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province de Bourgogne, déclarèrent que, dans la situation, la liberté requise faisant défaut aux capitulants, il ne pouvait y avoir de séances. On passa outre, tout en leur donnant acte de leurs protestations.

Quelques jours avant l'ouverture du chapitre général, un écrit circulait ayant pour titre : Réflexions à présenter au chapitre..., et pour objet l'exposé des puissantes raisons qui devaient détourner les capitulants de toute acceptation, absolue ou conditionnelle, de la bulle. Ces raisons étaient rangées sous ces quatre chefs: 1° la mauvaise grâce avec laquelle les évêques eux-mêmes s'étaient résignés, en 1714, à accepter l'acte pontifical: ne fallut-il pas de nombreux commentaires? - 2o le mal que la bulle avait déjà produit au sein de la congrégation : quelle division elle y a semée! - 3° le déshonneur qui rejaillirait sur les chanoines réguliers, puisqu'ils renonceraient, malgré leurs serments, à la doctrine de leur père, saint Augustin; — 4o les graves dommages qui résulteraient pour la noble famille religieuse, car l'on arriverait fatalement à exclure des charges les sujets les plus capables de les remplir. Ah! disait l'écrivain anonyme au sujet de la prétendue doctrine augustinienne, les enfants du siècle, nos adversaires il entendait les jésuites, sont bien plus avisés dans leur conduite, toute opposée qu'elle est à la lumière. Que ne font-ils point depuis plus d'un siècle pour accréditer la doctrine

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« d'un homme nouveau (c'est-à-dire Molina) précisément << parce qu'il est leur frère ! Quelle souplesse pour la faire « tolérer d'abord, malgré l'indignation du premier coup « d'œil! Quelle assiduité auprès des grands pour la leur <«< insinuer Quelles calomnies et quelles. noirceurs pour << rendre odieux leurs adversaires et, par contre-coup, leur << doctrine! Se sont-ils rebutés pour les obstacles qu'ils ont << rencontrés? Se sont-ils soumis aux différentes censures « qu'ils ont essuyées... Profitons de ces exemples et ne « laissons pas à la iuste cause le désagrément et le dés

a honneur d'être soutenue plus lâchement que sa rivale " ou même de lui être sacrifiée (1). » L'auteur de ces Réflexions était Scoffier, le visiteur qu'à l'instant nous voyions à l'œuvre (2).

Le roi se fit représenter au chapitre par le sieur de Marville, maître de requêtes et lieutenant général de police. Louis XV lui avait ainsi tracé la mission à remplir: « Mon « intention est que vous y assistiez (au chapitre) en qualité de commissaire et que vous déclariez que tous ceux qui n'ont point signé purement et simplement le formulaire d'Alexandre VII, et déclaré leur soumission aux bulles <<< apostoliques et notamment à la constitution Unigenitus, « soient privés de voix active et passive et ne puissent être «< élevés à aucunes charges ni dignités de la congrégation, « et qu'au surplus ceux qui composeront ledit chapitre général, aient à se conformer, sans aucune difficulté, à « ce que vous leur ordonnerez de ma part (3). »

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La lettre royale fut lue à la première séance. Tous les capitulants affirmèrent leur disposition à signer le formulaire et protestèrent de leur soumission aux décisions du Saint-Siège.

Mais où étaient Scoffier et Cottin qui, en leur qualité de visiteurs, étaient de droit membres du chapitre général (4).

(1) Nouvel. ecclés., an. 1745, p. 181-182.

(2) Suite du Nécrologe des plus célèbres défenseurs et amis de la vérilé, au XVIe siècle, tom. VI, p. 418.

(3) B. S. G., ms. fr. H. 44, in-fol.: Actes des chapitres généraux (1703-1751), chap. de 1745; la lettre royale est datée de l'Isle, le 5 septembre 1745. A la même date et de la même ville, Louis XV avait écrit au général : Cher et bien amé, ayant jugé qu'il étoit nécessaire de faire assister un << commissaire de notre part au chapitre général de votre congrégation..., << je vous fais cette lettre pour vous dire que j'ay fait choix du sieur Fey<< deau de Marville,... et que mon intention est que vous vous concertiez << avec luy, pour que le chapitre ne soit ouvert ni tenu qu'en sa présence, « que les élections qui s'y feront ne tombent que sur de bons sujets, « non suspects en matière de doctrine et capables de bien conduire et « d'édifier la congrégation... » (Ibid.)

(4) On lit dans les Constitutiones, édit. de 1772, in-S', p. 223 : « Capi

Avant l'ouverture de la séance, ils s'étaient présentés dans la salle. Scoffier avait tenu la plume; Cottin devait porter la parole. Chacun son tour: rien de plus juste. Donc Cottin fit rouler son petit discours et sur l'absence de liberté dans les élections capitulaires et sur la compression qui se faisait déjà sentir dans l'assemblée générale. Non seulement il protestait, en son nom personnel et au nom de son ami Scoffier, contre tout ce qui se ferait au chapitre, mais il avait même en poche plus de cent protestations, rédigées dans le même sens, que lui avaient remises de vénérables confrères et qu'il se proposait de faire connaître ou, au moins, de déposer avec la sienne et celle de son ami sur le bureau de l'assemblée. On ne voulut ni prendre connaissance de ces actes d'opposition ni en permettre le dépôt. Les deux fidèles se retirèrent.

Lazare Chambroy fut élu au troisième tour de scrutin. C'était un excellent choix. Attaché à la saine doctrine, il venait, en qualité de visiteur, de montrer, dans l'assemblée capitulaire de la Champagne, qu'à une grande fermeté de caractère il joignait l'art difficile de mener à bien les hommes et les choses. Mais Scoffier et Cottin n'avaient pas dit leur dernier mot. Le même jour, ils faisaient signifier par huissier leur fameuse protestation.

Le chapitre renouvela les décrets interdisant la lecture de Jansénius, Baius et autres auteurs condamnés, portant défense à tout membre de la congrégation de rien dire ou enseigner qui soit contraire aux bulles pontificales, prescrivant aux visiteurs de se rendre bien compte de l'état de leurs provinces respectives et de le faire connaître à qui de droit dans un rapport exact. A la voix sévère du législateur il voulut joindre un pressant appel à la concorde. « Le

« tulum autem generale constabit tum ex prædictis, præposito generali, << assistentibus et visitatoribus, tum ex deputatis...» Nous ne connaissons pas l'époque précise de cette addition à la cinquième partie des Constitutiones.

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présent chapitre général, disait-il, animé du même esprit qui conduisait nos pères dans les chapitres généraux des « années 1659 et 1662, plein du même respect envers le Saint-Siège, qui forma la délibération capitulaire de la <«< communauté de Sainte-Geneviève du 4 juin 1661 (1), « exhorte de tout son pouvoir les enfants de la congrégation, leur recommande et les conjure par les entrailles de Jésus-Christ, de se réunir tous ensemble et de se sou«mettre de la manière la plus sincère et la plus unanime à toutes les bulles émanées du Saint-Siège apostolique, " reçues en France, rendues dans la cause de Jansénius et « de Baius, et notamment à la bulle de N. S. P. le pape Clément XI, qui commence par ces mots : Unigenitus Dei filius, confirmée et autorisée par les souverains pontifes, ses successeurs, et qui, selon le pape même qui en « est l'auteur, tend à proscrire de nouveau les erreurs déjà condamnées dans les bulles contre Jansénius et « Baius (2). »

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La tâche était rude pour le nouveau général. Il n'y faillit pas. A ceux qui ne comprenaient pas le langage du devoir, il faisait entendre le langage de l'autorité. Il se voyait, il est vrai, très bien secondé par les assistants qu'on lui avait choisis. Les opposants durent s'incliner devant les mesures énergiques prises par le général aussi bien que devant les décisions souveraines du chapitre (3).

Mais l'assemblée capitulaire de 1748 ne fournirait-elle pas l'occasion d'une nouvelle prise d'armes?

Les armes furent reprises, en effet. Mais, avec des assail

(1) Nous n'avons pas trouvé le texte de cette délibération. (2) Même ms. H. 44.

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(3) Sources générales pour le chapitre de 1745 même ms. II. 44, Actes des chapitres généraux; Nouvel. ecclés., an. 1745, p. 200, an. 1746, p. 6-12 et p.p. 81, 199 et 200; Supplément des Nouvel. eccles., p. 9.

Quelques années auparavant, les jansénistes avaient réussi à faire supprimer les cours de théologie à Sainte-Geneviève : ils voulaient, pour parler leur langage, soustraire cet enseignement à l'influence des promoteurs de la bulle. L'abbé Chambroy les y rétablit.

lants moins nombreux, à quoi pouvait-on s'attendre, sinon à une déroute plus complète. Battus aux chapitres provinciaux, les opposants au chapitre général ne se trouvaient plus qu'au nombre de soixante-quatorze; et Sainte-Geneviève n'en fournissait aucun. Mais les braves se comptentils, surtout lorsqu'ils sont conduits par des chefs de la valeur d'un Scoffier et d'un Cottin, qui s'étaient empressés de recommencer la campagne et d'en diriger les opérations. Cette fois, néanmoins, aucun champion ne se présenta. L'huissier seul parut, au nom de tous et armé de son exploit. Ce fut le matin même de l'ouverture du chapitre.

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Au premier tour de scrutin, par vingt-sept voix sur vingthuit, on continua le général-abbé dans ses fonctions. Qu'un tel homme écrivait l'auteur janséniste des « Nouvelles ecclésiastiques — ait été choisi pour chef de sa «< congrégation d'une voix unanime, c'est-à-dire d'une "manière en apparence plus honorable que n'ont peut-être << jamais été choisis les meilleurs et les plus célèbres géné«raux ; c'est une espèce de phénomène que les désordres << seuls de la constitution peuvent rendre croyable; c'est « un de ces faits qui sont vrais sans être vraisemblables (1). »

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Le même écrivain n'eut pas plus de respect pour la mémoire de l'abbé Chambroy. Ce dernier mourul en septembre 1750. Le gazetier n'eut rien de plus pressé que de s'inscrire en faux contre les termes mêmes de l'épitaphe qu'on plaça sur la tombe du défunt. Comment, s'écriait-il, oser qualifier ce soi-disant général d'astre brillant dans ces jours nébuleux, lui faire honneur d'une foi au-dessus des craintes humaines, d'une conscience timorée qui le guidait dans toutes ses actions! Ne faudrait-il pas plutôt lui appliquer les qualifications contraires? La foi au-dessus des craintes humaines! Hélas! ce n'était pas seulement une

(1) Même ms. H. 44; Nouv. ecclésiast., an. 1748, p. 188.

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