments du clergé.

Les événements, deux années plus tard, montrèrent bien que les préoccupations des protestants n'étaient pas sans fondement la révocation de l'édit ne justifia que trop leurs craintes et le cri d'alarme poussé par le principal champion du parti.

L'opinion publique pouvait se résumer dans ces paroles de notre auteur: « Il est certain que les raisons qui ont « obligé Henri le Grand à accorder aux prétendus réformés « tout ce qui est porté par l'édit de Nantes ne subsistent << plus : leur nombre était bien autrement grand qu'il l'est « à présent; il reste peu de noblesse parmi eux et encore << moins de personnes de la haute qualité; ils n'ont plus << de places de sûreté où ils puissent se fortifier, plus de

prince à leur tête, plus d'argent pour soutenir les frais <«<de la guerre, plus de porte pour faire entrer les étran«gers dans le royaume. Il n'y a donc plus rien à craindre « de leur côté, et, par conséquent, rien qui puisse obliger << le roi à les conserver dans les termes de cet édit que sa << seule bonté royale, laquelle ils devraient mieux ménager

«

qu'ils ne font, en publiant tant de livres séditieux qu'on << voit aujourd'hui paraître (1).

(1) Remarques..., p. 30.

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