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pendant plusieurs nuits de suite, menaçaient d'incendier la salle des États. Cela donna lieu à beaucoup de démarches et à de grandes démonstrations de la part de M. d'Estaing, commandant de la garde nationale de Versailles, et de la part de cette garde

elle-même.

En prolongeant la discussion, il était à craindre que ces menaces ne se changeassent en une insurrection; surtout si les districts de Paris avaient le temps d'achever les discussions qu'ils avaient commencées. Les efforts des représentants de la commune se fussent trouvés nuls. Ils avaient cependant persisté dans leur système contre le Palais-Royal. Ils firent arrêter plusieurs motionnaires : le marquis de Saint-Hurugues, un M. Tintot, etc., furent empri

sonnés.

Il était en effet admis dans l'opinion publique que les mesures prises par la ville contre le Palais-Royal étaient dirigées dans l'intérêt du pouvoir de Louis XVI. Un grand nombre de brochures en font foi.

« Lorsque M. de Lally, disait Desmoulins dans son Discours de la Lanterne aux Parisiens, proposa à l'assemblée nationale une chambre haute, une cour plénière et deux cents places de sénateurs à vie, et à la nomination royale; lorsqu'on fit briller ainsi à tous les yeux deux cents récompenses pour les traîtres, cominent les Chapelier, les Barnave, les Pétion, les Target, les Grégoire, les Robespierre, les Biauzat, les Volney, les Mirabeau... et tous les Bretons, comment ces fidèles défenseurs du peuple n'ont-ils pas déchiré leurs vêtements en signe de douleur? Comment ne se sontils pas écriés: Il a blasphémé!... Proposer un veto absolu, et, pour comble de maux, des aristocrates à vie, à la nomination royale, je demande si on peut concevoir une motion plus liberticide.

« Le Palais-Royal avait-il donc si grand tort de crier contre les auteurs et fauteurs de pareilles motions? Je sais que la promenade du Palais-Royal est étrangement mêlée; que des filous y usent fréquemment de la liberté de la presse, et que maint zélé patriote a perdu plus d'un mouchoir dans la chaleur des motions. Cela n'empêche point de rendre un témoignage honorable aux promeneurs du Lycée et du Portique. Ce jardin est le foyer du patriotisme, le rendez-vous de l'élite des patriotes qui ont quitté leurs foyers et leurs provinces pour assister au magnifique spectacle de la révolution de 1789, et n'en être pas spectateurs oisifs. De quel droit priver de suffrages cette foule d'étrangers, de suppléants, de correspondants de leurs provinces? Ils sont Français, ils ont intérêt à la constitution, et droit d'y concourir. Combien de Parisiens même ne se

soucient pas d'aller dans leurs districts : il est plus court d'aller au Palais-Royal. On n'a pas besoin d'y demander la parole à un président, d'attendre son tour pendant deux heures. On propose sa motion; si elle trouve des partisans, on fait monter l'orateur sur une chaise; s'il est applaudi, il la rédige; s'il est sifflé, il s'en va. Ainsi faisaient les Romains, dont le Forum ne ressemblait pas mal à notre Palais-Royal. Ils n'allaient point au district demander la parole; on allait sur la place, on montait sur un banc sans craindre d'aller à l'Abbaye. Si la motion était bien reçue, on la proposait dans les formes; alors on l'affichait sur la place; elle y demeurait en placard pendant vingt-neuf jours de marché. Au bout de ce temps, il y avait assemblée générale; tous les citoyens, et non pas un seul, donnaient la sanction. Honnêtes promeneurs du PalaisRoyal, ardents promoteurs de tout bien public, vous n'êtes point des pervers et des Catilina, comme vous appellent M. de ClermontTonnerre, et le Journal de Paris, que vous ne lisez point. Catilina, s'il m'en souvient, voulait se saisir du veto, et l'arracher au peuple, à l'exemple de Sylla. Ainsi, loin d'être des Catilina, vous êtes tout le contraire, et les ennemis de Catilina. Mes bons amis, recevez les plus tendres remercîments de la Lanterne. C'est du Palais-Royal que sont partis les généreux citoyens qui ont arraché des prisons de l'Abbaye les gardes françaises détenus ou présumés tels pour la bonne cause. C'est du Palais-Royal que sont partis les ordres de fermer les théâtres et de prendre le deuil le 12 juillet. C'est au Palais-Royal que le même jour on a crié aux armes et pris la cocarde nationale. C'est le Palais-Royal qui, depuis six mois, a inondé la France de toutes les brochures qui ont rendu tout le monde, et le soldat même, philosophe. C'est au Palais-Royal que les patriotes, dansant en rond avec la cavalerie, les dragons, les chasseurs, les Suisses, les canonniers, les embrassant, les enivrant, prodiguant l'or pour les faire boire à la santé de la nation, ont gagné toute l'armée, et déjoué les projets infernaux des véritables Catilina. C'est le Palais-Royal qui a sauvé l'assemblée nationale, et les Parisiens ingrats, d'un massacre général. Et parce que deux ou trois étourdis (voyez séance du 51 août), qui eux-mêmes ne veulent pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse, auront écrit une lettre comminatoire, une lettre qui n'a pas été inutile, le PalaisRoyal sera mis en interdit, et on ne pourra plus s'y promener sans être regardé comme un Maury et un d'Esprémenil !

« On ne réfléchit pas assez combien ce veto était désastreux. Peut-on ne pas voir qu'au moyen du veto, en vain nous avions fait chanter un Te Deum au clergé pour la perte de ses dîmes; le clergé

et la noblesse conservaient leurs priviléges. Cette fameuse nuit du 4 au 5 août, le roi eût dit : Je la retranche du nombre des nuits, je défends qu'on en invoque les décrets, j'annule tout veto! En vain l'assemblée générale aurait supprimé les fermiers généraux et la gabelle, le roi aurait pu dire: Veto. Voilà pourquoi M. Treilhard, avocat des publicains, a défendu le veto jusqu'à extinction de voix. Il a bravé l'infamie et a dit, comme M. Pincemaille, dans Horace :

Populus me sibilat, et mihi plaudo

Ipse domi, nummos simul ac contemplor in arcâ.

<<< Il semble, en vérité, dit ailleurs Desmoulins, que Paris n'ait couru en juillet que des dangers imaginaires. Est-ce qu'il n'y avait pas une conspiration? Que signifiaient ces deux régiments d'artillerie, ces cent pièces de canon, ce déluge d'étrangers, ce régiment de Salis-Samade, Chateauvieux, Diesbach, Royal-Suisse, Royal-Alle mand, Roemer, Berchigny, Esterhazy, cette multitude de hussards et d'Autrichiens altérés de pillage, et prêts à se baigner dans le sang de ce peuple si doux, qu'aujourd'hui même à peine peut-il croire à l'existence de ce complot infernal. Mais comment n'y pas croire? est-ce qu'on n'avait pas transporté trois pièces d'artillerie jusque sur la terrasse du jardin d'un citoyen à Passy, parce qu'on l'avait trouvée propre à canonuer de là les Parisiens, sur ce même quai où Charles IX les avait arquebusés, il y a deux cents ans? Est-ce que Besenval ne s'est pas mis en fureur à la nouvelle du renvoi de M. Necker, parce que c'était sonner, avant le temps, les vêpres siciliennes?... On a développé leur plan d'attaque dans le Courrier de Versailles à Paris, dans le Point du jour, etc. Moi-même j'ai entendu de respectables militaires, des officiers généraux, obligés de s'avouer à eux-mêmes qu'il n'est que trop vrai qu'une cour aussi corrompue que celle de Catherine de Médicis était aussi sanguinaire.

« Ces petits-maîtres et petites-maîtresses, si voluptueux, si délicats, si parfumés, qui ne se montraient que dans leurs loges ou dans d'élégants phaétons, qui chiffonnaient dans les passe temps de Messaline et de Sapho, l'ouvrage galant de la demoiselle Ber in, à leurs soupers délicieux... le plan de Paris à la main, montraient gaiement comme le canon ronflerait des tours de la Bastille; comme des hauteurs Moutmartre, les batteries choisiraient les édifices et les victimes, comme les bombes iraient tomber paraboliquement dans le Palais-Royal. J'en demande pardon à M. Bailly, cet excellent citoyen, ce digne maire de la capitale; mais il sait bien que le 4

TOME II.

maire de Thèbes, Épaminondas, au rapport de Cornélius Népos, ne se serait jamais prêté à un mensonge, même pour ramener le calme. A qui fera-t-il croire que la plate-forme de Montmartre n'ait pas été destinée uniquement à nous foudroyer et qu'elle puisse servir à un autre usage? Bons Parisiens, il y avait donc contre vous une conspiration exécrable... Puisque la trahison est avérée, pourquoi s'enquérir si peu des traîtres?... cela est vieux, dit-on, et devrait être oublié. Mais, s'imagine-t-on que je ne me souvienne plus que le sieur de Messemy, figurant aujourd'hui parmi les représentants de la commune, était le féal du sieur Barentin et le directeur de la librairie? S'imagine-t-on que j'aie oublié que dans la consternation de la capitale, le dimanche 12 juillet, quand les plus zélés patriotes parmi les électeurs, conjuraient M. de La Vigne, leur président, de sonner à l'instant le tocsin et de convoquer leur assemblée générale, ce pusillanime président les désespéra par ses refus, et, malgré les reproches les plus durs qu'il essuyait de ces zélateurs du bien public, sut reculer encore de vingt-quatre heures, en temporisant, une assemblée dont la tenue était si urgente, et qu'il reculait déjà depuis plusieurs jours malgré le murmure général? S'imagine-t-on que j'aie oublié que le sieur de Beaumarchais était l'intime du sieur Lenoir, cet honnête lieutenant de police?... »

Les journaux patriotes se plaignaient en effet que l'autorité municipale fit arrêter chaque jour quelques citoyens pour les actes les plus indifférents d'opposition. On avait saisi un homme au café de Foy parce qu'il distribuait quelques exemplaires d'une brochure qu'il avait faite; un autre, parce qu'il lisait tout haut un journal; un autre qui se promenait dans le jardin, parce qu'il parlait trop haut; d'autres dans les rues; les patrouilles allaient faire la police jusque dans les cafés: elles le tentaient au moins. L'une d'elles fut repoussée au café Procope, etc. (Révolutions de Paris.) Enfin on arrêtait des malheureux pour fraude des droits de gabelle. On se plaignait que les détenus fussent renvoyés devant un tribunal de l'ancien régime, la Prévôté et le Châtelet, composé de juges ennemis de la révolution, et non devant des jurés. En effet, par arrêté des représentants de Paris, les tribunaux avaient repris séance. Il est vrai que M. Lafayette avait proposé de suspendre le jugement des délits politiques jusqu'au moment où la justice pourrait être administrée par une institution plus en rapport avec les principes modernes. Mais cette proposition avait été sans résultat, même dans l'assemblée nationale, où elle fut portée. On se plaignait que des patrouilles se permissent de saisir même les brochures et les journaux marqués du visa de la ville. Ainsi quelques paquets du journal

très-modéré de Prudhomme furent confisqués. Loustalot voyait dans cette conduite un système qu'il appelait le despotisme bourgeois, ayant pour but de substituer l'aristocratie des riches à celle des nobles.

Cependant les garçons cordonniers purent s'assembler, sans être troublés, aux Champs-Élysées; on se borna à les surveiller. Ils arrêtèrent entre eux le prix du travail, et nommèrent un comité chargé de veiller à l'intérêt commun, et de recueillir et distribuer une cotisation convenue, destinée à subvenir aux besoins de ceux d'entre eux qui se trouveraient sans ouvrage.

Mille objets d'intérêt local détournaient la commune et les districts des questions d'intérêt général. Les deux principaux étaient relatifs aux subsistances et à l'organisation de la municipalité. L'un et l'autre méritent quelque attention de notre part. Nous nous occuperons d'abord de la question municipale; elle est intéressante à plusieurs titres dans cette histoire parlementaire.

L'assemblée des représentants de la commune nommée, en même temps, pour administrer la ville et pour rédiger un plan de municipalité, vivait dans le provisoire. Elle avait arrêté, le 24 août, un règlement pour l'organisation de l'assemblée des représentants de la commune, jusqu'à l'établissement définitif de la constitution municipale. Ce règlement offrait seulement des dispositions relatives à l'ordre intérieur des délibérations, au nombre et à l'élection des comités. On ne s'y était nullement occupé de déterminer les attributions du conseil municipal; aussi ce conseil, ainsi que nous l'avons vu et que nous le verrons encore, se les donnait toutes, même celles de la politique générale. L'insuffisance du règlement était parfaitement sentie. De semaine en semaine, l'assemblée des représentants appelée à s'occuper des matières les plus nombreuses, était obligée, pour répondre à ces nécessités nouvelles, d'augmenter le nombre de ses membres, et de faire appel aux districts. Elle leur avait successivement demandé d'élire soixante représentants de plus et soixante suppléants, et ces additions se trouvaient encore insuffisantes; il était facite de reconnaître que ces besoins sans cesse renaissants étaient l'effet d'un défaut d'ordre auquel on ne savait suppléer qu'en multipliant les commissions. Un plan de municipalité, rédigé par une commission, fut donc imprimé et distribué. Ce projet établissait un conseil général de trois cents personnes, un petit conseil de soixante, et un bureau administratif de vingt et un. L'assemblée arrêta, le 28 août, qu'elle s'en occuperait sans désemparer, et que « le plan de municipalité serait précédé d'un préambule qui contiendrait la déclaration des droits de la commune. » Mais elle fut

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