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daient l'expulsion des Savoyards. On envoya des patrouilles pour les empêcher de délibérer; aussitôt que l'un d'eux voulait parler, la patrouille arrêtait l'orateur. Ce n'était pas assez on barra les rues environnantes; on empêchait d'arriver vers le Louvre; on laissait seulement sortir; en sorte que l'attroupement fut bientôt dissipé. Dans la partie opposée de Paris, une autre scène se passait. La commune avait ordonné que les ouvriers de Montmartre seraient évacués sur leurs provinces, avec une indemnité de 3 sous par lieue. On craignait qu'ils ne voulussent point partir en conséquence, on avait encombré Montmartre de troupes; on avait fait marcher l'artillerie. Il est remarquable qu'on avait mis en tête des gardes nationaux, une troupe d'élite, composée des vainqueurs de la Bastille. De Montmartre on envoyait les ouvriers à l'Abbaye, remettre leurs outils, recevoir 24 sols et un passe-port. Il en fut délivré environ quatre mille.

Pendant que la garde nationale était ainsi occupée, les bruits les plus sinistres se répandaient dans Paris. On disait qu'il existait une coalition entre le clergé, la noblesse et quatre cents membres des communes; on disait que Monsieur (Louis XVIII) quittait la France; que Mirabeau avait été tué d'un coup d'épée. « Il semble, dit un écrivain patriote, que l'on veuille nous faire haïr la liberté. La disette, naissant de spéculations avides, les travaux suspendus, le commerce languissant, les ligues secrètes de nos ennemis, tout nous afflige et nous effraye. >>

En effet, les bruits de famine se maintenaient plus effrayants encore que les jours précédents. Les boulangers couraient la halle, accusant le commissaire aux farines, et le menaçant de la lanterne. De là ils se jetaient dans leurs districts et allaient y répandre la terreur qui les préoccupait. Quel sombre et redoutable avenir !

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SÉANCE DU SAMEDI 29 AOUT, au soir. L'assemblée essaya de conjurer les dangers immédiats par des mesures législatives.

L'avant-veille, le soir avait été employé à l'examen de l'exportation et de la circulation des grains; au milieu de la diversité des opinions, il était impossible de prendre une décision, et l'affaire avait été renvoyée à cette séance. Les mêmes embarras, les mêmes inconvénients ont reparu. Beaucoup de membres présentent des arrêtés qui tous portent sur ces deux bases: 1° Défendre l'exportation des grains chez l'étranger; 2° autoriser et commander même la circulation des grains de province à province.

N. Il y a plus d'un an que nous connaissons l'importance de ces deux grandes vérités.

La première appauvrit la France et enrichit nos voisins; ils achètent à bon compte ce que leur avarice nous revend avec usure. Ils combinent mieux que nous, parce que nous le voulons bien, et que l'exportation chez nous a toujours été illimitée ou limitée ganchement.

La seconde circonscrit la famine dans une province, et fait mouvoir le commerce dans une autre qui languit conséquemment au milieu de l'abondance.

Il y a plus d'un an que ces deux vérités auraient dû être respectées, proclamées, consacrées par les lois, et maintenues par la force du pouvoir exécutif; au moins nous n'aurions pas à dévorer un pain corrompu, et qui peut donner la mort à l'homme qu'il doit alimenter

Je demande donc qu'on aille sur-le-champ aux voix sur les propositions faites.

N. II se présente un très-grand inconvénient, auquel le gouvernement seul est dans le cas de remédier. Depuis longtemps cet abus subsiste, et il subsistera longtemps encore, si, malgré les dénonciations qui ont été faites au gouvernement, il ne se hâte de le réprimer.

La circulation intérieure se fait aussi par mer. On charge dans un port quelconque de France pour se rendre dans un port français. Ainsi, les blés du Poitou sont embarqués à La Rochelle pour être transportés au Havre-de-Grâce: le nom du vaisseau, celui du capitaine, le chargement, le lieu même de sa destination, tout est inscrit sur les registres de l'amirauté; le vaisseau part, mais il ne se rend pas au Havre: il va porter les grains chez l'étranger, y prend d'autres marchandises, et se rend au Havre; le moment de son arrivée, la nature de ses marchandises, sont inscrits sur les registres de l'amirauté du Havre.

Si le dernier juge pouvait avoir un résultat, un relevé des registres du lieu du départ, la fraude serait connue et punie; mais le juge de l'amirauté du Havre ne peut rien exiger de celui de La Rochelle. Le gouvernement a été pressé, sollicité de remédier à cela; mais le gouvernement a répondu que cela n'était pas. Il faut donc que l'assemblée prenne une détermination.

Après une assez longue discussion, l'assemblée termine par porter le décret suivant :

«L'assemblée nationale a décrété et décrète :

ART. Ier. Que les lois subsistantes et qui ordonnent la libre circu

lation des grains et des farines dans l'intérieur du royaume, de province à province, de ville à ville, de bourg à bourg et de village à village, seront exécutées selon leur forme et teneur; casse et annule toutes ordonnances, jugements et arrêts qui auraient pu intervenir contre les vœux desdites lois; fait défenses à tous juges et administrateurs quelconques d'en rendre de semblables à l'avenir, à peine d'être poursuivis comme criminels de lèse-nation; fait pareillement défense à qui que ce soit de porter directement ou indirectement obstacle à ladite circulation, sous les mêmes peines.

II. Fait pareillement défenses à qui que ce soit d'exporter des grains et farines à l'étranger jusqu'à ce que, par l'assemblée nationale, et sur le rapport et réquisitoire des assemblées provinciales, il en ait été autrement ordonné, à peine d'être, les contrevenants, poursuivis comme criminels de lèse-nation.

Et sera le présent décret envoyé dans toutes les provinces, aux municipalités des villes et bourgs du royaume, pour être lu, publié et affiché partout où besoin sera. »

CHAP. III. — Agitation au Palais-Royal et dans les districts.

l'assemblée.

Menaces contre Celle-ci, après une longue discussion, passe à l'ordre du jour.Le Palais-Royal porte la question aux districts. Arrêté des représentants de la commune. - Les pouvoirs qu'ils s'attribuent.

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Paris, 30 août. La question des subsistances ne fut qu'un accident dans les travaux de l'assemblée. La grande question qui allait soulever toutes les passions était celle du veto, et, comme nous l'avons dit, elle était fondamentale. Si le veto était rejeté, si le roi n'était plus libre de recevoir ou de refuser les décrets de l'assemblée législative, il était évident que la monarchie n'existait plus; telle était l'opinion des royalistes. Au contraire, s'il était admis, il était évident qu'il y avait deux souverainetés à droits égaux, celle du roi et celle de la nation, et le principe de la souveraineté du peuple était anéanti. Telle était l'opinion des hommes élevés dans la doctrine du Contrat social de Rousseau. La question fut donc vivement débattue parmi · les membres de l'assemblée nationale, plus encore dans les bureaux et dans les conversations particulières que dans les séances générales; et devant le public, dans une multitude de brochures.

Le Palais-Royal, qui était habitué à donner le ton aux réunions politiques de Paris, s'en occupa le premier. Le café de Foy était devenu le centre de ce club mobile, depuis les dernières mesures de l'hôtel de ville contre les motionnaires du jardin. On y fit diverses motions: Il faut agir, disait-on, ou dans trois jours la France est esclave et

l'Europe avec elle. On décide qu'il faut partir pour Versailles, et aller dire à l'assemblée qu'il existe dans son sein une ligue nombreuse décidée à faire passer l'infàme veto, qu'on en connaît les membres, que s'ils ne renoncent à leur projet liberticide, quinze mille hommes sont prêts à marcher, etc. On charge le marquis de Saint-Hurugues de porter cette motion; et en effet, vers dix heures du soir, il sortit du Palais-Royal accompagné d'environ quinze cents hommes, et résolu de se rendre à Versailles.

Mais la nouvelle de ce projet était parvenue aux représentants de la commune, et sur leur ordre, par les soins de MM. Bailly et Lafayette, tous les postes avaient été renforcés; les rues par où l'on devait passer étaient barrées par des grenadiers et du canon; on avait envoyé de la cavalerie fermer les routes jusque hors Paris. La députation fut donc repoussée et dissipée. Son président vint rapporter cette défaite au café de Foy. Alors trois députations successives furent envoyées à l'hôtel de ville. Mais là on ne les admit et on ne les écouta qu'à titre de renseignement, et on ne leur donna aucune réponse. Cependant leurs commettants restaient assemblés en les attendant; ils ne se séparèrent point de la nuit, bien que la fermeture des cafés les forçât à la passer debout.

SÉANCE DU LUNDI 31 AOUT. N. Les moments de la constitution semblent encore s'éloigner; des difficultés sans cesse renaissantes, le peu d'harmonie qui règne dans l'assemblée, ont fait fermenter les esprits de la capitale; on interprète mal les intentions de l'assemblée, et la sanction paraît être la pomme de discorde.

Paris est dans l'impatience de cette constitution; Paris la désire, la veut, et cependant on l'éloigne à chaque instant. Voici deux lettres dont je crois devoir vous donner communication.

Extrait d'une lettre écrite à M. de Saint-Priest, ministre de Paris. · Du 30, à dix heures du soir.

L'assemblée des représentants de la capitale me charge de vous informer qu'il y a un nombre considérable de citoyens rassemblés dans le Palais-Royal; ils parlent d'aller à Versailles. Elle a chargé M. le commandant de donner des ordres pour arrêter et prévoir les suites de cet attroupement; nous avons cru devoir vous en instruire pour prévenir tout événement.

Autre lettre. A deux heures du matin.

Je m'empresse de vous apprendre que, malgré l'effervescence

des assemblées du Palais-Royal, les précautions prises par M. le commandant ont réussi; tout est calme.

M. le comte de Lally-Tolendal. Messieurs, le compte que j'ai à vous rendre est bien douloureux, il est bien déchirant pour mon cœur. Cette nuit j'ai reçu une députation composée d'un avocat du district de Saint-Étienne-du-Mont et d'un ingénieur du district des Capucins. Ils m'ont dit qu'ils étaient députés solennellement vers moi, en ma qualité de bon citoyen, pour me remettre une motion qui a été rédigée dans le Palais-Royal, et qui doit être faite demain dans tous les districts; qu'elle tend à nommer d'autres députés, et que ceux qui seraient remplacés, leur personne cessant d'être inviolable, on leur ferait leur procès; que ce nombre de traîtres et d'aristocrates est considérable; qu'ils veulent faire passer le veto absolu; ils les ont nommés.

Je leur ai répondu que les personnes qu'ils venaient de calomnier étaient aussi respectables par leurs vertus que par leurs lumières; que j'avais travaillé toute la nuit à défendre la sanction royale; que je la défendrais encore jusqu'à mon dernier soupir, moins pour le roi que pour le peuple. Ils m'ont répondu qu'il leur paraissait qu'après la constitution, la sanction était nécessaire. Ils ont terminé par me prier de faire lecture de leur motion.

Je ne fais aucune réflexion. Je demanderai la parole lorsqu'il en sera temps pour parler en faveur de la sanction royale.

Extrait de la motion faite au Palais-Royal, pour être envoyée aux différents districts et aux provinces.

L'article 11 de la déclaration des droits de l'homme porte: La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire et imprimer librement, sauf à répondre de cette liberté dans les cas prévus par la loi. Nous sommes actuellement au moment décisif de la liberté française.

Instruits que plusieurs membres s'appuient sur différents articles des cahiers, il est temps de les rappeler, de les révoquer; et puisque la personne d'un député est inviolable et sacrée, leur procès sera fait après leur révocation.

Le veto n'appartient pas à un seul homme, mais à vingt-cinq millions.

Les citoyens réunis au Palais-Royal pensent que l'on doit révoquer les députés ignorants, corrompus et suspects.

En conséquence, il a été arrêté unanimement de partir sur-le

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