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petite terre qui servoit à toute la famille'. Il avoit deux sœurs l'une qui a passé sa vie à Paris dans les meilleures compagnies, femme d'un Ferriol assez ignoré, frère de Ferriol qui a été ambassadeur à Constantinople, qui n'a point été marié3; l'autre sœur religieuse professe pendant bien des années dans les Augustines de Montfleury' aux nommé par Louis XIV premier président du sénat de Chambéry; il y mourut le 31 octobre 1705 à soixante-quatorze ans. Il avait épousé Louise de Buffevent, d'une vieille famille du Viennois, à propos de laquelle le maréchal de Tessé écrivait à Chamillart le 9 novembre 1703: « M. de Tencin est totalement gouverné par sa femme, qui est une cabaleuse intéressée, fausse comme du cuivre jaune, qui a pensé faire tourner la tête à toute la noblesse de Chambéry. Je ne lui connois d'autre qualité que d'être mère de deux jolies filles. >> Le frère était François Guérin de Tencin, né le 16 février 1676; d'abord conseiller au parlement de Grenoble, puis président à mortier (mai 1699), il succéda à son père comme premier président à Chambéry (novembre 1705), mais revint par la suite reprendre sa place à Grenoble, et y mourut en 1742.

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1. M. de Coynart explique (p. 57 et note 2) comment cette petite terre, située sur la rive droite du ruisseau du même nom, dans la vallée du Graisivaudan, vint à François Guérin vers 1660 par l'héritage de sa belle-mère Mme du Faure.

2. Marie-Angélique Guérin de Tencin, née le 21 août 1674, épousa le 13 mai 1696, Augustin de Ferriol, comte de Pont-de-Veyle et seigneur d'Argental, noms que portèrent ses deux fils; il était né en 1662, fut trésorier général du Dauphiné de 1693 à 1712, devint conseiller au parlement de Metz le 16 avril 1701, président à mortier en août 1720, et mourut le 3 février 1737. Sa femme était morte le 1er février 1736. Les relations galantes de celle-ci avec Vauban, le maréchal d'Huxelles, Torcy, Bolingbroke, sont bien connues, ainsi que son salon littéraire, que fréquenta Voltaire et les beaux esprits du temps. Il y a des lettres d'elle à Desmaretz dans le carton G7 553 des Archives nationales, au 28 septembre 1703, 16 octobre 1704, et sans date (avril) 1705. Dès le 24 octobre 1713, le mari et la femme avaient acheté une chapelle à Saint-Roch pour leur sépulture (Archives nationales, S *7096, fol. 145).

3. Charles de Ferriol: tome VI, p. 213.

4. Claudine-Alexandrine Guérin de Tencin, la célèbre Madame de Tencin, née le 27 avril 1682, religieuse professe en 1698, relevéc de ses vœux en 1712, morte le 4 décembre 1749; voyez ci-après.

5. Ce couvent, merveilleusement situé sur une colline qui domine

environs de Grenoble; toutes deux belles et fort aimables; Mme Ferriol avec plus de douceur et de galanterie, l'autre avec infiniment plus d'esprit, d'intrigue et de débauche. Elle attira bientôt la meilleure compagnie de Grenoble à son couvent, dont la facilité de l'entrée et de la conduite ne put jamais être réprimée par tous les soins du cardinal le Camus'. Rien n'y contribuoit davantage que l'agrément et la commodité de trouver au bout de la plus belle promenade d'autour de Grenoble un lieu de soi-même charmant, où toutes les meilleures familles de la ville avoient des religieuses. Tant de commodités, dont Mme Tencin abusa largement, ne firent que lui appesantir le peu de chaînes qu'elle portoit'. On la venoit trouver avec tout le succès qu'on eût pu desirer ailleurs. Mais un habit de religieuse, une ombre de régularité, quoique peu contrainte, une clôture, bien qu'accessible à toutes les visites des deux sexes, mais d'où elle ne pouvoit sortir que de temps en temps, étoit une gène insupportable à qui vouloit nager en grande eau, et qui se sentoit des talents pour faire un personnage par l'intrigue. Quelques raisons pressantes de dérober la suite de ses plaisirs à une commu

Grenoble, avait été fondé en 1342 par Humbert II, dauphin de Viennois, qui y avait établi des religieuses de l'ordre de Saint-Dominique, sorte de chanoinesses cloîtrées, qui devaient faire preuves de noblesse, mais pour lesquelles la règle dominicaine avait été adoucie. Elles y élevaient la plupart des jeunes filles de la noblesse et de la bonne société de Grenoble. Il semble qu'au dix-septième siècle la clôture y était mal observée.

1. Les Guérin de Tencin, p. 76-80.

2. M. de Coynart a établi que Mlle de Tencin fut mise au couvent de Montfleury pour y faire son éducation dès 1690, à l'âge de huit ans ; que ses parents la contraignirent d'abord à prendre l'habit, puis à faire profession le 25 novembre 1698, alors qu'elle n'avait guère plus de seize ans. Dès le lendemain, elle trouva moyen de faire venir un notaire, devant lequel elle protesta de la contrainte qui lui avait été faite, protestation qu'elle renouvela le 13 novembre 1702.

3. Locution déjà rencontrée dans nos tomes XI, p. 318, XII, p. 446, XIV, p. 278, XXIX, p. 49.

nauté qui ne peut s'empêcher de se montrer scandalisée des éclats du désordre, et d'agir en conséquence, hâtèrent' la Tencin de sortir de son couvent sous quelque prétexte, avec ferme résolution de n'y plus retourner2.

L'abbé Tencin et elle ne furent jamais qu'un cœur et qu'une âme par la conformité des leurs, si tant est que cela se puisse dire en avoir. Il fut son confident toute sa vie; elle de lui. Il sut la servir si bien par son esprit et ses intrigues, qu'il la soutint bien des années au milieu de la vie du monde, des plaisirs et des désordres, dont il prenoit bien sa part, dans la province et jusqu'au milieu de Paris, sans avoir changé d'état; elle fit même beaucoup de bruit par son esprit et par ses aventures sous le nom de « la religieuse Tencin ». Le frère et la sœur, qui vécurent toujours ensemble', eurent l'art que personne ne

1. Il y a hasta, au singulier par mégarde, dans le manuscrit.

2. Alexandrine, malade, alla en 1708 aux eaux d'Aix, et semble ne pas être retournée à Montfleury depuis; en 1710, elle obtint de ses supérieurs la permission de se retirer au couvent de Sainte-Claire d'Annonay, dont était abbesse depuis 1705 la sœur de son beau-frère Ferriol. M. de Coynart pense que, jusqu'à l'annulation de ses vœux en 1712, la conduite d'Alexandrine fut régulière, ou tout au moins qu'elle n'eut pas d'amant (Les Guérin de Tencin, p. 100).

3. Il y eut toujours en effet une grande union entre le frère et la sœur; mais ils ne semblent pas avoir eu toujours le même domicile. Par un acte du 23 mars 1720 (Archives nationales, Y 304, fol. 23 vo), l'abbé fait une convention avec les religieuses de la Miséricorde de l'hôpital Saint-Julien et Sainte-Basilisse, de la rue Mouffetard, pour Transporter sur la tête de sa sœur, sa vie durant, une rente de quatre mille livres que les religieuses lui ont constituée pour le versement d'un capital de cent mille; il est vrai qu'il se réserve de pouvoir se faire reverser par sa sœur tout ou partie de cette rente. Lui demeure alors rue Neuve-Saint-Augustin, paroisse Saint-Roch, et elle tout contre la porte Saint-Honoré, dans un appartement dépendant du couvent de la Conception, qu'elle louait cinq cents livres par an (Archives nationales, reg. S*7099, fol. 27 vo). Elle logeait là au moins depuis 1714: le 21 juin de cette année elle avait conclu avec les religieuses de ce couvent un bail à vie d'un appartement, moyennant le versement d'une somme de 7000 livres; le 16 août suivant, elle fit la

l'entreprit sur cette vie vagabonde et débauchée d'une religieuse professe, qui en avoit même quitté l'habit de sa seule autorité1. On feroit un livre de ce couple honnête, qui ne laissèrent pas de se faire des amis par leur agrément extérieur et par les artifices de leur esprit. Vers la fin de la vie du Roi, ils trouvèrent enfin moyen d'obtenir de Rome un changement d'état, et de religieuse la faire chanoinesse, je ne sais d'où, et où elle n'alla jamais2. Cette solution demeura imperceptible en nom, en habit, en conduite, et ne fit ni bruit ni changement. C'est l'état où elle se trouva à la mort du Roi. Bientôt après, elle devint maîtresse de l'abbé Dubois, et ne tarda guères à devenir sa confidente, puis la directrice de la plupart de ses desseins

même convention pour le reste de la maison, contre le paiement d'un supplément de 3 500 livres (carton S 4673, dossier 4).

1. Nous allons voir que ceci est erroné; Saint-Simon applique à l'époque qui précéda 1712 ce qui ne peut se dire que d'un temps postérieur.

2. On a dit ci-dessus qu'Alexandrine était depuis 1710 au couvent des Clarisses d'Annonay. En 1711, l'abbesse, venant à Paris, emmena Alexandrine avec elle. Celle-ci profita de ce séjour, avec l'aide de sa sœur Ferriol, pour faire passer à Rome, par l'intermédiaire d'un banquier expéditionnaire, une requête demandant l'annulation de ses vœux, en invoquant la contrainte et les protestations notariées faites par elle. Le 2 décembre 1711, le pape délivrait un bref faisant droit à sa requête, sous la réserve que les faits énoncés seraient reconnus exacts. Une enquête canonique fut donc entamée à cet effet à Grenoble, où la requérante obtint, à cause de sa santé, de ne pas retourner; le cardinal de Noailles l'autorisa à habiter au couvent de SaintChamont, près la porte Saint-Denis. Mais, peu de temps après, elle se retira dans un couvent de son ordre, les dominicaines de la Croix, rue de Charonne. Enfin, le 5 novembre 1712, l'official de Grenoble prononçait l'annulation des vœux d'Alexandrine et lui permettait de rentrer dans le siècle (Les Guérin de Tencin, p. 101-109); elle avait alors trente ans. Quant à son affiliation aux chanoinesses de Neufville ou Neuville-sur-Saône, M. de Coynart a cru établir que c'était une fausseté (ibidem, p. 110-111); mais, dans le bail indiqué plus haut, elle est qualifiée de «< chanoinesse nommée de Neuville » ; peutêtre ne prit-elle jamais possession de sa prébende.

Caractère de

l'abbé Tencin.

Il va à Rome pour le

chapeau de

en plein Parlement en partant.

et de ses secrets'. Cela demeura assez longtemps caché, et tant que la fortune de l'abbé Dubois eut besoin de quelques mesures; mais, depuis qu'il fut archevêque, encore plus lorsqu'il fut cardinal, elle devint maîtresse publique, dominant chez lui à découvert, et tenant une cour chez elle, comme étant le véritable canal des grâces et de la fortune. Ce fut donc elle qui commença celle de son frère bien-aimé : elle le fit connoître à son amant secret, qui ne tarda pas à le goûter comme un homme si fait exprès pour le seconder en toutes choses, et lui être singulièrement utile 2.

L'abbé Tencin avoit un esprit entreprenant et hardi, qui le fit prendre pour un esprit vaste et mâle. Sa patience étoit celle de plusieurs vies, et toujours agissante vers le but qu'il se proposoit, sans s'en détourner jamais, et surtout incapable d'être rebuté par aucune difficulté; un l'abbé Dubois; esprit si fertile en ressorts et en ressources qu'il en acquit est admonesté faussement la réputation d'une grande capacité; infiniment souple, fin, discret, doux ou âpre selon le besoin, capable sans effort de toutes sortes de formes, maître signalé en artifices, retenu par rien, contempteur souverain de tout honneur et de toute religion, en gardant soigneusement les dehors de l'un et de l'autre ; fier et abject selon les gens et les conjonctures, et toujours avec esprit et discernement; jamais d'humeur, jamais de goût qui le détournât le moins du monde, mais d'une ambition démesurée; surtout altéré d'or, non par avarice ni par desir de dépenser et de paroître, mais comme voie de parvenir à tout dans le sentiment de son néant. Il joignoit quelque légère écorce de savoir à la politesse et aux agréments de la conversation, des manières et du commerce, une sin

1. Voyez l'ouvrage de M. de Coynart, p. 142 et suivantes.

2. Saint-Simon ne parlera plus de Mme de Tencin. Il est curieux qu'il n'ait pas fait ici au moins une allusion à ses relations avec le chevalier des Touches, des Touches-Canon, le père de d'Alembert, qu'il dut bien connaître.

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