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teur d'une révolution aussi belle»: comment ne serait-il pas « un des premiers pour lesquels nous devons les honneurs que vous destinez aux grands hommes qui ont bien mérité de la patrie? » Eu vain, le courageux abbé Couturier s'écria ironiquement : « On compare Voltaire à <«< un prophète; je demande que ses reliques soient « envoyées en Palestine. » En vain, Lanjuinais cita cette. parole de Bayle: Voltaire a mérité les remerciements, mais non pas l'estime du genre humain, pour demander qu'on passât à l'ordre du jour. Des deux points de la proposition de l'officier municipal, le premier fut voté immédiatement, le second remis à une délibération ultérieure. Tout cela se passait à la séance du 8 mai de cette même année 1791. La délibération s'ouvrit le 30 suivant, et il en sortit un décret ordonnant que les cendres du philosophe seraient transportées immédiatement de l'église de Romilly dans celle de Sainte-Geneviève.

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Le 11 juillet, le Paris révolutionnaire et incrédule était debout et en joie pour acclamer le cercueil de son héros ou lui faire cortège. Mais on dut encore avoir recours aux caveaux de l'ancienne église en attendant mieux, les cendres de Voltaire prirent modestement place à côté du corps à peine refroidi de Mirabeau (1).

C'eût été illogique de refuser à Rousseau les honneurs qu'on rendait à Voltaire. La révolution n'était-elle pas en droit de revendiquer la paternité de l'un aussi bien que celle de l'autre? Pourtant le décret se fit attendre. Ce ne fut que le 11 octobre 1794 que l'urne cinéraire, enlevée de l'île des Peupliers, à Ermenonville, fut solennellement déposée, non plus dans la vieille église de Sainte-Geneviève, mais bien dans la nouvelle, baptisée maintenant du nom païen de Panthéon (2).

(1) Moniteur des 10 et 31 mai et du 13 juillet 1791.

(2) Voir, dans le Moniteur du 18 septembre, le discours de Lakanal à la convention et au nom du comité d'instruction publique.

Les caveaux du splendide monument funéraire s'étaient ouverts précédemment pour Voltaire et Mirabeau. Les restes du premier y demeuraient toujours. Mais déjà ceux du second en avaient été ignominieusement ôtés, et cela, à l'heure même où le cercueil de Marat venait, à son tour, y prendre rang. Est-ce que, en effet, l'ami du peuple aurait pu reposer à côté du royaliste Mirabeau (1)?

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Comment ici ne pas transcrire ces paroles émues que l'archevêque de Paris, M. de Juigné, faisait entendre dans son mandement, daté de Chambéry, le 22 juin 1792 ? « Un « magnifique monument, élevé par la piété de nos rois et « par le vœu de tous les concitoyens en l'honneur de la << patronne de Paris, est converti en temple païen! Le nom « du Dieu vivant qu'on lisait sur son frontispice, en a disparu, et les cendres des plus cruels ennemis de la religion sont en possession de la place où la religion elle« même devait déposer la dépouille mortelle d'une vierge << sainte qui est l'objet de la vénération publique depuis « l'établissement de la monarchie et dont la capitale a tant « de fois éprouvé la puissante protection! Ne semble-t-il « pas, grand Dieu! que nous soyons reportés au temps de ces barbares idolâtres ou hérétiques qui démembrèrent << l'empire romain, après l'avoir couvert de ruines; au temps des Goths et des Vandales qui laissaient partout « sur leur passage des traces de leur férocité et de leur « fanatisme (2)?

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Ces derniers accents visaient, à la fois, d'autres pages, non moins lugubres, de notre histoire. Il nous faut en lire quelques-unes.

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(1) Moniteur du 15 octobre et du 25 septembre 1794. « Au moment alisons-nous dans le Moniteur du 25 septembre où l'on descendait

« du char le cercueil qui contenait les cendres de l'ami du peuple, on rejetait du temple des grands hommes, par une porte latérale, les restes

<«< impurs du royaliste Mirabeau. >>

(2) Passage cité par l'abbé Saintyves, Vie de sainte Geneviève, p. 363.

III

LA SPOLIATION

L'administration temporelle n'était pas demeurée longtemps entre les mains des religieux la municipalité s'en était emparée le 1er octobre 1790 (1).

La révolution poursuivait activement son œuvre.

Le 7 août 1792, l'assemblée nationale votait un décret sur les maisons religieuses. L'article XIII ordonnait aux municipalités de s'assurer dans la quinzaine qui suivrait la publication du susdit décret, de la présence des objets précédemment inventoriés. L'article xv décidait, en chargeant de l'exécution les directoires des districts, que les cloches et l'argenterie des couvents seraient converties en monnaie. Enfin l'article xvi était ainsi conçu ; « Les bâti«ments nationaux et leurs dépendances occupés par les « religieux ou religieuses seront mis en vente... sans « attendre qu'ils soient libres (2).

Pour l'instant, le projet de l'administration départementale se bornait à ordonner le transport de la châsse de sainte Geneviève à l'église Saint-Étienne du Mont. Était-ce un reste de vénération pour les précieuses reliques devant lesquelles Paris s'agenouillait depuis tant de siècles? Ou bien ne jugeait-on pas l'heure encore sonnée de braver les sentiments chrétiens du peuple?

A peine le projet avait-il transpiré, qu'une pétition, à

(1) Arch. nat., série S. cart. 1540, arrêté de compte où nous lisons: «... Jusqu'au 1er octobre 1790, époque à laquelle l'administration desdits biens a été prise par la municipalité... >>

(2) Moniteur du 15 août.

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l'adresse du département de Paris, se couvrait de signatures, pour demander le maintien de la châsse dans la basilique de l'abbaye. Objet d'un culte national », ces reliques avaient leur place dans un temple dont l'accès était libre à tout instant, dans ce temple même où la capitale aimait tant à prier, et non pas dans une église consacrée au service multiple d'une paroisse. D'ailleurs, la piété des fidèles ne séparait pas le culte de la châsse du culte du tombeau. « Si nous présentions cette pétition, disaient les signataires, à des hommes assez petits pour mettre de la philosophie « à mépriser tout ce qui touche à la religion, nous aurions « abandonné le projet de les y intéresser; mais nous avons << trop bonne opinion des sentiments religieux et des vertus « des membres du département, pour soupçonner même « qu'ils puissent dédaigner cette pétition et les motifs qui « l'ont dictée (1). »

Les chanoines, de leur côté, pour parer au coup qui les menaçait, s'empressèrent aussi de signer une supplique au roi, conservant « toute la confiance de sujets soumis au plus chéri des souverains », ressentant, à la fois, la plus grande tristesse dans leur âme de chrétiens, de prêtres, de religieux. «Sire, disaient-ils, c'est dans cette basilique bâtie « par Clovis, le premier roi très chrétien, que reposent « avec les cendres de ce prince les restes précieux de sainte Clotilde, son épouse. C'est dans ce berceau de la religion de nos pères, honoré depuis quatorze siècles de la présence de nos rois, vos prédécesseurs, de celle de « Votre Majesté, célèbre par le concours fréquent de votre peuple dans les temps de prospérité et de malheur, que sainte Geneviève a reçu les hommages de tous les Fran

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(1) Arch. nat, C. г, 6 A: 109. Cette pétition, imprimée in-4, contient d'abord presque cinq pages de signatures, puis un supplément de huit autres pages; et le nombre ne cessa de s'accroître. Suivant la pétition, ce n'était pas là une affaire qul intéressât seulement le quartier, mais bien tout Paris, et même les environs.

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<<çais, depuis la première époque de la monarchie jusqu'à nos jours. » On lisait plus loin: « Organes des vœux des « Français auprès du Très-Haut pour la prospérité de votre empire, ils (les chanoines) regardaient cette intéressante << destination comme leur plus beau titre, et la bienveil« lance de leurs rois comme leur plus belle récompense. « Leur vœu le plus sincère est de conserver l'exercice de « cette fonction si honorable au milieu des ruines qui les << environnent. C'est dans cette confiance qu'ils réclament auprès de votre personne sacrée la protection qu'ils « peuvent en attendre (1).

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»

Mais que pouvait le roi déjà en tutelle et tout à l'heure à la merci de ses ennemis ? Et l'administration départementale n'avait-elle pas garde de se laisser fléchir ou détourner?

Le 14 août 1792, les scellés furent apposés à la sacristie de Sainte-Geneviève et la translation eut lieu (2). SaintÉtienne du Mont ne devait posséder qu'une année le précieux trésor. Pourquoi ne pas mieux utiliser l'or et les pierreries de la châsse, les diamants du bouquet? Dans les premiers jours de novembre 1793, on enleva la châsse pour la porter à la monnaie. Bientôt après, les reliques de la

(1) Arch. nat., même cote C. 11, 6 A: 109, supplique-copie-manuscrite et non datée.

La supplique rappelait encore deux faits de nature à faire impression sur l'âme chrétienne du roi. « Votre Majesté, était-il écrit, qui n'a cessé a de regarder le titre de roy très chrétien comme le premier de ses titres, verroit sans doute avec la plus grande peine la châsse de sainte Gene«viève passer dans une église dont le pasteur ne peut être regardé «< comme ayant une mission canonique. » D'autre part, ces lignes allaient passer sous les yeux de Louis XVI : « Sire, les chanoines réguliers se « rappellent avec attendrissement les bienfaits que les roys ont répandus « avec profusion et sur ce temple antique et sur la maison qu'ils habitent. «Ils n'oublieront jamais que par la bienfaisance de Votre Majesté et « celle de votre auguste aïeul s'élevoit pour la patronne de votre capitale «et de votre royaume un édifice qui devoit être un des plus beaux monu« mens de votre règne. »

(2) L'abbé Saintyves, Vie de sainte Genev., p. 363, d'après deux pièces jadis conservées aux Archives de l'hôtel de ville.

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