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chait les grades. « Tout tend, s'écrie un écrivain patriote, à substituer une aristocratie des riches à l'aristocratie des nobles. >>

La mésintelligence dans les districts devint donc assez vive. Deux partis commençaient à s'y dessiner. La division fut même si marquée dans le district Saint-Jacques-de-l'Hôpital, qu'il y eut une collision sanglante. Un membre remarqua que pour s'emparer des élections, on avait introduit des étrangers. Cette réflexion fut accueillie par des violences, et on en vint enfin à se battre à coups de sabre. Cinq des coupables furent arrêtés. Nous avons rapporté les récriminations de la minorité mais elle n'était pas minorité partout. Dans quelques districts, les candidats furent soumis à une sévère investigation, et l'on exigea d'eux qu'ils prissent l'engagement signé de rester soldats s'ils n'étaient pas nommés officiers. Il paraît donc qu'il y avait beaucoup de volontaires pour commander, et peu pour obéir.

Le 14, on signa, au Palais-Royal, des réclamations contre l'arrêté qui défendait les assemblées du Palais-Royal.

Le 15, M. Lafayette se transporta à Montmartre pour visiter l'atelier de charité qui y était établi. « Il n'est pas de sentiment pénible qui n'entre dans l'âme, dit Loustalot, en voyant sur le même point dix mille hommes (1), sous des haillons, le visage hâve, l'œil et les joues creuses, le front assiégé de craintes, d'inquiétudes, et quelquefois de remords. M. le commandant leur a parlé avec cette bonté qui accueille les plaintes et qui console; mais, en même temps, avec cette fermeté qui réprime le murmure et décourage l'audace; il leur a annoncé que la ville continuerait à leur donner une paye journalière de vingt sols pour leur subsistance, et qu'elle serait bientôt dans la nécessité d'en faire conduire le plus grand nombre dans leurs provinces respectives. >>

De là, M. Lafayette alla visiter au faubourg Saint-Antoine les blessés de la Bastille, et leur promettre d'être leur organe auprès de la ville, et de rappeler leur misère et leurs droits à son souvenir.

L'annonce de cette double visite (2), qui corrigeait la nouvelle d'une mesure sévère, par des promesses de sympathie pour les hommes qui portaient une marque douloureuse des services rendus à la patrie, ne fut pas sans doute sans influence sur les démarches de quelques ouvriers, dont nous devrons bientôt nous occuper.

(1) Le nombre réel était de 17,000. Mémoires de Bailly.

(2) Les Révolutions de Paris, qui racontent cette promenade, ont eu jusqu'à deux cent mille souscripteurs. Prudhomme était le propriétaire et l'imprimeur de ce journal, Loustalot le rédigeait.

ASSEMBLÉE NATIONALE.-L'assemblée fut occupée jusque vers la fin du mois de la discussion sur la déclaration des droits. Nous rendrons compte plus tard de cette discussion, qui fut quelquefois assez animée (par exemple lorsqu'il s'agit d'établir le principe de la liberté absolue en matière religieuse), mais qui ne donna pas encore lieu aux partis de se dessiner nettement. Elle fut interrompue maintes fois par des rapports sur les troubles de provinces, par des réclamations de toute nature, par des adresses et des félicitations. L'assemblée était devenue un pouvoir universel auquel tout le monde s'adressait et qui intervenait partout. Nous avons déjà vu des exemples de ce genre; nous choisissons la séance du 21 pour en montrer d'autres.

SÉANCE DU VENDREDI 21 AOUT, AU SOIR. M. le président annonce plusieurs adresses.

Un de messieurs les secrétaires rend compte de celle de Gié-surSeine, en date du 16 du courant, qui porte adhésion aux arrêtés de l'assemblée nationale, et félicitation sur ses principes;

De celle de Briare, du même jour, portant félicitation et expressions les plus vives de l'allégresse publique, et communication des mesures de prudence prises par la ville pour l'exécution du décret de sûreté et tranquillité du royaume;

De celle de Milhau en Rouergue, en date du 8 août, contenue dans un procès-verbal d'assemblée de la municipalité et des habitants de cette ville: la délibération desdits habitants tend à assurer la paix publique, la perception des deniers royaux, l'exécution des lois, l'obéissance aux tribunaux existants, et à former une association pour le bien public avec les villes de Villefranche et de Rhodez, et toutes les autres communautés qui voudront y adhérer.

L'assemblée ordonne l'impression de la délibération de la commune de Milhau, et vote des témoignages de satisfaction à lui donner en son nom par M. le président de l'assemblée nationale;

D'une lettre de M. l'évêque de Saint-Claude, qui annonce à l'assemblée sa vive satisfaction au sujet de l'arrêté du 4 et des jours suivants, et son adhésion aux maximes qui ont fait proscrire la main-morte. Par suite de cette adhésion, le prélat annonce qu'il a rendu la plénitude de l'état civil aux habitants du Mont-Jura; qu'il renonce à sa haute justice, l'une des plus importantes du royaume par son étendue, et qu'il sollicite la prompte érection d'une justice royale, destinée à mettre le calme et à faire régner le bon ordre parmi une population de près de quarante mille âmes placées sur la frontière.

L'assemblée ordonne l'impression de la lettre, et charge M. le président d'écrire à ce digne évêque une lettre approbative de sa conduite et de ses sentiments.

Un membre du comité des rapports rend compte d'une demande présentée à l'assemblée nationale par les deux députés nobles de Villefranche de Rouergue, ainsi que des pièces qui étayent leur requête, et qui détaillent les violences exercées envers l'un d'eux, et les risques qu'ils avaient courus par l'effet des préventions de quelques personnes de la province.

Conformément à cette demande, on donne acte aux deux députés des démarches instantes qu'ils ont faites vis-à-vis le juge-mage de Villefranche de Rouergue, pour obtenir une assemblée de la noblesse de leur sénéchaussée; assemblée qui avait pour objet l'extension de pouvoirs dont ils avaient besoin, et qu'ils auraient reçus beaucoup plus tôt sans les délais apportés à la convocation par eux provoquée dès le 2 juillet.

L'assemblée s'occupe du sort de quatre citoyens de Marienbourg, arrêtés chez eux la nuit du 13, et transférés à Avesnes.

Il est décrété que M. le président s'informera auprès de M. le garde des sceaux des faits relatifs à leur emprisonnement, et demandera un sursis à tout jugement rendu ou à rendre dans leur affaire, jusqu'après la connaissance qui en aura été donnée à l'assemblée, ainsi que des procédures sur lesquelles il serait appuyé. Enfin, sur le rapport fait par un membre du comité de subsistance, d'un attroupement qui a eu lieu aujourd'hui à Versailles, par suite duquel le prix du sel a été baissé à six sous, l'assemblée continue la délibération, et charge M. le président de prendre les renseignements relatifs, et d'en communiquer avec le pouvoir exécutif.

M. le président lève la séance, qu'il remet à demain à l'heure ordinaire.

Le 24 août au soir M. de Saint-Fargeau présenta, au nom du comité de rédaction, un projet d'adresse pour la fête du roi, qui fut adopté.

Versailles, 25 août.-Il n'y a point de séance.

L'assemblée nationale a nommé soixante membres pour porter l'adresse au roi; M. de Clermont-Tonnerre était à la tête de la députation. Le roi a paru reconnaissant des témoignages de dévouement, d'attachement à sa personne. Le grand maître a été recevoir la députation et l'a reconduite. On lui a rendu tous les honneurs d'étiquette accordés aux princes.

M. le duc d'Orléans, avec toute sa famille, a été faire sa cour au roi. Ce prince s'en abstenait depuis longtemps, pour faire voir avec quelle rigidité il remplissait les fonctions de député.

A midi, les officiers municipaux de la capitale ont été admis chez le roi avec tous les honneurs d'usage. Ils sont entrés chez le roi par l'escalier des princes.

« La députation fut introduite dans la grand'chambre à coucher du roi. Sa Majesté y était assise, couverte, environnée de Monsieur, des grands officiers de la couronne et de tous les ministres.

« Le maire et la députation se sont approchés de S. M.; messieurs les députés sont restés debout. M. le maire, seul, a mis un genou en terre, et a prêté, entre les mains du roi, sur le crucifix présenté et soutenu par M. Brousse-Desfaucherets, le serment arrêté par la commune, et conçu en ces termes :

« Sire, je jure à Dieu, entre les mains de Votre Majesté, de faire << respecter votre autorité légitime, de conserver les droits sacrés << de la commune de Paris et de rendre justice à tous. »

« Après le serment, le maire s'est levé, a pris des mains de l'un des secrétaires un bouquet enveloppé d'une gaze, sur lequel était écrit en lettres d'or: Hommage à Louis XVI, le meilleur des rois; et il l'a offert à Sa Majesté, qui l'a reçu avec bonté.

<«< Ensuite, le maire a présenté M. le commandant général de la garde nationale, M. le commandant, les officiers, etc. » Procèsverbal de la députation.)

Avant de quitter Versailles, la députation s'assit à un banquet où l'on poussa force cris de vive le roi! vive la famille royale!

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CHAP. II. Question du veto. - Situation de Paris. Disette. Pouvoirs que s'attribuent les districts. Représentation de Charles IX. - Commencement de la discussion du veto. - Passions que soulève cette discussion. - - Désordres. Rassemblements d'ouvriers. - Séparation de l'assemblée en côté droit et en Mesures relatives aux subsistances.

côté gauche.

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Paris. Un mouvement de terreur agitait la capitale : c'était encore la disette qu'on craignait. On voyait de nouveau, depuis quelques jours, ces longues queues aux portes des boulangers qui avaient cessé après le voyage du roi à Paris. Des factionnaires étaient apposés aux portes des boutiques, et maintenaient l'ordre.

Cette émotion avait été préparée par une succession de petits accidents qui s'étaient grossis en s'accumulant. Le 2 août, d'après les plaintes unanimes qui s'élevaient sur la mauvaise qualité du pain et sur son insalubrité, une proclamation de l'hôtel de vi

annonça aux Parisiens, « que les farines venues par mer ayant été avariées, ce n'était la faute de personne si le pain avait un mauvais goût; la nécessité prescrivait, ajoutait-elle, de le manger comme on l'avait; mais cette avarie n'avait rien de nuisible pour la santé. » Le 4 août, on apprit qu'un convoi de farines, destiné pour la capitale, avait été pillé à Elbeuf, et l'on fit partir quatre cents hommes pour Provins, afin d'assurer les achats de la ville. Le 3 août, une nouvelle proclamation fut adressée à la population effrayée de ces événements. Elle concernait moins encore les Parisiens que les habitants des campagnes voisines; et en effet, elle fut affichée dans toutes les communes de la généralité. « La confiance, disait-elle, la liberté, la sûreté, sont les seules sources de la prospérité publique... Tous les habitants de la France se doivent des secours fraternels. » Ensuite elle invitait tous les particuliers qui avaient des grains et farines, à les porter dans les marchés... Les officiers municipaux étaient priés de protéger la libre circulation; et dans le cas où leur garde nationale ne serait pas assez forte, on leur offrait des secours. La lecture d'une telle proclamation n'était certes pas rassurante; aussi, le 7 août; une décision des représentants de la commune réduisit le prix de la livre de pain à 3 sous. Le 14 aout, cette assemblée manda pardevant elle le comité des subsistances. Bailly blâma vivement cette mesure, qui devait avoir pour résultat de rendre publics les embarras du comité. Par cette démarche inconsidérée, dit-il dans ses mémoires, le salut du peuple a été compromis; et si la ville de Paris n'a pas été renversée par une insurrection, cela tient à un concours de circonstances dont personne alors ne pouvait répondre. Le 19 août, les boulangers vinrent se plaindre à l'assemblée, soutenant qu'on ne leur donnait pas assez de farines à la halle; ils prétendaient que la consommation était de 2,000 sacs, tandis que le comité des subsistances soutenait qu'elle ne dépassait pas 15 à 16 cents. Les boulangers répondaient qu'il était vrai qu'ils ne recevaient que cette dernière quantité, mais qu'ils suppléaient à ce qui leur manquait par des achats particuliers qu'ils faisaient avec grand' peine. Bailly avance que ce même soir, 19, on n'avait de farines que pour la consommation d'un seul jour. Le 20, on apprit qu'on avait détourné un assez grand nombre de voitures d'un convoi venant à Paris, pour en enrichir l'approvisionnement de Versailles.-Le 21, l'inquiétude commençait à se répandre dans la population. Le district SaintÉtienne-du-Mont vint demander qu'on fît des recherches dans les maisons religieuses, colléges et communautés. Cela fut ordonné, mais ne produisit presque rien. En outre, les représentants nom

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