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intime de tout temps et de toute liaison, encore plus que par être beaux-frères, il les suivit en tout, et cet air de désintéressement leur donnoit dans le Parlement et auprès du peuple toutes sortes de vastes espérances. Un jour que le maréchal de Villars passoit dans la place de Vendôme dans un beau carrosse accablé de pages et de laquais, à travers cette foule d'agioteurs qui avoient peine à faire place, le maréchal, avec cet air de fanfaron, se mit à crier par la portière contre l'agio et le Mississipi, et à haranguer le monde sur la honte que c'étoit. Tant qu'il en demeura là, on le laissa dire; mais, s'étant après avisé d'ajouter tout haut que, pour lui, il en avoit les mains nettes, qu'il n'en avoit jamais voulu prendre, et toutes sortes de vanteries paraphrasées, il s'éleva une voix forte qui s'écria: « Et les sauvegardes? >> Toute la foule répéta, et le maréchal, honteux et confondu, s'enfonça dans son carrosse et acheva de traverser la foule au petit pas, au bruit de cette huée, qui le suivit encore au-delà.

APPENDICE

SECONDE PARTIE

I

EXTRAITS DE LA CORRESPONDANCE DU RÉGENT
(LETTRES DE LA MAIN) PENDANT L'ANNÉE 1719

[Ainsi que nous l'avons fait dans le tome XXX pour l'année 1717, nous donnons dans le présent appendice une partie des lettres particulières du Régent qui ont trait à des événements dont parle Saint-Simon dans ses Mémoires, pour l'année 1719; elles sont extraites du registre KK 1325 des Archives nationales. Nous avons déjà dit que ce recueil est perdu pour l'année 1718.]

1. Au maréchal de Berwick, à Bordeaux.

21 janvier 1719.

« Je vous renvoie, Monsieur, la lettre du baron d'Allemans1. J'ai envoyé à Renau copie de l'article de cette lettre qui le regarde, et lui marque combien il est nécessaire qu'il s'abouche avec lui. Prenez la peine, s'il vous plaît, de l'écrire de votre côté à ce baron, et de lui marquer qu'il me fera plaisir de m'écrire aussi, après qu'il aura conféré avec Renau. Je sais que c'est un homme de mérite, bien intentionné et qui ne me parlera qu'après avoir bien examiné la chose. On doit croire avec raison que je n'ai point envie dans cela d'être induit en erreur, puisque mon unique intention est de concilier l'intérêt du Roi, c'est à dire le maintien de ses revenus, avec le bien de ses sujets, en leur donnant par là plus de facilité de payer, le poids étant partagé avec plus d'égalité.

<< Notre projet du port du Passage 2 ayant été éventé, je ne sais par qui, de manière que plusieurs personnes m'en ont déja parlé, il est à croire qu'il deviendra tout à fait public dans peu de jours, et néces

1. Voyez notre tome XXXVI, p. 284 et suivantes. 2. Ibidem, p. 203-205.

saire par conséquent de n'en plus différer l'exécution. Comme les vaisseaux dont il est question sont encore sur le chantier, on n'a que faire pour cette expédition des vaisseaux anglois, et vous avez tout ce qu'il faut pour vous mettre en mouvement quand il vous plaira. Le plus tôt sera le mieux, d'autant plus qu'il ne sera pas nécessaire d'attaquer aucun fort ni de rester longtemps pour faire cette expédition.

D

2. A M. Renau, lieutenant général des armées du Roi, commissaire de Sa Majesté dans les provinces de Saintonge

et Angoumois, à Niort1.

21 janvier 1719.

« J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 3 de ce mois. Personne n'a jamais méprisé plus que moi les mémoires anonymes; ainsi celui que vous m'avez envoyé n'a pas trouvé grande créance auprès de moi, et je pense à peu près de même sur les bruits de mécontentement qu'on disoit qui étoient de votre côté. Je sais combien la nation est légère, et le peu de foi qu'on doit ajouter aux discours. Cependant je ne suis pas fâché d'être assuré par vous-même qu'ils soient sans aucun fondement et que le nouvel établissement trouve aussi peu de contradiction. Ce n'est rien d'en souffrir de la part de quelques gentilshommes qui trouvoient le moyen de soustraire leurs fermiers à la taille, et de la part de quelques coqs de paroisse seulement, comme vous me marquez, pourvu que le grand nombre, et de la noblesse et du peuple, goûte véritablement ce genre d'imposition et s'en croie soulagé, sans diminution des revenus du Roi. L'obstacle de quelques intérêts particuliers n'en sauroit jamais être un solide au succès entier de la chose; mais ce qui seroit à craindre est si la condition de toute la noblesse et des possesseurs des fonds de terre devenoit en effet moins bonne considérablement qu'elle n'étoit auparavant, et qu'ils ne consentissent à cet établissement que par une soumission simple, qu'ils doivent à ce qui vient de la part du Roi, ou par la crainte d'y être forcés. Il est certain que, dans ce cas, leur silence ne doit point être pris pour une satisfaction de leur part, et ne laisseroit pas une trop bonne disposition dans les esprits, qui viendroit à éclater dans le temps qu'on croiroit compter davantage sur le succès. C'est ce qu'il convient d'examiner très exactement pour ne se point tromper. Vous savez que mes intentions sont bonnes; qu'elles ne tendent qu'à concilier le bien des sujets avec les intérêts du Roi, et qu'il seroit fâcheux que, animé uniquement de cet esprit, je ne vinsse à en recueillir qu'un fruit incertain. Je suis induit surtout à vous parler ainsi par une lettre que M. le maréchal de Berwick m'a renvoyée du baron d'Allemans, qui est un homme d'une probité reconnue et d'un caractère d'esprit très solide. Vous verrez, par la copie que je joins ici, qu'elle mérite une attention

1. Voyez notre précédent volume, p. 287 et suivantes.

sérieuse. Il souhaite fort de s'aboucher avec vous, et je vous y invite d'autant plus qu'il est de vos amis, et que vous êtes l'un et l'autre deux honnêtes gens qui ne chercherez qu'à vous éclaircir de bonne foi, pour ne point tomber dans un inconvénient dont on n'auroit que des reproches à se faire. »

3. A M. le duc de Roquelaure1.

17 février 1719.

« Je réponds, Monsieur, à votre lettre du 7 de ce mois. J'ignorois parfaitement les bruits que vous me marquez qui courent sur votre compte, et je puis vous assurer qu'ils n'ont aucun fondement. Je ne suis point homme à me laisser prévenir par des soupçons légers, et d'ailleurs je n'ai eu aucun lieu d'en avoir de votre fidélité. Ainsi, quand je me déterminerois à quelque chose, vous devez avoir la certitude que je ne saurois jamais l'être par des raisons de cette nature ni par rien qui dût vous inquiéter essentiellement. C'est de quoi j'ai été bien aise de vous assurer, Monsieur, aussi bien que de mon amitié très sincère. >>

4. A M. le marquis du Terrail2.

13 avril 1719.

<< J'entre véritablement dans votre douleur, Monsieur, et j'aurois fort desiré pouvoir vous l'épargner; mais, M. de Saillans étant nommé dans la lettre de M. le duc de Richelieu, je n'ai pu me dispenser de m'assurer de lui. Je ne souhaite pas moins que vous qu'il n'ait pas de part à la chose, et vous devez être persuadé que non seulement j'abrégerai autant qu'il sera possible sa peine et la vôtre, mais que je chercherai même à l'en dédommager, si, comme je l'espère, il ne se trouve rien qui puisse m'en empêcher. »

5. A Mesdames les Supérieure et religieuses
de la Maison de Saint-Louis à Saint-Cyr3.

18 avril 1719.

« La perte que vous venez de faire, Mesdames, de Mme de Maintenon ne sauroit rien changer à mes sentiments pour vous. Elle ne fera au contraire que redoubler mon attention pour vous donner des marques dans l'occasion, en général et en particulier, de l'intérêt que je prendrai toujours à votre maison. C'est de quoi, je vous prie, Mesdames, d'être très persuadées. >>

1. Voyez notre tome XXXVI, p. 87, note 2. 2. Voyez notre tome XXXVI, p. 167, note 4. 3. Ibidem, p. 192, note 1.

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