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que les progrès de l'impiété faisaient pressentir depuis longtemps déjà :

Au sein de la cité qui règne sur la France
S'élève à Geneviève un édifice immense.
Piété trop tardive! Inutiles honneurs!

Avant qu'il soit fini, dans ce siècle d'horreurs,
L'athéisme, ennemi de tout pouvoir suprême,
De la ville et du temple aura chassé Dieu même. (1)

III

LA CRISE RELIGIEUSE

Le jansénisme avait prétendu, au moyen de sa fameuse distinction du droit et du fait, échapper aux condamnations qui le frappaient (2). En 1705, Clément XI, par sa bulle Vineam Domini, avait fait justice et de la distinction et du singulier silence respectueux qui en était une des conséquences. Quelques années plus tard, en 1713, le même pontife lança la bulle Unigenitus, pour porter un coup décisif à une des hérésies les plus subtilement défendues. A l'exception d'un très petit nombre de prélats, l'épiscopat français

(1) Vers cités par l'abbé Saintyves, Vie de sainte Geneviève, p. 210, comme extraits des Mélanges de M. de Boulogne, évêque de Troyes, lesquels ne seraient que la traduction de ces distiques latins :

Templum augustum, ingens, regina assurgit in urbe :

Urbe et patrona virgine digna domus.

Tarda nimis pietas, vanos moliris honores;
Non sunt hæc cœptis tempora digna tuis.

Ante Deo in summa quam templum erexeris urbe,
Impietas templis tollet et urbe Deum !

(2) Les jansénistes condamnaient en soi les cinq propositions du Formulaire. Mais, quant à l'affirmation qu'elles étaient extraites du livre de Jansénius, ils la rejetaient. Les uns c'étaient les intransigeants, comme l'on dirait aujourd'hui, — se refusaient absolument à signer le Formulaire ; les autres, moins rigides, consentaient à donner leur signature, mais en ce sens seulement, qu'adhérant pleinement à la condamnation de la doctrine, ils n'accordaient que le silence du respect à l'assertion de la provenance des propositions.

T. II.

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s'empressa de recevoir l'acte pontifical, donnant ainsi un exemple qui allait être suivi par toute l'Église. Le cardinal de Noailles se mit à la tête de ces prélats récalcitrants. De la bulle on en appelait au futur concile, moyen souvent employé par l'hérésie pour couvrir sa défaite et prolonger son existence.

Aussi le jansénisme va-t-il, pendant le xvIIe siècle, continuer de porter le trouble au sein de l'Église de France.

Nous l'avons vu, l'hérésie s'était introduite dans la congrégation; et, en dépit de toutes les prohibitions capitulaires (1), elle y avait pris racine. Elle devait s'y maintenir longtemps encore, et même après la bulle Unigenitus, par les mêmes manoeuvres qu'elle se maintiendrait ailleurs. Là aussi, il y avait des appelants et des réappelants.

Heureusement la congrégation et l'abbaye eurent, à cette époque, pour général et abbé, pendant 12 ans, un homme qui, comprenant son devoir de fils soumis de l'Église, avait le sentiment profond de sa grande responsabilité. Le chapitre général éleva, en 1715, Gabriel de Riberolles à cette dignité et l'y maintint en 1718.

Enfant de Paris, Gabriel de Riberolles avait eu pour père Abraham de Riberolles, conseiller au Châtelet. Il était né en 1647. Il avait rempli avec distinction les postes les plus importants dans la congrégation, depuis celui de prieur de Saint-Crépin de Soissons jusqu'à celui d'abbé du Val des Écoliers de Liège et de premier assistant. Il s'était montré digne du ministère apostolique dans la difficile mission, à lui confiée en 1685 ainsi qu'à onze de ses confrères, d'évangéliser les Cévennes. Mais le plus bel éloge qu'on puisse faire de lui, c'est que Bossuet-Riberolles était alors

(1) Le chapitre de 1678 avait confirmé ce qui avait été précedemment décidé au sujet de la nouvelle hérésie, avec « défenses très expresses aux professeurs de théologie d'enseigner aucune doctrine contraire à celle de l'Église ou qui puisse être suspecte des sentimens particuliers de Jansénius et de Baius, condamnez et désapprouvez par le Saint-Siège ».

prieur de Notre-Dame de Chage voulut lui confier la direction de son séminaire, c'est que, pendant près de vingt années, il l'associa à l'administration de son diocèse et, pour ainsi dire, à ses luttes contre les ennemis de l'Église, estime qu'à sa mort le prélat attesta de nouveau par le legs de son anneau pastoral (1).

Malgré la grande vigilance de Riberolles et la fermeté de son administration, le jansénisme se gardait de désemparer et préparait même dans l'ombre quelque revanche. Dès le commencement de son troisième généralat, en 1727, l'abbé de Riberolles dut user de rigueur contre les plus avancés du parti, soit par des destitutions, soit par des déplacements. Le mal gagnait les étudiants eux-mêmes: cinq élèves en théologie furent renvoyés de Sainte-Geneviève. On était en droit de n'être pas sans inquiétude sur la tenue du chapitre général de 1730. Par sa parole à l'abbaye, par ses missives aux chapitres provinciaux, le général-abbé recommandait instamment de n'élire que des constitutionnaires. Il marquait aux visiteurs qu'il avait compté, en même temps, sur leur légitime influence. Il disait, dans une de ces lettres « Il est de la dernière conséquence, pour le bien de « la congrégation et pour la tranquillité du chapitre général, << qu'aucun des députés ne soit appelant depuis la déclara<«<tion de 1720 (2), ni réappelant, ni adhérent à M. de Senez, ni enfin qui ait eu des affaires pour la constitu«tion (3). "

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Les élections furent généralement bonnes. Toutefois, les Jansénistes formaient une minorité imposante. Telle fut peut-être la raison pour laquelle, s'il faut s'en rapporter aux Nouvelles ecclésiastiques, on estima prudent de passer sous

(1) Gal. christ., tom. VII. col. 814.

(2) Il s'agit évidemment d'une déclaration d'adhésion à la bulle Unigenilus.

(3) Nouvelles ecclésiastiques, an. 1730, 18 octobre, art. Paris,

silence, au chapitre, le formulaire et la bulle (1). La question pratique, aussi bien que la théorique, était, d'ailleurs, depuis longtemps résolue; et quelques-uns des actes du chapitre montraient bien qu'il n'avait pas lui-même d'autre manière de juger.

Gabriel de Riberolles qui fut élu au généralat pour la quatrième fois, eut besoin, malgré son grand âge, de demeurer muni de toute son énergique fermeté. Vaincu au chapitre, le parti ne désarmait pas. Ici, les maîtres d'un collège faisaient en masse leur démission. Là, des curés entendaient profiter de leur situation pour lutter avec plus d'avantage. Dans l'abbaye même de Sainte-Geneviève, la moitié des étudiants refusait de souscrire le formulaire. Ces jeunes théologiens furent exclus des ordres, les curés de SaintÉtienne du Mont et de Saint-Médard révoqués, et les maîtres du collège de Senlis frappés dans les principaux meneurs (2).

Sous les deux successeurs, Sutaine et Patot (3), le parti

(1) Ibid., 1 oct., art. Paris. Est-il besoin de dire que, en puisant à cette source, nous avons soin de corriger ce qu'il y a de faux ou d'inexact dans les faits ?

(2) Nouv. ecclésiast., an. 1730, 18 octobre, art. Paris, et même année, décembre, p. 15.

De grandes solennités à Sainte-Geneviève marquèrent la fin du quatrième et dernier triennat de G. de Riberolles ce furent en 1732, les bénédictions des six nouvelles cloches. Les cérémonies eurent lieu les 16 et 17 septembre et le 27 novembre. Deux de ces cloches furent nommées par d'illustres personnages, le 16 par le duc d'Orléans et la reine seconde douairière d'Espagne, le 17 par le duc et la duchesse de Noailles. Mais ce fut le 27 novembre que la cérémonie prit vraiment le caractère d'une fête publique en l'honneur de la patronne de Paris. Le corps de ville de Paris s'était engagé à nommer les quatre autres cloches. La comtesse de Trẻ mes était la marraine désignée. Donc, le 27 au matin, le prévôt des marchands, les échevins et le procureur du roi se rendirent à l'abbaye en carrosse et « revêtus de robes de velours, usitées seulement dans les plus grandes solennités. » Les archers ouvraient la marche et formaient escorte. Venaient ensuite plusieurs autres voitures où avaient pris place les principaux officiers de la cité. La réception des magistrats fut pompeuse, la cérémonie imposante et l'assistance considérable. (Mercure, an. 1732, p.p. 2282-85 et 2912-20)

(3) Pierre Sutaine (1733-1739); François Patot (1739-1745).

gagna du terrain en certaines maisons de la congrégation; et le chapitre général de 1745 s'annonçait comme devant être très orageux (1).

Les circonstances parurent assez graves à la cour pour appeler l'intervention royale. Une lettre de Louis XV à l'abbé de Sainte-Geneviève partait d'Alost le 8 août : << Notre intention, disait le monarque, est qu'il ne soit « député à ce chapitre que des sujets de saine doctrine, disposés à signer purement et simplement le formulaire « d'Alexandre VII et à déclarer leur soumission aux bulles apostoliques et notamment à la constitution Unigeni« tus (2). » Ordre était donné de faire parvenir copie de la missive aux visiteurs qui devaient présider les chapitres provinciaux.

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Cet abbé était toujours François Patot qui, par la douceur de son caractère, rappelait saint François de Sales (3). Il touchait au terme de son second généralat. Il joignit à l'expression de la volonté royale l'expression de ses conseils, de ses désirs, de ses exhortations : « Nous nous promettons tout, disait-il en terminant sa lettre, de votre attachement sincère pour une congrégation qui vous a élevés et formés, et de la persuasion où nous savons que vous êtes

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« que vous ne devez travailler qu'à la préserver de tout ce

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qui pourrait lui porter quelque coup fatal (4). ›

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Les chapitres provinciaux se réunirent. Les élections se firent avec calme pour la province de Bretagne. Deux protestations essayèrent de se faire jour à l'assemblée capitulaire de la Champagne. Les deux autres provinces furent bien plus agitées. C'était dù surtout aux deux visiteurs, Scoffier et Cottin, deux ardents du parti; le premier, au chapitre de la province de France, le second, à celui de la

(1) Table raisonnée et alphabétique des Nouv. ecclésiast., art. chan. rég. de Sainte-Geneviève, avec renvois pour les années 1731-1744.

(2) Nouvel ecclésiast., an. 1746, p. 5.

(3) Gall., christ., tom. VII, col. 815. (4) Nouv. ecclésiasl., ibid.

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