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la patience et tout ce que le cardinal pût faire pour le
rendre plus traitable, y pût réussir, tellement que l'arche-
vêque leva le masque et lui rompit publiquement en
visière1. Le cardinal, tout modéré qu'il étoit, ne crut pas
devoir souffrir cette insulte. Il la repoussa avec sagesse,
mais avec la hauteur qui convenoit à sa place, et, comme
au fond il avoit raison, et qu'il sut bien l'expliquer et le
démontrer, il confondit l'archevêque, qui ne sut que bal-
butier, et qui fut blàmé publiquement de toute l'assemblée.
Cet éclat obligea le cardinal d'en rendre compte au Roi.
Le Roi lava doucement la tête à l'archevêque, et l'obligea
d'aller faire des excuses au cardinal, sans que les jésuites
osassent dire un mot en sa faveur, ni que lui eût pu
gagner Mme de Maintenon, qui le tança fortement. Voilà
ce qu'il ne pardonna jamais aux Noailles, et qui le rendit
l'ennemi ardent et irréconciliable du cardinal de Noailles
tout le reste de sa vie, jusqu'à m'avoir dit à moi-même
dans le feu de l'affaire de la Constitution, et lui cardinal,
sur laquelle nous n'étions pas d'accord, qu'il ne se sou-
cioit de la Constitution, comme telle, en façon du monde;
qu'il ne l'avoit jamais soutenue avec ardeur, comme il
feroit toujours, que parce que le cardinal de Noailles étoit
contre, et qu'il auroit été contre avec la même violence,
si le cardinal de Noailles avoit été pour. Il ne me dissimula
pas
aussi 2
que la vue prochaine du chapeau lui avoit fait
faire les fortes démarches qu'il avoit cru utiles pour se

l'assurer et se l'accélérer.

Le Tellier, fils du chancelier de ce nom et frère de Louvois, étant mort en 17103, archevêque de Reims depuis longues années, et toute sa vie peu ami des jésuites, le P. Tellier se fit un capital de le remplacer d'un homme à tout faire pour les jésuites, et à réparer dans

1. Toute cette histoire a déjà été racontée deux fois : tomes XIII, p. 272-273, et XX, p. 77-79.

2. Aussy a été ajouté en interligne.

3. Après cette date, Saint-Simon a biffé le P. Tellier.

Sentiments de Mailly étranges sur la Constitution. Comment transféré d'Arles

à Reims; sa conduite dans ce nouveau siège.

ce diocèse les longues pertes qu'ils y avoient faites. Il y voulut aussi avec autant de choix un ennemi du cardinal de Noailles, qui, par l'éminence de ce grand siége, devînt un personnage nécessaire, sûr en même temps pour eux et propre à lui opposer. D'autres qualités, il ne s'en embarrassa guères, l'autorité et la violence suppléant aisément à tout. Dès qu'il ne s'agissoit que des deux premières, il ne lui fallut pas chercher beaucoup pour trouver son fait. La naissance, les entours de Mailly, le siége d'Arles qu'il occupoit depuis longtemps, et où il avoit presque toujours résidé, rendirent facile sa translation à Reims. Mailly gagna tout à ce changement, et n'y perdit pas même la facilité qu'il avoit à Arles pour son commerce et ses intrigues à Rome, sur lequel la rigueur de la cour étoit peu à peu tombée par les manèges du P. Tellier, aux vues duquel cette liberté étoit devenue nécessaire. Ainsi Mailly, devenu plus considérable à Rome par l'éclat de son nouveau siége et par sa proximité de Paris et de la cour, redoubla d'efforts à Rome, et n'oublia rien ici pour en mériter l'objet de ses desirs. L'affaire de la Constitution lui en présenta tous les moyens, qu'il en saisit avec avidité, et qui lui fournit ceux d'exercer sa haine contre le cardinal de Noailles. L'orgueil souffroit toutefois de se voir avec son siége, son zèle, son affinité avec Mme de Maintenon, si loin derrière les cardinaux de Rohan et de Bissy, et confondu avec d'autres évêques; mais ce fut une épreuve qu'il fallut essuyer dans l'espérance du chemin qu'elle lui feroit faire. Ainsi s'écoulèrent les restes du règne du Roi et les premiers temps de la Régence. La Constitution y ayant enfin pris le dessus, Mailly s'unit étroitement à Bentivoglio, tous deux dévorés du desir de la pourpre, et tous deux persuadés qu'ils ne se la pouvoient accélérer qu'en mettant tout en feu. Mailly donc n'aspira plus qu'à se faire le martyr de Rome, ne garda plus de mesures, abandonna Rohan, Bissy et les plus violents évêques, comme de tièdes politiques, qui aban

donnoient le saint-siége et la cause de l'Église. De là ses lettres et ses mandements multipliés1, le double mérite qu'il recueillit à Rome d'avoir osé les faire et les publier, et de n'avoir pu être arrêté par tous les ménagements que le Régent avoit eus pour lui. Ce n'étoit pas des ménagements qu'il souhaitoit, c'étoit tout le contraire pour acquérir à Rome la qualité de martyr et en recueillir le fruit. Aussi en fit-il tant que l'emportement d'une de ses lettres la fit brûler par arrêt du Parlement; aussi en fit-il éclater sa joie et son mépris un peu sacrilégement3. Il fonda une messe à perpétuité dans son église, à pareil jour, pour remercier Dieu d'avoir été trouvé digne de participer aux opprobres de son Fils unique pour la justice; il espéroit sans doute engager à quelque violence d'éclat par cette étrange fondation, qui le conduiroit plus tôt à son but: il y fut trompé. Le châtiment alors ne pouvoit tomber que sur sa personne, et on ne peut agir contre la personne d'un pair qu'au Parlement, toutes les chambres assemblées et les pairs convoqués. Outre l'embarras d'une affaire de cette qualité, la Constitution et ses suites étoient détestées, et on ne craignoit rien tant. là-dessus que l'assemblée du Parlement. On laissa donc tomber l'éclat où l'archevêque vouloit engager. Sa conduite, qui scandalisa jusqu'aux plus emportés constitutionnaires, le décrédita même dans leur parti; mais les

1. Voyez à la Bibliothèque nationale, Catalogue de l'histoire de France, histoire religieuse, Ld', nos 842-844, 874-875, 896, 899, 909, 933-937, 946, 975, etc.

2. Arrêt du 19 mars 1718 supprimant une « Lettre de M. l'archevêque de Reims à S. A. R. Mgr le duc d'Orléans », et la condamnant au feu (Archives nationales, AD 747, n° 57).

3. Adverbe que l'Académie n'admettait pas encore en 1718.

4. Nous ne savons si cette fondation de messe est exacte; mais, à la suite de l'arrêt du 19 mars, l'archevêque envoya une lettre circulaire aux doyens ruraux de son diocèse, datée du 24 et commençant par ces mots : « Prenez part à mon bonheur » (Bibliothèque nationale, Ld' 1018).

M. le duc d'Orléans, fort irrité

de la promotion

de l'archevêque de Reims, me mande, me l'apprend,

et

discute cette

affaire avec le Blanc

prélats ne donnoient pas les chapeaux : ce n'étoit qu'à Rome qu'ils se distribuoient, et ce n'étoit que vers Rome que toutes ses démarches se dirigeoient. Enfin il fut content par la promotion dont il s'agit ici; lui et son ami Bentivoglio y furent compris tous deux. Ces violents procédés ne le servirent peut-être pas mieux que ses flatteries. Le Pape se piquoit singulièrement de bien parler et de bien écrire en latin; il vouloit s'approcher de saint Léon et de saint Grégoire, ses très illustres prédécesseurs1; il s'étoit mis à faire des homélies; il les prononçoit, puis les montroit avec complaisance; pour l'ordinaire, on les trouvoit pitoyables; mais on l'assuroit qu'elles effaçoient celles des Pères de l'Église les plus savants, les plus élégants, les plus solides. Mailly s'empressa d'en avoir, et encore plus de se distiller en remerciements et en éloges. Ils achevèrent de gagner et de déterminer le Pape, qui le fit cardinal sans participation de la France, ni de pas un de ses parents ou amis de ce pays-ci.

M. le duc d'Orléans m'envoya chercher un peu après midi; il n'y avoit pas une heure qu'il avoit reçu la nouvelle de la promotion; l'abbé Dubois, qui la lui avoit portée, n'étoit déjà plus avec lui. C'étoit le dimanche 10 décembre. Je le trouvai seul avec le Blanc; la Vrillière y vint une demi-heure après. M. le duc d'Orléans étoit fort en colère; il m'apprit la promotion, et tout de suite qu'il dépêchoit à Reims, où étoit l'archevêque, le chevalier de Velleron, enseigne des gardes du corps', avec un

1. Saint Léon Ier, pape de 440 à 461, et saint Grégoire Ier, pape de 590 à 604, tous deux qualifiés de grand, tous deux célèbres par leurs lettres et leurs sermons, dont on fit de très nombreuses éditions, et dont le style est célèbre.

2. Elles ont été imprimées dans les œuvres complètes de ce pape publiées d'abord à Rome par le cardinal Annibal Albani, son neveu, puis à Francfort en 1729, en deux volumes in-folio.

3. Louis-Dominique de Cambis, chevalier de Velleron, baptisé le 10 août 1669, fut admis dans l'ordre de Malte dès 1674, eut une cornette de cavalerie en 1689, et passa capitaine en 1692; la même

ordre du Roi de l'empêcher de sortir de Reims, de l'y faire retourner, s'il le rencontroit en chemin, de lui défendre de porter la calotte rouge ni aucune marque ni titre de cardinal, et de la lui ôter de dessus la tête en cas qu'il l'y eût mise1. Je sentis tout le crime d'une ambition

année, il entra aux gardes du corps comme exempt dans la compagnie de Lorge, dont il fut nommé second enseigne en septembre 1709; entre temps, il avait eu le grade de mestre-de-camp en 1703 et le gouvernement de Sisteron en mai 1709. Il fut nommé brigadier de cavalerie en mars 1710, devint en 1716 premier enseigne de sa compagnie, maréchal de camp en mars 1719 et quitta alors l'ordre de Malte. Il passa troisième lieutenant aux gardes du corps en 1720, prit le nom de comte de Cambis en 1724, en épousant une Gruyn, fille du garde du Trésor royal; il fut envoyé aussitôt après comme ambassadeur en Savoie et y resta jusqu'en 1728. Il était premier lieutenant des gardes du corps depuis 1730, lorsqu'on lui donna en 1733 le commandement du Dauphiné ; il conserva ce poste jusqu'en 1736, ayant été nommé en 1734 lieutenant-général et grand croix de l'ordre de Saint-Louis. Le cardinal de Fleury l'envoya en ambassade en Angleterre en 1737 et lui fit donner l'ordre du Saint-Esprit en 1739. Il mourut à Londres le 12 février 1740.

1. Le Régent avait en outre ordonné dès le 10 décembre au secrétaire d'État Armenonville d'écrire la lettre suivante au lieutenant général du présidial de Reims : « Vous avez sans doute appris que M. l'archevêque de Reims a été compris dans une promotion de neuf cardinaux que le Pape vient de faire; mais, comme ce prélat a sollicité et obtenu cette dignité étrangère sans en avoir eu ni demandé la permission du Roi, Mgr le duc d'Orléans n'a pu regarder ce procédé de sa part que comme une infraction, non seulement à l'obéissance et à la fidélité que son rang et sa naissance exigeoient de lui, mais même au serment qu'il a prêté en qualité de duc et pair, et S. A. R. n'a pu se dispenser, pour le maintien de l'autorité de S. M. qui est en ses mains, de faire défense à ce prélat d'accepter cette dignité, d'en prendre le titre ni d'en porter les marques. Elle a pour cet effe chargé M. le chevalier de Velleron, enseigne des gardes du corps, de lui porter les ordres de S. M. à ce sujet, et elle m'a ordonné en même temps de vous écrire que son intention est que votre compagnie, ni aucun des officiers qui lui sont subordonnés, ne reconnoisse ce prélat comme revêtu de cette dignité et ne lui rende aucun devoir ni honneur à cette occasion. Je ne doute pas que vous ne vous conformiez • Après Velleron, Saint-Simon a biffé quel.

et moi, où la
Vrillière,
gendre
du frère de

l'archevêque,

survient. Velleron

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