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de la vraie méthode qui veut des divisions logiques ou impose l'ordre chronologique, groupements arbitraires ou forcés, détails inutiles ou même peu relevés, marche pénible, développement laborieux, voilà spécialement ce qui caractérise ce discours d'une longueur démesurée (1).

La Morinière fut aussi écrivain. On dit même qu'il avait une telle facilité de style, « qu'il ne raturait jamais » (2). Il nous a laissé une monographie du grand cardinal dont il avait célébré les vertus dans la chaire chrétienne. Malheureusement la monographie, assez correctement écrite, est une sorte de second éloge dans de plus larges proportions (3). C'est, du reste, le défaut de l'époque les biographies étaient plutôt des panégyriques que de véritables études d'histoire.

(1) 61 pages in-4o.

Ce n'est pas que le souffle de l'éloquence ne vienne animer certaines parties de ce discours. Témoin le passage où l'orateur, voulant rappeler ce que son héros a fait en particulier pour l'église Sainte-Geneviève, s'écrie: « Parlez donc pour moy, marbres sacrez qui soutenez ses voûtes; parlez « pour moy, belles peintures qui luy servez d'ornement; parlez pour moy, << tombeau d'une pauvre bergère, mais d'une grande sainte; parlez pour moy, « riche et superbe châsse qui enfermez le sacré dépost de ses reliques; « parlez pour moy, divin sanctuaire, précieux tabernacle qui nous mettez encore devant les yeux la richesse et la gloire de celuy du Vieux Testa<<ment: parlez et dites le zèle que ce grand cardinal a eu à la décoration « des églises... » (p. 67).

(2) Mème ms.

(3) Les vertus du vray Prélat représentées en la vie de Monseigneur PÉminentissime cardinal de La Rochefoucauld, Paris, 1616, in-4°.

Le panégyrique, qui s'annonce ainsi par le titre, apparaît jusque dans! division du travail du P. de La Morinière. Ainsi:

Livre I

Des qualites naturelles et morales de Monsieur le cardinal.

Livre III

Des opérations de sa charité envers luy mesme (première partie).
Des opérations de sa charité envers le prochain (deuxième partie).
Des opérations de sa charité envers Dieu (troisième partie).

Livre IV

De ce qu'il a fail pour les ordres religieux (première partie).

II

FRONTEAU (JEAN)

(1614-1662)

Jean Fronteau (1) naquit à Angers en 1614. Son père exerçait une charge de notaire en cette ville. Le jeune enfant fut placé, à l'âge de huit ou neuf ans, chez le curé d'Épiré, paroisse des environs. Ce digne ecclésiastique passait pour l'homme qui, dans la contrée, connût mieux le latin et le grec. Retiré au bout de trois ans, parce que le père le destinait aux affaires et non aux études, renvoyé sur ses instantes prières à Épiré pour y passer encore deux ans, l'élève devint si bon humaniste, qu'il pouvait « tourner sur-le-champ le français en latin et en grec fort correctement ». Le superlatif doit être de trop, puisque nous voyons le studieux écolier entrer en troisième chez les oratoriens d'Angers. Il resta dans cette maison jusques y compris sa rhétorique que, sur les conseils du P. Gallet, prieur de Toussaint, on tint cependant à lui faire doubler au collège de La Flèche.

Pendant qu'il était chez les oratoriens, son père avait été atteint d'une maladie dangereuse. Le jeune Fronteau, suivant à la fois l'impulsion de son cœur et de sa piété, s'était engagé par vœu à se faire religieux, si le ciel rendait à la santé le bien-aimé malade. Le père guérit et le fils entra, en 1631, à l'abbaye de Toussaint d'Angers.

Le collège de La Flèche, un des plus florissants du royaume, devait revoir l'étudiant devenu chanoine régulier. Ce collège en avait fait un élégant rhétoricien; il allait

(1) Cette notice, à moins d'indications différentes, est tirée de la vie inédite du P. Fronteau, ms. fr. H. 173, in-fol., p. 534-610, de B. S. G.

en faire un solide philosophe et ébaucher, sous le P. Bagot, le savant théologien de l'avenir.

Toussaint venait d'être définitivement uni à la Congrégation de France.

Une thèse que l'étudiant avait dédiée au supérieur général de cette congrégation et soutenue devant lui à La Flèche, avait marqué sa place à Sainte-Geneviève. Il y entra en 1636, pour y poursuivre ses études théologiques sous le docteur Bétille, de la maison de Navarre, lequel venait professer cette science à l'abbaye.

L'année suivante, il fut lui-même chargé d'y enseigner la philosophie et, deux ans après, la théologie.

Formé à la Flèche dans les principes philosophiques de l'Ange de l'école, il en demeurait le chaud partisan. Il désirait qu'il n'y ait pas d'autre enseignement dans la congrégation. Il réussit même à faire partager son sentiment au P. Faure. Pour faciliter le travail des maîtres et aider aussi à l'intelligence des élèves, il entreprit, de concert avec un de ses confrères, le P. Lefebvre, de compléter l'œuvre du jésuite italien, Cosme Alamanni. De là, la Summa totius philosophiæ D. Thomæ Aquinatis, le premier ouvrage que le P. Fronteau donna au public (1).

Il se livrait, en même temps, à la double étude des Pères et des annales ecclésiastiques. Si la première étude fortifiait la science du théologien, la seconde révélait aussitôt l'historien. Dès cette époque, il composait en vers hexamètres une histoire résumée des papes, véritable tour de force, car, de saint Pierre à Urbain VIII, non seulement un vers est consacré à chaque pape pour dire son nom et ses principales actions, mais les premières lettres des vers se rangent dans l'ordre alphabétique, le nombre de celles qui dans chacun précède le nom du pontife marque le nombre

(1) Summa..., philosophia morali ipsaque pro majori parte metaphysica recens adaucta, Paris, 1639, in-fol., avec deux lettres, l'une au P. Faure et l'autre ad benevolos lectores.

d'années que ce dernier a occupé le Saint-Siège, et, dans le cas où le règne a été de moins d'une année, le nom est relégué à la fin du vers (1).

Estimant que la connaissance des langues orientales était très utile à l'intelligence de l'Écriture sainte, il voulut l'acquérir et engagea plusieurs de ses élèves dont les aptitudes s'y prêtaient, à en faire autant. Un maître leur fut donné; et Fronteau ses écrits l'attesteraient au besoin devint assez habile dans les langues hébraïque, syriaque, chaldéenne et arabe.

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La place de chancelier de l'université de Paris étant devenue vacante, en 1647, par la mort de Pierre Guillon, le supérieur général, usant de son droit en qualité d'abbé de Sainte-Geneviève, y nomma le savant professeur de l'abbaye. Mais l'université s'opposa à la nomination. La question des séminaires de la congrégation était pour beaucoup dans cette opposition. L'université, en effet, contestait à la congrégation la faculté d'avoir de ces établissements. Peut-être conservait-elle désagréablement le souvenir d'un discours habile, incisif parfois, prononcé par le P. Fronteau dans une circonstance récente et solennelle (2).

Le supérieur général, avant de soumettre l'affaire au (1) Voici par exemple, le début :

Affero pontificum scriem; tu, Petre, canenti
Blattas, diva Lini et matrum velamem, adesto.
Clio patricii Cletum sedisse recenset.
Discedant. Clemens populis heptagraphus infit.

Et pour les noms relégués à la fin:

Ah scelus! includit mira ambitione Leonen

Barbarus invasor sedis Christophorus ; ast hune

Il s'agit de Léon V et de l'antipape Christophe. En pareil cas, notonsle encore, le nom de l'antipape était placé à la dernière ou à l'avant-dernière place; et, quand le dernier pied du vers était formé de deux monosyllabes, ceux-ci ne comptaient que pour un mot.

Fronteau dictait, en 1642, cette histoire à ses élèves. Ce curieux ouvrage est demeuré inédit, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, sous la cote ms. lat. H. 20. in-fol. Nous donnons le titre : Summa summorum pontificum versibus descripta ea arte qua, et quotusquisque sit, et quos annos sederit et quid potissimum fecerit, facile deprehendi potest.

(2) Voir précédemment p. 83-84.

parlement, en référa au premier président Matthieu Molé. Celui-ci fit appeler le recteur et, ne jugeant pas suffisantes les raisons alléguées, lui ordonna de recevoir sans plus tarder le chancelier nouveau. Le refus de l'université fut suivi aussitôt de la menace d'un arrêt. On capitula; et le chancelier fut admis à prêter le solennel serment (mai 1649) (1).

Fronteau se trouvait alors en plein dans la polémique. D'abord avec un chanoine de Chartres, l'érudit Souchet. Ce dernier, voulant donner une édition des œuvres de saint Yves, l'illustre évêque de cette ville, avait rédigé des notes judicieuses sur les lettres du prélat. L'impression devait se faire à Paris. Sur la demande même de l'abbé de Goussainville, prètre du diocèse de Chartres et habitant alors les Incurables, Souchet chargea celui-ci de la revision du texte et de la correction des épreuves. Pareille besogne était-elle au-dessus des forces de Goussainville ou bien voulait-il ne rien négliger pour rendre l'édition aussi irréprochable que possible? Toujours est-il qu'il s'entendit avec l'imprimeur pour réclamer le concours du P. Fronteau. Le docte génovéfain adhéra à la proposition. On lui demanda ensuite et la vie de saint Yves qu'on voulait placer en tête de l'ouvrage, et la dédicace qu'on proposait d'en faire à Lescot, le successcur actuel du grand saint. Il est difficile d'admettre que tout cela se fit complètement à l'insu de Souchet. L'in-folio parut en 1647. Malheureusement l'épître dédicatoire ne portait que la signature de Fronteau. Souchet se trouva à bon droit blessé (2). Le premier tenta

(1) Rien dans notre ms. qui ait trait à la rétractation de Fronteau dont parle M. Jourdain dans son Hist. de l'université de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles, p. 169. Du reste, pourquoi Fronteau se serait-il rétracté ? Son rôle ne s'était-il pas borné à ramasser les traits de l'adversaire pour les lui relancer? Quelques paroles de regrets de la part du nouveau chancelier, ce qui alors est surtout une affaire de politesse; et voilà tout, à notre

sens.

(2) Qua fronte, disait Souchet, Domine Fronto, Ivonis editionem tuam esse asseris, meam negas? cum semper ipsi præfuerim, sive illius præsulis

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