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enfin à l'unique but de toute sa vie, il n'en eût pas joui pleinement? Mais voilà de ces traits des jugements de Dieu qui confondent les hommes. Gesvres fut encore moins cardinal qu'il n'avoit été archevêque. Idolâtre de sa santé et de ses écus, il ne pensa qu'à éviter d'aller à Rome', et, pour en montrer son impossibilité, n'alla presque point à Versailles quand la cour y fut retournée, et dînoit en chemin. Il s'abstint des thèses, des sacres, de toutes cérémonies, même de celles du Saint-Esprit après qu'il eut été admis à l'Ordre2, du conseil de conscience formé ad honores, et de toutes sortes d'affaires. Il vécut dans sa maison solitaire, où sa pourpre ne lui fut d'aucun usage, que pour la voir dans ses miroirs et s'entendre donner de l'Eminence par ses valets. Point de visites, en recevoit très peu, mangeoit seul, très sobrement et médicinalement, avec une très bonne santé, donnoit deux ou trois dîners l'année, avec peu de choix, voyoit quelques nouvellistes italiens et quelques savants obscurs, car il n'étoit pas sans savoir ni sans lumière pour les affaires ; se promenoit les matins aux Tuileries pour prendre l'air avec des gens la plupart inconnus, et se défit enfin de

1. Il n'y retourna jamais après son cardinalat, même pour les conclaves Mémoires de Luynes, tome III, p. 141.

2. Il fut fait commandeur de l'ordre du Saint-Esprit à la promotion de 1724.

3. Il habitait à Paris une maison de la rue du Bac, appartenant à l'hôpital des Incurables et qu'il louait trois mille livres (Archives nationales, S* 7105, fol. 165).

4. Adverbe que ne donnent pas les lexiques de l'époque, mais dont le Littré cite un exemple de Bossuet au sens mystique.

5. Quand il mourut, en 1744, le duc de Luynes écrivait (Mémoires, tome VI, p. 139) : « Il menoit une vie fort singulière; il ne voyoit personne que sa famille et quelques intimes amis et n'étoit occupé que du soin de sa santé. Il conservoit avec grand soin tout le cérémonial romain des pages, des gentilshommes, des estafiers; mais toutes ces sortes de domestiques d'apparat n'étoient point demeurant chez lui; ils y venoient seulement quelques heures dans la journée..... Il avoit une grande quantité de meubles, de vaisselle d'argent et d'argent

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son archevêché en faveur de l'abbé de Roye', qu'il voulut mordicus, et pas un autre, non pas même de son neveu3, quoique fort bien avec lui et avec le duc de Tresmes, son frère, parce qu'il crut que l'abbé de Roye y feroit plus de bien et ne tourmenteroit personne sur la Constitution, qu'il n'avoit jamais honorée que des lèvres, et fit toujours de grandes aumônes dans l'archevêché de Bourges*.

Bentivoglio avoit quitté tard un régiment de cavalerie Bentivoglio. qu'il commandoit au service de l'Empereurs, pour entrer en prélature. Sa naissance lui valut en moins de rien la nonciature de France, où il se signala par toute la débau

comptant on a trouvé dans un coffre quatre-vingt treize mille livres, dans un autre deux cent mille livres, dans un troisième de l'or et dé l'argent en très grande quantité et que l'on n'a pas eu le temps de compter, dans des tiroirs grand nombre de rouleaux d'or... » Tout cela est confirmé par le marquis d'Argenson (Mémoires, édition Rathery, tome III, p. 52), qui insiste sur sa fréquente et nombreuse correspondance avec Rome et l'Italie.

1. Frédéric-Jérôme, connu sous le nom de cardinal de la Rochefoucauld notre tome XXIX, p. 255.

2. Mot latin employé dans le langage familier pour signifier l'opiniâtreté intransigeante. L'Académie l'admit dans l'édition de 1798; le Dictionnaire d'Hatzfeld en cite un exemple de Regnard.

3. Étienne-René Potier de Gesvres (tome XXXIII, p. 170), qui devint évêque de Beauvais après M. de Saint-Aignan.

4. Par son testament, il laissa des sommes importantes au séminaire et à l'hôpital (Mémoires de Luynes, tome VI, p. 141).

5. Nous n'avons pas trouvé trace de ces fonctions militaires. Le Dizionario di erudizione ecclesiastica de Moroni n'en parle pas et dit au contraire qu'il se destina de bonne heure à l'auditorat de rote. Cependant, comme la première charge qui lui fut contiée fut le commandement du château-fort de Montalto, dans les États romains, on peut penser que le choix fait de lui put être déterminé par sa carrière antérieure.

6. Les Bentivoglio étaient une ancienne maison d'Italie, qui possédait au quatorzième siècle la seigneurie de Bologne, et prétendait descendre d'Entius, roi de Sardaigne, fils de l'empereur Frédéric II; l'abbé Arnauld dans ses Mémoires (édition Michaud et Poujoulat, p. 514) raconte la légende de l'origine du nom. Ils s'étaient alliés aux rois d'Aragon, aux ducs de Milan et à diverses petites maisons souveraines.

Bossu dit Alsace,

et comment; est

malmené

par

che, les emportements, les fureurs dont on a parlé ici', et qu'on ne répétera pas. Il ne les signala pas moins à l'unique conclave où il se trouva2, et assez peu après il mourut d'un emportement de colère, qui l'étouffa et en délivra le monde.

Bossu, dont le nom étoit Hénin-Liétard, étoit frère du prince de Chimay mort mon gendre", que Charles II avoit fait tout jeune chevalier de la Toison, qui servit depuis Philippe V en Espagne, qui le fit lieutenant général et l'Empereur. grand d'Espagne. Bossu fut envoyé tout jeune faire ses études à Rome, et livré aux jésuites pour avoir soin de son éducation et de sa fortune. Ils suppléèrent à ses talents, qui en tout genre étoient nuls; mais ils en firent un grand dévot, et se l'acquirent sans réserve. Des aveugles-nés de grande naissance, qui les peut élever à tout avec du secours, sont merveilleusement propres à la Société, qui n'en laissent guères échapper de ceux dont ils se peuvent saisir, et les familles, qui espèrent bien y trouver leur compte, les leur offrent volontiers: elles mettent ainsi de grands bénéfices et de grandes dignités dans leur maison, et les jésuites règnent avec autorité par des sujets grandement établis, qui ne se connoissent pas eux-mêmes. Bossu revint de Rome parfaitement ro

1. Voyez nos tomes XXVI, p. 230-231, XXVII, p. 27, XXX, p. 5758, XXXI, p. 145, etc.

2. Celui de Clément XII, en juillet 1730; il avait dû aussi assister au conclave de Benoît XIII en mai 1724.

3. Il mourut le 31 décembre 1732. La Gazette de 1733 annonce sa mort (p. 57), mais sans en noter les circonstances.

4. Thomas-Philippe de Hénin-Liétard de Bossu, qui prit le nom de cardinal d'Alsace : tome XXXVI, p. 126.

5. Charles-Louis-Antoine de Hénin d'Alsace, gendre de Saint-Simon en 1722, mort en 1740 tome VII, p. 338.

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6. Tout ce qui va suivre a déjà été dit plus sommairement dans le tome XXXVI.

7. Il y a bien laissent au pluriel, et plus loin peuvent, s'accordant avec l'idée, les jésuites.

8. On lit revint à Rome, mis par inadvertance, dans le manuscrit.

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main et parfaitement jésuite; c'étoit toute l'instruction qu'il y avoit acquise, la seule dont son génie pût être susceptible, l'unique dont l'intérêt de sa famille et celui de ses instituteurs pût élever sa fortune aussi lui valutelle promptement l'archevêché de Malines et une belle et très riche abbaye dans Malines même ', dont les jésuites furent en effet archevêques et abbés. Ils se trouvèrent si bien d'un disciple si entièrement abandonné à eux, qu'ils n'oublièrent rien pour le faire valoir à Rome et le porter à la pourpre, dont ils tireroient encore plus d'éclat et de fruit. Il auroit eu des concurrents qui lui auroient coupé chemin 2, si on se fût douté à Vienne qu'il pût être sur les rangs d'une promotion. Quelque zèle et quelque soumission que les jésuites aient de tout temps pour la cour impériale, leurs intérêts leur sont encore plus chers, et, le coup frappé, ils ne manquent point de ressources pour le cacher ou le faire oublier. Cette considération, bien loin de les arrêter, ne fit qu'aiguiser leurs sourdes intrigues. Ils firent comprendre Bossu dans cette promotion sans aucune participation de la cour de Vienne, et l'ignorant et dévot Bossu, transporté de joie de sa promotion, en prit à l'instant toutes les marques dans Malines, sans en demander, ni encore moins en attendre, la permission de l'Empereur. Ce monarque, accoutumé à dominer également et ses sujets et la cour de Rome, entra en grande colère, menaça Rome, saisit les revenus du nouveau cardinal, et le traita avec toute la hauteur d'un souverain justement irrité. Les jésuites, qui s'y étoient

1. Lorsque Malines avait été érigé en archevêché en 1560, le pape avait un à la mense épiscopale l'abbaye bénédictine d'Afflighem, fondée au onzième siècle par le comte de Louvain et dont les archevêques de Malines furent dorénavant abbés; cette abbaye n'est point « dans Malines même », mais à peu de distance d'Alost.

2. « On dit couper chemin à quelqu'un pour dire se mettre audevant de lui, sur son chemin, pour l'empêcher de passer » (Académie, 1718). Ici c'est le sens figuré.

Belluga;

sa

double

et sainte,

attendus, firent le plongeon' comme des serviteurs fidèles qui n'avoient point de part en ce choix, et firent rendre à leur créature rougie les plus grandes soumissions à l'Empereur et à ses ministres. L'affaire étoit faite; il ne s'agissoit plus que d'en sortir. Avec toutes ces soumissions, Bossu n'en garda pas moins toutes les marques et le rang de sa nouvelle dignité sa conscience ne lui permettoit pas de manquer au Pape qui la lui avoit conférée; mais, en même temps, il trahit son humilité : il prit le nom de cardinal d'Alsace. Il prétendit, le premier de sa maison, sortir par mâle des anciens comtes d'Alsace. On en rit en Flandres; mais partout ailleurs il ne put le faire passer, et ne fut jamais que le cardinal de Bossu. L'Empereur eut grand peine à lui permettre d'aller à Rome pour le conclave. Il ne lui donna main levée de ses revenus pour ce voyage qu'à condition de venir à Vienne directement de Rome, dès que le Pape seroit élu et couronné, demander pardon de sa faute. Il y alla donc, y fut retenu six mois, y reçut tous les dégoûts dont on put s'aviser, qui le poursuivirent toujours depuis en Flandres. La Constitution venue, on peut juger avec quelle aveugle fureur cette créature des jésuites s'y signala.

Belluga3 arriva à la pourpre par des sentiers plus droits. C'étoit un bon gentilhomme castillan, que sa rare piété avoit fait choisir à Philippe V au commencement de son magnanimité. règne pour l'évêché de Murcie. Il s'y conduisit comme on s'y étoit attendu, et y fut en exemple à toute l'Espagne. Quelques années après, la guerre y fut portée jusque

1. Tome XVI, p. 87.

2. La généalogie des anciens comtes et ducs d'Alsace est donnée dans le tome III de l'Art de vérifier les dates. Saint-Simon reviendra sur cette «< chimère » des Hénin-Liétard dans la suite des Mémoires, tome XVIII de 1873, p. 448.

3. Louis-Antoine Belluga y Moncade: tome XIII, p. 408, où a été raconté son dévouement à Philippe V.

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