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prêche; il les confondit par plusieurs thèses et défis imprimés auxquels ils n'osaient répondre, et dans les entretiens particuliers où il se trouvait fortuitement en leur compagnie...; il les confondit enfin et les mit en fuite, d'une manière honteuse, à la conversion de plusieurs d'entre eux. »

Parmi ces convertis figurait une parente du fameux Farel. Notre manuscrit porte: une petite-fille. N'ayant pu décider ni ministre ni autre huguenot à entrer en conférence avec le P. Guillery, cette généreuse personne mit fin à ses dernières hésitations et revint à la religion que ses pères avaient abandonnée.

Encouragé par tant de succès, le digne curé se proposa d'établir à Saint-Lô une sorte d'Académie de controverses. Deux controversistes de Paris vinrent inaugurer la série de ces conférences dogmatiques, qui, par le fait du changement du promoteur, ne paraissent pas s'être continuées.

:

D'une conscience plus que timorée, le P. Guillery, malgré ses incontestables succès, se croyait toujours au-dessous de la situation. Ce qu'il avait fait pour le poste d'Essomes, il le fit pour celui de Saint-Lô il demanda à en être relevé. Son désir était la retraite, pour mieux s'y sanctifier; et, dans le cas où la vie active lui serait encore imposée, son ambition se bornait à une paroisse de campagne. Ni le désir ni l'ambition ne furent satisfaits. On le nomma, en 1662, à l'importante cure de la Ferté-Milon.

Il se retrouvait dans le diocèse de Soissons, dont l'évêque l'avait proclamé le modèle des curés. Vingt nouvelles années de ministère pastoral confirmèrent cette appréciation.

A La Ferté-Milon, comme à Saint-Lô, il attacha son nom, en la créant, à une œuvre féconde, celle des conférences ecclésiastiques, actif stimulant pour l'étude, foyer où se réchauffait et s'éclairait le zèle sacerdotal.

Le P. Guillery songeait encore à la retraite. Mais la Providence lui ménagea le repos de l'éternité. Il était sur

son lit de souffrance, lorsqu'il reçut d'un de ses meilleurs amis, le P. Lalemant, une lettre de suprême adieu. Il se consola à la pensée qu'il le suivrait bientôt dans une patrie meilleure, se réunissant à lui pour ne s'en séparer jamais. Cette existence si bien remplie a été racontée par un contemporain,

GABRIEL DE BOISSY,

également enfant de Sainte-Geneviève (1). C'est dans cette histoire que nous avons puisé.

Blondel en a donné un abrégé à la fin de ses Vies des Saints (2), ne pensant pas qu'il y eût de l'exagération dans ces lignes tracées par l'auteur dans la dédicace au P. Beurrier touchant son héros : « Dieu l'a fait un de ces hommes « rares, grands en vertu, qu'il destine pour être, comme lui, les sauveurs des âmes dans la charge de pasteur. » Le P. de Boissy lui-même maniait habilement l'arme de la controverse. La paroisse de Roucy, au diocèse de Laon, en fut témoin en 1663 (3).

Si la puissance de la logique lui faisait remporter des triomphes, la connaissance de la vie religieuse lui permettait de donner de salutaires conseils, soit pour obéir parfaitement à la règle, soit pour en pénétrer intimement l'esprit (4).

(1) Ce petit volume, correctement écrit, figure parmi les mss. français de la Bibl. Sainte-Genev., avec la cote: H. 6, in-8°. L'auteur mentionne encore comme ouvrages imprimés du P. Guillery:

1o Une traduction simple et littérale du Nouveau Testament selon la Vulgate;

2o Les motifs de l'abjuration de Mlle des Bordeaux.

Par le premier travail, Guillery avait voulu donner une version assez exacte et assez claire pour être admise dans les controverses. Dans le second, il faisait connaitre l'œuvre de la grâce et la sienne dans une laborieuse conversion.

Nous n'avons pu mettre la main sur aucun des exemplaires de ces deux

ouvrages.

(2) Paris, 1722, in-fol., p.p. 1502 et suiv.

(3) On peut consulter, B. S. G., ms. fr. H. 39, in-fol., Lettre du P. Gabriel de Boissy..., contenant la relation de ce qui s'est passé au synode..., lenu au chasteau de Roucy...

(4) On peut lire aussi, même Bibl., ms. fr. E. 9, in-8, un commentaire des constitutions de la congrégation.

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Courbevoie, près Paris, fut la patrie de René Le Bossu, et Nanterre le berceau de ses études.

Le jeune René reçut l'habit de génovéfain à dix-huit ans. Ses cours de philosophie et de théologie terminés, il enseigna dix ou douze ans la rhétorique dans diverses maisons de la congrégation. Bibliothécaire avec du Molinet à l'abbaye de Paris, puis sous-prieur à l'abbaye de SaintJean de Chartres, il sut se faire, ici comme là, une retraite studieuse.

Philosophe, il tenta la conciliation entre Aristote et Descartes. Mais son Parallèle de la philosophie de ces deux princes de la pensée, s'il ne passa point tout à fait inaperçu, tomba promptement dans l'oubli.

Littérateur, son Traité du poème épique, qui parut la même année (1675), eut un grand et légitime succès (1).

La longue campagne contre les anciens, relativement au mérite littéraire qu'on prétendait supérieur chez les modernes, était engagée et ardemment conduite. Desmarets de Saint-Sorlin tenait la tête des combattants. Sans vouloir se jeter dans la mêlée, Le Bossu ne laissa pas de montrer, en ce qui touchait son sujet, quel parti obtenait ses préférences: « N'ayant pas entrepris cet ouvrage, disait-il, pour « former des poètes à la manière d'aujourd'hui, que je ne « connais pas assez, mais seulement pour me servir de « fondement dans le dessein d'expliquer l'Enéide de Vir« gile, je ne dois point m'arrêter à tout ce que l'on aura << inventé en ces derniers temps..... Laissant à la postérité « à décider si ces nouveautés sont bien ou mal imaginées, je m'arrêterai seulement à ce que je croirai trouver dans « Homère, dans Aristote et dans Horace. Je les interpré<< terai les uns par les autres, et Virgile par tous les trois, « comme n'ayant qu'un même génie et une même idée dans la poésie épique (2). »

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Esprit cultivé, jugement droit, mémoire heureuse, imagination vive, sens exquis, raisonnement sûr, langage facile et non dénué de charmes, l'écrivain avait tout pour remplir avec bonheur et non sans gloire le cadre qu'il s'était tracé.

Le Traité vit le jour vers la même époque que l'Art poétique de Boileau (3). A part l'exclusivisme professé par ce dernier, au sujet du merveilleux chrétien, le poète et le prosateur se rencontraient pour tracer judicieusement les règles de l'épopée, l'un en les condensant, l'autre en les

(1) Suivant Le Courayer, « le public le reçut avec un applaudissement que quarante années n'ont fait qu'augmenter ». (Mémoire touchant le R. P. Le Bossu, au commencement du Traité, édit. de La Haye, 1714.) (2) Traité du poème épique, liv. I, ch. 1.

(3) L'Art poétique fut donné au public en 1674; et la première édition du Traité du poème épique, nous le disions à l'instant, date de 1675.

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