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Il faut établir un équilibre, il faut montrer à l'homme le cercle qu'il peut parcourir et les barrières qui peuvent et doivent l'arrêter.

M. Camus convertit cette motion en amendement, en proposant de poser ainsi la question: Fera-t-on ou ne fera-t-on pas une déclaration des droits et des devoirs. Cet amendement est vivement applaudi par le clergé, et l'évêque de Chartres se lève pour l'appuyer. Par une déclaration des droits, dit-il, on court risque d'éveiller l'égoïsme et l'orgueil. Il conviendrait qu'à la tête de cet ou➡ vrage il y eût quelques idées religieuses noblement exprimées. La religion ne doit pas, il est vrai, être comprise dans les lois politiques; mais elle ne doit pas y être étrangère.

L'amendement est mis aux voix, au milieu du tumulte, et rejeté à la majorité de 570 voix contre 455. On revient au fond de la question, et, à la presque unanimité, l'assemblée décrète que la constitution sera précédée d'une déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Plusieurs projets de déclaration avaient été présentés outre celui de Lafayette et du comité de constitution. On avait fait lecture de ceux de Sieyes, de Mounier, de Pison du Galland et de plusieurs autres. Chaque orateur, pour ainsi dire, avait un autre projet et venait demander qu'on le mît en délibération. Pour éviter la confusion que toutes ces propositions devaient faire naître infailliblement, Desmeuniers demanda, à la séance du 12, lorsqu'on reprit la question, qu'il fût nommé un comité chargé d'examiner tous les projets et d'en présenter un lui-même, qui serait soumis à la discussion. Cette motion fut adoptée, et le lendemain on nomma les cinq membres du comité, qui furent l'évêque de Langres, Desmeuniers, le comte de Mirabeau, Tronchet, de Rhédon.

Le 17 août, Mirabeau vint lire en effet un nouveau projet de déclaration. On devait le discuter le lendemain, mais il avait déplu à tout le monde et, le 17 août, la discussion générale recommença. Elle continua pendant toute la séance du 19 jusqu'à ce que l'assemblée, fatiguée de tant de retards, arrêta d'aller aux voix pour choisir, à la pluralité simple, un des projets parmi tous ceux qui avaient été présentés, lequel projet serait mis en discussion, article par article. Le projet qui avait été présenté par le sixième bureau l'emporta, et le 20 on passa enfin à la discus-ion des articles.

Nous ne transcrirons pas ce projet; la discussion n'en laissa subsister que deux articles. Toutes les déclarations présentées étaient identiques au fond et ne différaient que par la forme. En lisant le texte qui fut voté, on connaîtra le contenu des projets. La discussion

fut pou intéressante; à chaque article surgissaient des amendements nombreux, mais ils ne portaient que sur la rédaction.

SÉANCE DU 20 AOUT.-On eut à s'occuper d'abord du préambule. Après divers amendements, on adopta celui du projet rédigé par le comité, et en y ajoutant, sur la demande d'un grand nombre de membres, ces mots : En présence et sous les auspices de l'Être supréme. En voici le texte :

« Les représentants du peuple français, constitués en assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits ct leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, et au bonheur de tous :

«En conséquence l'assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen... »

On lut ensuite les six premiers articles du projet. Après une discus-ion confuse, ils furent remplacés par les trois suivants, proposés par Mounier :

Art. 1o. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

II. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.

III. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nú individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

SÉANCE DU 21. —Alexandre Lameth propose de mettre à la place des articles 7, 8, 9, 10 du projet, les deux articles suivants, qui sont adoptés après que divers amendements ont été rejetés :

IV. La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui :

ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

V. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

On met ensuite en discussion l'article VI; divers amendements sont présentés. On s'arrête enfin, après de longs débats, à la rédaction de l'évêque d'Autun, qui est décrétée en ces termes :

VI. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protége, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

SÉANCE DU 22. - Cette séance fut consacrée aux articles relatifs à la liberté individuelle et à la liberté des cultes. Les articles 14 et 15 du projet étaient relatifs à la première question. Duport, dans un discours vivement applaudi, s'élève contre la barbarie des lois criminelles, et surtout contre les arrestations préventives et les mesures cruelles en vertu desquelles le prévenu est puni comme s'il était convaincu. Une multitude d'amendements sont proposés, enfin ceux de Target et de Duport, ainsi rédigés, l'emportent :

Art. VII. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites; ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter les ordres arbitraires, doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.

VIII. La loi ne doit admettre que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée.

IX. Tout homine étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

La discussion se porta ensuite sur les articles relatifs à la liberté

TOME II.

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des cultes. Elle fut très-orageuse et ne se termina que le lendemain (1). La majorité ne voulait pas les trois articles suivants.

L'art. 16 du projet portait : La loi ne pouvant atteindre les délits secrets, c'est à la religion et à la morale à la suppléer. Il est donc essentiel pour le bon ordre même de la société, que l'une et l'autre soient respectées.

Art. 17. Le maintien de la religion exige un culte public.

Le respect pour le culte public est donc indispensable.

Art. 18. Tout citoyen qui ne trouble pas le culte établi ne doit point être inquiété.

M. l'évêque de Clermont. La religion est la base des empires, c'est la raison éternelle qui veille à l'ordre des choses. L'on élèverait plutôt une ville dans les airs, comme l'a dit Plutarque, que de fonder une république qui n'aurait pas pour principe le culte des dieux. Je demande donc que les principes de la constitution française reposent sur la religion comme sur une base éternelle.

M. de la Borde. La tolérance est le sentiment qui doit nous animer tous en ce moment; s'il pouvait se faire que l'on voulût commander aux opinions religieuses, ce serait porter dans le cœur de tous les citoyens le despotisme le plus cruel.

M. le comte de Mirabeau. Je ne viens pas prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré, que le mot tolérance, qui essaye de l'exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l'existence de l'autorité, qui a le pouvoir de tolérer, attente à la liberté de penser, parce cela même qu'elle tolère, et qu'ainsi elle pourrait ne pas tolérer.

Suivant l'orateur, les deux premiers articles ne doivent pas être placés dans la déclaration des droits; ils expriment en effet un devoir et non un droit. Ce devoir, il est vrai, fait naître un droit : savoir, que nul ne peut être troublé dans sa religion; or il y a eu toujours diverses opinions religieuses; cette diversité résulte nécessairement de la diversité des esprits: elle ne peut être attaquée; donc on doit respecter le culte de chacun. C'est là le seul article qu'on doive insérer dans la déclaration des droits sur cet objet.

Sans entrer en aucune manière dans le fond de la question, je

(1) Le compte rendu du Moniteur, que nous reproduisons en grande partie, en abrégeant seulement quelques discours, est très-incomplet, comme il est facile de s'en convaincre. Les discours des membres du clergé sont arrangés de telle manière, qu'il est impossible d'en saisir la conclusion; les débats roulent sur des motions qui n'ont pas été rapportées, etc. Cette inexactitude dans les comptes rendus et surtout cette habitude de travestir les paroles de ses adversaires, par exemple des ecclésiastiques, se retrouve fréquemment dans ce journal.

supplie ceux qui anticipent par leurs craintes sur les désordres qui ravageront le royaume, si on y introduit la liberté des cultes, de penser que la tolérance, pour me servir du mot consacré, n'a pas produit chez nos voisins des fruits empoisonnés, et que les protestants, inévitablement damnés dans l'autre monde, comme chacun sait, se sont très-passablement arrangés dans celui-ci, sans doute par une compensation due à la bonté de l'Être suprême.

Nous qui n'avons le droit de nous mêler que des choses de ce monde, nous pouvons donc permettre la liberté des cultes, et dormir en paix.

Un curé essaye de réfuter M. de Mirabeau.

M. Camus appuie les raisons de M. le curé; mais le trouble empêche la continuation de la délibération.

L'assemblée, par deux arrêtés consécutifs, la remet à demain dimanche, malgré les réclamations de M. le comte de Mirabeau qui craint les intrigues des intolérants.

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SÉANCE DU 23 AOUT. M. Pétion de Villeneuve demande que l'on renvoie l'examen de ces articles à la constitution.

M. Maillet. La religion est un de ces principes qui tiennent aux droits des hommes; l'on en doit faire mention dans la déclaration. Si la religion ne consistait que dans les cérémonies du culte, il faudrait sans doute n'en parler que lorsque l'on rédigera la constitution; mais la religion est de toutes les lois la plus solennelle, la plus auguste et la plus sacrée ; l'on doit en parler dans la déclaration des droits. Je propose l'article suivant :

<< La religion étant le plus solide de tous les liens politiques, nul homme ne peut être inquiété dans ses opinions religieuses. >>

M. Bouche vote la suppression des articles 16 et 17.

M. l'abbé d'Eymar. L'article 16 présente une variété qui découle des derniers articles que vous avez sanctionnés; il renferme un droit sublime, en ce qu'il proclame un tribunal supérieur, le seul qui puisse agir sur les pensées secrètes, le tribunal de la conscience et de la religion.

Il est important de sanctionner, je ne dis pas l'existence de cette vérité, mais encore la nécessité de mettre sans cesse sous les yeux des hommes un principe avec lequel ils doivent naître et mourir. Il est la sauvegarde, il est le premier intérêt de tous, et il serait funeste que tout ce qui existe n'en fût pas pénétré.

Voici mon projet d'article: « La loi ne pouvant atteindre les délits secrets, c'est à la religion seule à la suppléer. Il est donc essen

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