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IV

LETTRES RELATIVES AU PROCÈS

FAIT PAR LE PAPE AU CARDINAL ALBERONI1.

Feu M. Gazier avait communiqué naguère à M. Chéruel les deux lettres qui vont suivre, qu'il avait copiées aux archives du Vatican, E 2064, Spagna, card. Alberoni; nous sommes heureux de pouvoir publier ici ces intéressants documents.

Le P. Daubenton au pape Clément XI.

« Très Saint Père

« Le roi m'ordonne d'avoir l'honneur de faire savoir deux choses à Votre Sainteté la première, qu'il n'a pas fait arrêter et enfermer dans un château M. le cardinal Alberoni par la crainte qu'il a eue de blesser l'immunité ecclésiastique et de déplaire par là à Votre Sainteté, quoiqu'il eût des raisons très fortes d'en venir là, mais que Sa Majesté espère que Votre Sainteté, portée par le zèle qu'elle a pour le repos de la chrétienté, n'oubliera rien pour s'assurer de sa personne, afin qu'il ne soit plus en état de troubler par ses intrigues la tranquillité publique.

« La seconde chose, Très Saint Père, dont j'ai ordre d'informer Votre Sainteté est la suivante: quelques jours après le départ de M. le cardinal Alberoni, le roi se souvint qu'il lui avoit confié un codicille qu'il avoit fait dans sa dernière maladie, et qui étoit écrit tout entier de sa main. Sa Majesté dépêcha sur le champ un courrier pour lui redemander ce codicille. M. le cardinal écrivit lui-même au roi qu'il l'avoit déchiré. Sa Majesté se vit également offensée, ou de son mensonge, s'il ne l'avoit pas déchiré, ou de sa folle hardiesse, s'il avoit eu la témérité de déchirer une écriture si respectable et pour ainsi dire sacrée. Elle envoya un second courrier après lui pour se saisir de ses papiers. Le courrier apporta les papiers au roi, et on y trouva le codicille. Le roi se promet de l'équité de Votre Sainteté qu'elle lui fera justice de tous les attentats que ce cardinal a commis à son égard. C'est avec une extrême peine que je suis obligé par l'ordre du roi de vous faire part de choses capables de vous en faire beaucoup. >>

1. Ci-dessus, p. 211, note 3.

Le duc d'Orléans, régent, au pape Clément XI.

« Très Saint Père,

« Je n'avois pas besoin de voir le mémoire envoyé par le cardinal Imperiali pour juger des justes motifs qui ont porté Votre Sainteté à demander à la république de Gênes la détention du cardinal Alberoni. Elle a voulu faire cesser le scandale que les bruits répandus contre lui ont excités, et il n'y a rien de plus convenable à la place suprême qu'elle occupe dans le monde chrétien que de vouloir entendre un membre du sacré collège sur les accusations que l'on forme contre lui, pour lui donner lieu de se justifier, s'il est innocent, ou le soumettre aux peines canoniques, s'il est coupable. Je ne puis qu'approuver les desseins de Votre Sainteté, et la générosité dont je me suis piqué à l'égard de ce cardinal, qui, pendant son ministère en Espagne, avoit eu l'imprudence de sortir des bornes de toute bienséance pour prostituer mon nom dans des écrits publics, n'empêche pas que je n'approuve le zèle de Votre Sainteté pour l'honneur de la pourpre romaine et l'édification que les prélats revêtus des premières dignités de l'Eglise doivent aux fidèles. Si Votre Sainteté a besoin, dans cette occasion, du concours du fils aîné de l'Eglise, elle trouvera dans la piété du Roi, et dans son autorité que j'exerce, les secours dont elle peut avoir besoin, que je suis toujours prêt de donner au saint-siège, pour lui faire connoître le profond respect avec lequel je suis, etc. »

Dans un bref du 15 avril 1720 adressé au roi d'Espagne, Clément XI se plaint de ce que, malgré la demande adressée par lui à la république de Gênes pour qu'on lui livrât Alberoni, arrêté à Sestri di Levante, les Génois l'aient fait remettre en liberté et lui aient permis ainsi de s'échapper. Il informe ensuite Philippe V qu'il a chargé l'archevêque de Tolède de suivre cette affaire en Espagne (Archives du Vatican).

Voici encore des extraits de lettres de M. Amelot au cardinal Gualterio relatives à Alberoni; elles sont conservées au British Museum, mss. Addit. n° 20366, fol. 17, 23, 25 et 50; nous en devons la communication à M. Gaucheron.

5 février 1720. « On n'a pas tardé à voir les fruits de la disgrâce du cardinal Alberoni. On a appris ces jours-ci par un courrier de Madrid que le roi d'Espagne avoit souscrit à la quadruple alliance et aux articles préliminaires qui avoient été proposés. Il a mandé en même temps à Mgr le duc d'Orléans qu'il s'en remettoit entièrement à lui pour ménager ses intérêts dans tous les autres articles qui restent à régler pour donner la dernière main au traité qui doit être conclu dans un congrès entre toutes les puissances, et S. M. a donné ordre à son ambassadeur en Hollande de se conduire entièrement sur les

instructions qui lui seront envoyées par S. A. R. Ce dénouement est bien agréable et bien glorieux pour M. le duc d'Orléans, et c'est en même temps un parti très sensé que le roi prend. »

15 avril 1720. — « Pour ce qui regarde le cardinal Alberoni, il ne paroît pas que l'abus qu'il peut avoir fait de son ministère pour la guerre ou pour la paix, soit une matière pour laquelle on soit en droit de lui faire son procès à Rome, soit par le tribunal du saintoffice, soit autrement, et il est à craindre que le Pape n'en sorte pas à son honneur. »

22 avril 1720. « Si le cardinal Alberoni a trouvé moyen d'avoir des liaisons avec la cour de Vienne, ce sera pour lui le meilleur manifeste qu'il puisse publier pour sa justification et auquel S. S. aura le plus d'égard. On avoit dit ici que ce cardinal se retiroit en Suisse. >>

15 juillet 1720. « J'ai reçu la lettre de M. le cardinal Alberoni que vous aviez eu la bonté de me promettre 1. Je vous en rends de très humbles grâces, et je serai curieux de voir successivement les deux autres que vous me faites espérer. Il me paroît que ce cardinal se défend bien, et, s'il y avoit quelque chose à lui reprocher dans l'exercice de son ministère, cela regarderoit beaucoup plus le roi d'Espagne que le Pape et l'Inquisition. J'avois déjà ouï dire à M. de Nancré, à son retour de Madrid, que le cardinal Alberoni se justifioit bien de ce qu'on lui imputoit de la rupture avec la France, et que ç'avoit été contre son avis. »

Le 29, Amelot écrit qu'il a lu les deux autres lettres, et que la dernière lui a paru « beaucoup plus foible et moins correcte que les deux autres. >>

1. C'est la lettre au cardinal Paulucci indiquée ci-dessus, p. 211, note 3.

V

TESTAMENT DE LA DUCHESSE DE BOURBON 1.

Aujourd'hui treize mars mil sept dix-neuf, au mandement de Son Altesse Sérénissime très haute, très puissante et très excellente princesse Madame Marie-Anne de Bourbon, épouse de très haut, très puissant et très excellent prince Mgr Louis-Henri de Bourbon, prince du sang, surintendant de l'éducation de Sa Majesté, grand maître de sa maison, gouverneur des provinces de Bourgogne et Bresse, et chef du conseil de régence, René-Philippe Linacier et Guillaume Jame, conseillers du Roi, notaires au Châtelet de Paris, soussignés, se sont transportés au palais des Tuileries, en l'appartement de Sadite Altesse Sérénissime, ayant vue sur le jardin dudit palais, où ils ont trouvé Sadite Altesse Sérénissime au lit, malade de corps, toutefois saine d'esprit, mémoire et jugement, ainsi qu'il est apparu auxdits notaires par ses discours et entretiens, laquelle a fait son testament, qu'elle a dicté et nommé auxdits notaires ainsi qu'il s'ensuit:

Après avoir recommandé son âme à Dieu et supplié sa divine bonté de lui pardonner ses offenses, Sadite Altesse Sérénissime supplie Son Altesse Sérénissime Mme la princesse de Conti, sa mère, d'agréer le legs universel que Sadite Altesse Sérénissime fait par son présent testament de tous ses biens à Son Altesse Sérénissime Mlle de la Roche-sur-Yon, sa sœur, que Sadite Altesse Sérénissime prie de payer ses dettes exactement, et, au cas qu'il se trouvât quelque difficulté dans les comptes de ce que Sadite Altesse peut devoir, de s'en rapporter au sieur Lepage, son valet de chambre, qui en a parfaite connoissance.

Sadite Altesse Mlle de la Roche-sur-Yon aura la bonté de faire donner à la demoiselle Lepage, femme de chambre de Son Altesse testatrice, sa garde-robe en entier, tant habits, linges qu'autres hardes qui la composent, et d'avoir soin de ladite demoiselle Lepage, de son dit mari, ainsi que de la sœur de ladite demoiselle Lepage, qu'elle prie de récompenser comme elle le jugera à propos à cause des services que Sadite Altesse testatrice a reçus et reçoit d'eux depuis très longtemps.

Et, à l'égard des autres domestiques de Sadite Altesse Sérénissime, elle s'en rapporte à la discrétion et prudence de Sadite Altesse Séré

1. Ci-dessus, p. 221.

Archives nationales, K 544, no 27.

nissime Mlle de la Roche-sur-Yon pour les récompenser comme elle jugera à propos.

Et à l'égard de l'exécution du présent testament Sadite Altesse testatrice supplie Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc d'en avoir soin.

Révoquant Sadite Altesse tous testaments et autres dispositions testamentaires qu'elle peut avoir faits avant ces présentes, auxquelles seules elle s'arrête comme étant son intention et dernière volonté.

Ce fut ainsi fait, dicté et nommé par Sadite Altesse Sérénissime testatrice auxdits notaires soussignés, et à elle par l'un d'eux, l'autre présent, relu, qu'elle a dit avoir bien entendu et y a persévéré, dans sondit appartement ci-dessus désigné, l'an et jour susdits sur les dix heures et demie du matin; et a signé la minute des présentes demeurée audit Jame, notaire. Scellé ledit jour. (Signé) Jame.

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