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opportune retraite. Malgré le zèle qu'il déployait (1), ses fonctions de pasteur lui laissaient de nombreux loisirs qu'il consacrait, soit à l'étude des langues italienne et espagnole, soit à la composition de nouveaux ouvrages (2). Le ministère évangélique s'ouvrait même pour lui au dehors. Sa parole, comme prédicateur, se fit entendre à Sens et à Nevers, et, comme controversiste, sous la halle de Bourgueil, en présence de trois ou quatre mille personnes, mémorables séances où les élèves de l'académie de Saumur affluaient et où les professeurs étaient invités à venir proposer et appuyer leurs objections (3).

Des recherches à faire ou des devoirs à remplir l'amenaient souvent à Paris. Comment, en effet, aborder de pareils sujets d'érudition en se privant des ressources des bibliothèques de la capitale? D'autre part, ne demeurait-il pas toujours chancelier de l'université? La congrégation ne lui confiait-elle pas aussi certaines missions, par exemple, celles de porter, dans de solennelles circonstances, la parole en son nom (4).

(1) Notre ms. rapporte que les dimanches et fêtes il allait aux cabarets chercher les buveurs pour les amener aux offices et à la prédi

cation.

(2) Il en a commencé deux, les a conduits loin, sans les achever cependant. L'un traitait des chanoines, de leur origine et de leur état dans le cours des âges, l'autre de l'Église des premiers siècles comparée à l'Église catholique d'aujourd'hui. Le premier était un monument élevé à la gloire de l'ordre, le second une réponse aux attaques, sans cesse renouvelées, des hérétiques modernes. La Bibl. S. Gen. possède les deux mss., l'un : De origine canonicorum..........., sous la cote ms. lat. E. 18, in-fol., l'autre : De vita et moribus christianorum, sous la cote ms. lat. H. 19', in-fol. (3) Bourgueil est une petite ville à trois lieues de Saumur. Benais n'était pas non plus éloigné de Bourgueil. Ces diverses localités appartenaient au diocèse d'Angers.

(4) C'est ainsi qu'on lui confia l'éloge funèbre de Matthieu Molé : Oratio funebris in obitum Matthei Molé, Paris, 1656. Ce discours fut prononcé le 28 janvier 1656, au service religieux célébré à Sainte-Geneviève pour le repos de l'âme de l'illustre garde des sceaux. L'orateur satisfit pleinement son auditoire « qui estoit composé des plus doctes de Paris et des plus considérables de la robe ». Pierre Corneille écrivait au P. Boulart au

Mais les ennemis de l'exilé trouvaient que c'était là jouir de trop de liberté. D'ailleurs, lui-même ne perdait pas de vue la grande querelle religieuse. Il avait rédigé deux lettres, une pour le pape, l'autre pour le roi, les priant de choisir dans les deux camps des docteurs dont l'arrêt sage, pondéré, mettrait fin à l'interminable débat. Si ces lettres restèrent dans les cartons de l'auteur, c'est que de prudents amis l'engagèrent à ne pas les expédier. Nicéron lui attribue la lettre publiée, en 1656, sous le nom d'un théologien exposant les raisons qui ne lui permettaient pas d'adhérer aux décisions de l'assemblée du clergé (1). On lui attribuait aussi la fameuse distinction du droit et du fait, ce grand cheval de bataille des jansénistes. Quoi qu'il en soit, au commencement de 1661, une lettre de cachet le confina dans son bénéfice avec défense expresse d'en sortir.

Grâce à de hautes et pressantes interventions, la défense fut levée à la fin de l'année et même le rappel autorisé. Mais ces deux conditions avaient été imposées la révocation de l'approbation donnée à la traduction française du Missel (2), et la signature du Formu

sujet de ce discours : « Je vous rends grâce de ce que vous m'avés envoyé « de la façon du R. P. Fronteau : c'est un grand homme en tout, et ce << n'est pas avoir peu fait d'effait sur moy que de m'avoir obligé de lire << son oraison funèbre toute entière, moy qui ay une aversion naturelle « contre les panégyriques et qui n'ay jamais pu lire plus de quatre pages « d'aucun qui soit tombé sous ma main; je n'en excepte pas mesme celuy « de Pline Second. » (Lettre datée de Rouen, 10 juin 1656, et publiée pour la première fois dans Bibl. de l'École des chart., tom. III, 3e sér., p. 360.) Quelques mois après cette oraison funèbre, Fronteau adressait une lettre de consolation aux deux fils du non moins illustre Bignon, qui mourut en avril 1656, Bignonio in auditorio Paris. advocato regio el publico ejusque fratri, lettre rendue publique cette année même.

(1) Lettre d'un théologien à une personne de condition, où il déclare les raisons qui l'obligent à ne pas souscrire à l'ordonnance de Messeigneurs les évesques assemblés au Louvre, l'an 1654, el qui a été ensuite confirmée en l'assemblée générale du clergé tenue à Paris, l'an 1656. (Voir Nicéron, tom. XXI, p. 88.)

(2) Cette traduction avait été publiée en 1860. C'était l'œuvre de Voisin. Fronteau l'avait approuvée. Condamnée, cette même année, par l'assemblée du clergé, et, l'année suivante, par Alexandre VII, le roi en avait prononcé la suppression par arrêt du conseil.

laire (1). Fronteau s'était soumis. L'exil avait duré sept ans (1654-1661). Le retour à Paris s'effectua en janvier suivant ; et, sur la demande de l'archevêque de Sens, le gracié fut nommé à la cure de Sainte-Madeleine de Montargis où il mourut deux mois après avoir pris possession (2).

Fronteau était incontestablement un des hommes les plus érudits de l'époque (3). Sa plume a beaucoup produit (4). Ses œuvres, toutes en latin, dénotent un habile dans cette langue classique : c'est l'écrivain correct et par

(1) Il s'agit toujours du Formulaire dont la signature était prescrite comme preuve d'orthodoxie.

(2) Notre ms. raconte sa mort en ces termes : « Ayant rencontré, en « faisant la visite de ses paroissiens malades, un pauvre passant gene<< vois qui estoit hérétique, son zèle toujours ardent l'arresta... auprez de <ce malade rempli d'infection et de pourriture; et, quoi qu'il sentist fort «mal, il ne laissa pas de demeurer près de luy, pour tascher de le con<< vertir et le ramener au giron de l'Église. On ne sçait pas au vray si ce « fot là qu'il gaigna sa maladie; mais, sur le minuit, il se trouva atta« qué de trois grands maux... » dont il mourut, en avril 1662.

(3) On peut lire l'éloge que le P. Lalemant a fait de lui sous le titre de Memoria, Paris, 1663, in-4o, éloge à la suite duquel on lit plusieurs pièces tant en prose qu'en vers.

(1) Citons encore parmi ses œuvres imprimées :

1° Dissertatio philologica de virginitate honorata, erudita, adorata, fecunda, Paris, 1651, in-4; Dissertatio dédiée à Fillustre el vénérable chapitre de Chartres.

2o Epistolæ selectæ, Liège, 1674, in-16, lesquelles lettres avaient été précédemment et séparément mises au jour.

Ces lettres roulaient sur des sujets importants. Ainsi, par exemple: Familia christiana in primis Ecclesiæ seculis, au premier président de Lamoignon ;

De canonicis cardinalibus;

De episcoporum pastorumque nomine, officio et dignitate;

De moribus et vita christianorum in primis Ecclesiæ seculis;

De signo crucis ;

De origine parochiarum, deque fundamentis obligationis ad eas conveniendi.

Citons aussi parmi ses œuvres inédites :

1 De Ecclesia, B. S. G., ms. lat. H. 19, in-fol., traité où une place assez considérable est réservée aux chanoines réguliers;

2o Historia cancellarii S. Genovefæ, au commencement du ms. lat. H. 25, in-fol., même Bibl. ;

3o Hymnes et épigrammes, même Bibl., ms. lat. Y. 5, in-12, opuscule qui prouve de nouveau que la langue de Virgile et d'Horace ne lui était pas plus étrangère que celle de Cicéron et de Sénèque.

fois élégant. Les savants l'estimaient. S'il eut des adversaires ardents, il connut aussi des amitiés illustres citons Matthieu Molé, Bignon, Ménage (1), Naudé, les PP. J. Sirmond et Peteau parmi les jésuites, Morin et Thomassin parmi les oratoriens (2).

III

LALEMANT (PIERRE) (3)
(1667-1673)

A Reims appartient la naissance de Pierre Lalemant, à Paris sa carrière. Appelé à la chaire de rhétorique du collège du cardinal Le Moine, les progrès des élèves n'attestaient pas moins son dévouement que sa capacité et l'efficacité de sa méthode. Sa méthode était plus pratique que théorique: il visait surtout à inculquer par l'exercice les préceptes aux élèves. Élevé à la plus haute dignité de l'université, dix élections successives furent un éloquent hommage rendu aux aptitudes de la personne et à la bonté de la gestion. En enseignant aux autres les règles de l'éloquence, il les appliquait lui-même dans des œuvres oratoires qui furent remarquées, sermons, panégyriques, oraisons funèbres, discours de circonstances (4).

(1) C'est à Ménage qu'il destinait une dissertation latine, rendue pu blique, dans le but d'expliquer pourquoi il a latinisé son nom en Fronto, Frontonis, et non point en Frontellus, Fronlæus, contrairement à l'avis de plusieurs : De nomine suo laline vertendo dissertatio ad Ægidium Menagium. (Nicéron, tom. XXI, p. 86.)

(2) Nous avons marqué plus haut que le P. Fronteau et, après lui, le P. Lalemant, furent pour l'abbaye des bibliothécaires d'un zèle admirable.

(3) Ce génovéfain n'orthographiait pas autrement son nom patronymique. On peut voir, en particulier, ses ouvrages par lui-même publiés. Nous avons constaté la même chose dans la signature manuscrite.

(4) Nous possédons de l'orateur, dans cette période, l'oraison funèbre, en latin, d'Omer Talon Oratio in honorario funere..., Paris, 1653, in-4o.

:

Qui pourrait dire toutes les voies mystérieuses par lesquelles Dieu sait arriver jusqu'aux âmes pour les toucher et les porter à répondre à ses appels?

La crainte de n'observer pas assez bien les vérités évangéliques qu'il enseignait aux autres, fut, pour Pierre Lalemant, une des causes déterminantes de sa vocation religieuse, et l'amour de la hiérarchie ecclésiastique, l'image s'en offrant là plus sensible, fixa son choix sur la Congrégation de France: le prédicateur en renom, l'habile professeur, le recteur apprécié de l'université de Paris alla s'ensevelir dans la solitude de Saint-Vincent de Senlis.

Pierre Lalemant n'était alors àgé que de trente-trois ans. Il avait été recteur du 23 juin 1653 au 10 octobre 1655, année de sa retraite dans ce monastère. Le noviciat achevé, l'abbaye de Paris l'appela dans son sein.

On se souvenait de l'orateur. C'est à lui qu'on demanda l'oraison funèbre de Pompone de Bellièvre, premier président au parlement de Paris. Le discours fut donné, le 27 avril 1657, dans l'église de l'Hôtel-Dieu, au service solennel que les administrateurs y faisaient célébrer. Le défunt, en sa qualité de premier président, avait le titre et exerçait la charge de premier administrateur de ce vaste

Ce discours fut prononcé dans l'église des Mathurins, au service religieux que l'université fit célébrer pour le repos de l'âme de l'éloquent avocat général.

Quelques harangues du recteur de l'université ont pris place dans un recueil de l'époque, Harangues célèbres et remonstrances... et quelques oraisons funèbres... recueillies par Me L. G., advocat au parlement, Paris, 1655, in-1o.

Dans l'une qu'il faisait entendre à la reine d'Angleterre, Henriette de France, en lui présentant un cierge le jour de la Purification, il s'exprimait avec cette délicatesse : « Les roses dont la couronne d'Angleterre «<est tissue, ne nous sont pas moins vénérables pour estre environnées « d'espines; et cette croix intérieure que Jésus-Christ luy-mesme vous «< imprime dans le cœur, ne nous paroist pas moins esclatante que celle << que vous portez sur la teste comme une marque de vostre authorité. (Ibid., p. 167.)

Cette cérémonie de la présentation d'un cierge, à la Chandeleur, au nom de l'université, a été l'objet de décrets portés par ce docte corps. (Duboulay, Histor. univers., tom. VI, p.p. 330 et 785.)

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