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1664. M. de Turményes ; ses bons mots.

(Page 260.)

1er mai 1720. Turményes, garde du Trésor royal après son père, et après avoir été maître des requêtes et intendant de province avec réputation, étoit un garçon de beaucoup d'esprit, sur un pied, avec tous les ministres, fort au-dessus de ce qu'il étoit, extrêmement mêlé avec la meilleure compagnie de la cour et de la ville, bien avec le Régent, et sur un pied de telle familiarité avec Monsieur le Duc et M. le prince de Conti pères et fils, qu'ils trouvoient tout bon de lui, et ce qu'ils n'auroient souffert de personne. Le voisinage de l'Ile-Adam, la chasse et la table l'avoient mis sur ce pied-là avec les pères, et il s'y étoit conservé avec les enfants. C'étoit un homme qui, sentant très bien la force de ses paroles, ne pouvoit retenir un bon mot, et dont l'impunité avoit aiguisé la hardiesse, laquelle d'ailleurs n'étoit que liberté sans aucun air d'insolence, et sans jamais se déplacer avec personne. Il avoit même trop d'esprit et de monde pour être impertinent, et d'ailleurs il avoit beaucoup d'honneur. Il se trouva à Chantilly avec assez de monde des familiers de la maison, lorsque M. de Charolois y arriva de ses longs voyages. Chacun accourut pour le voir débarquer de sa voiture, où Monsieur le Duc le reçut et l'embrassa; les autres s'empressèrent autour d'eux à faire leur révérence. Après les premiers mots entre les deux frères, Monsieur le Duc lui présenta la compagnie, à pas un desquels il ne parla, et l'on demeura ainsi assez longtemps en cercle autour d'eux, sans que M. de Charolois dît une seule parole. Courtcollet, car c'étoit le sobriquet de Turményes, qui en effet avoit la tête engoncée, voyant ce qui se passoit, se tourne à la compagnie : « Messieurs, leur dit-il froidement et montrant M. de Charolois, faites voyager vos enfants et dépensez-y bien de l'argent; » et tout de suite passa d'un autre côté. Cet apophtegme fit du bruit et courut fort. Il ne s'en défendit point, et Monsieur le Duc et M. le comte de Charolois ne firent qu'en rire. Monsieur le Duc devoit y être accoutumé: au commencement des actions de Law, Monsieur le Duc se vanta chez lui avec complaisance d'une quantité considérable qu'il en avoit eue. Chacun se taisoit, lorsque Courtcollet impatienté, « Fi! Monsieur, répondit-il, votre bisaïeul n'en eut jamais que quatre ou cinq, mais qui valoient bien mieux que toutes les vôtres. » Chacun baissa les yeux, et Monsieur le Duc se prit à rire sans lui en avoir su plus mauvais gré. Il ne vécut que peu d'années après, quoique assez jeune, et fut fort regretté même pour les affaires de sa gestion. Il ne laissa point d'enfants, et M. de Laval, mis à la Bastille en même temps que M. et Mme la duchesse du Maine furent arrêtés, épousa tôt après sa sœur, veuve de Bayers. Ses apophtegmes n'étoient pas réservés aux princes du sang; il ne s'en contraignoit pour personne.

1665. Retrait de l'hôtel de Marsan.

(Page 262.)

1er mai 1720. Matignon et M. de Marsan avoient épousé les deux sœurs, filles uniques et sans frère du frère aîné de Matignon, lui l'aînée, et M. de Marsan la cadette, veuve avec des enfants de M. de Seignelay, fils de M. Colbert. Un intérêt commun les avoit intimement unis; c'étoit l'amitié de M. Chamillart dont ils avoient tiré des trésors. M. de Marsan fit par son testament M. de Matignon tuteur de ses enfants avec l'autorité la plus étendue, et les plus grandes marques de confiance, et tout le monde convient que M. de Matignon y répondit par tous les soins, l'application et les tendresses d'un véritable père, et le succès d'un homme très habile et accrédité. M. de Marsan qui de soi n'avoit point de bien et n'avoit vécu que de grâces, d'industrie et de rapines, avoit mangé à l'avenant et laissa ses affaires en mauvais état. Matignon estima qu'un effet tel que sa maison de Paris étoit trop pesant pour des enfants en bas àge, dont le prix aideroit fort à liquider leurs biens, et crut la pouvoir acheter, quoique tuteur, à la conduite qu'il avoit eue dans leurs affaires. Il l'exécuta; il dépensa beaucoup à cette maison, où il alla demeurer, et vendit la sienne au maréchal de Matignon. Ce sont toutes ces choses qui rendirent si amer à Matignon le compliment du retrait, dont il ne s'étoit jamais douté, et qui fut extrêmement blámé dans le monde. Il soutint le procès. Tout étoit pour lui, hors la règle par la qualité de tuteur, et il le perdit, au grand regret des juges et du public. Le jour même de l'arrêt, il retourna à son ancienne maison chez son frère, et de dépit acheta et augmenta la superbe maison dont il a peu joui et que son fils occupe encore, et il n'a revu les enfants de M. de Marsan qu'à la mort, avec qui les Matignons sont demeurés fraîchement.

1666. Madame de Chevry; elle épouse M. de la Noue.

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(Page 265.)

2 mai 1720. Mme de Chevry, sans avoir été religieuse ni coureuse comme la Tencin, eut cette similitude avec elle, qu'elle fit pour Monsieur de Cambray, frère de sa grand mère, et pour son petit troupeau, pour Mme Guyon et pour sa petite Église, le même personnage que l'ambition du frère et de la sœur fit faire à celle-ci pour la Constitution. Mme de Chevry, qui n'avoit rien, avoit été mariée à un vieil homme, qui tôt après devint aveugle, mais qui n'eut pas la complaisance de mourir de bonne heure, et, quoiqu'il eût toutes les autres, il ennuya fort sa femme et ses nombreux amis et amies. Elle avoit beaucoup d'esprit, de manége et d'intrigue, aimoit le monde, le jeu et

la parure, et néanmoins fort dévote, disoit-elle et disoient ses amis, et il le falloit bien, puisqu'en cela consistoit toute sa considération et son existence. Devenue riche par les avantages de son contrat de ma riage, à la mort de son mari, ce fut une grande joie pour elle et pour tous ses amis, qui trouvèrent chez elle une bonne maison; mais les vapeurs énormes qui l'avoient gagnée pendant la vie de son mari, ne s'en allèrent pas avec lui, non plus que la pierre et la gravelle, qui la mettoient très souvent en des états étranges, après lesquels il n'y paroissoit pas, et qu'elle soutenoit même au milieu du monde qui abondoit chez elle. Elle étoit les délices et la vénération de toute cette

petite Église et le ralliement de tout ce qui en étoit. Tout cela flattoit sa vanité et son amusement par la bonne compagnie et le nombre d'amis qu'elle avoit su attirer chez elle, outre ce petit troupeau ; mais elle n'avoit jamais eu de mari, et elle s'en donna un dont on ne l'auroit jamais soupçonnée : la petite Église par vénération, les autres par la croire de meilleur goût, tous par l'état de sa santé. La Noue n'avoit rien vaillant; il n'étoit plus ni jeune ni bien fait comme autrefois; sa naissance étoit une bonne noblesse toute simple, et son esprit un simple usage du monde et anciennement de jeu et de galanterie, et rien plus. Il avoit servi toute sa vie dans le subalterne, faute de pouvoir avoir un régiment, qu'il avoit enfin trouvé à l'hôtel de Conti, avee une place d'écuyer, qu'il ne garda guères par la jalousie de M. le prince de Conti, de sorte que la déclaration de ce mariage fit un étrange vacarme parmi tous les amis de Mme de Chevry, dont la maison ne fut plus depuis, à beaucoup près, si fréquentée, et déchut entièrement de cet état de petit tribunal où tout se jugeoit, qu'elle possédoit auparavant. La Noue mari, demeura toujours amant respectueux et soumis, mais cela ne dura guères; elle mourut, et il ne profita de rien.

1667. Mariage honteux du marquis de Brancas d'Oise
avec la fille de l'agioteur André.

11 mai 1720.

(Page 270.)

L'énorme folie d'une part et l'énorme cupidité de l'autre de cet étrange contrat de mariage de M. d'Oise est un échantillon de celles que le système de Law alluma en France. Qui en voudroit raconter les effets, les transmutations subites, les marchés incroyables, les fortunes dans leur immensité et encore dans leur rapidité, les chutes promptes et entières de la plupart de ces enrichis, par leur luxe et leur démence, la ruine de tout le reste du royaume, et les plaies profondes qu'il en a reçues et qui ne guériront jamais, feroit la plus curieuse, la plus amusante et peut-être la plus incroyable histoire qui sera jamais. Ce mariage avorta avant la fin de la bouillie de la mariée avec la culbute de Law, et les Brancas, qui s'en étoient

doutés, s'étoient fait payer d'avance, le père et les deux fils. Le comble de la honte fut que les suites de cette affaire produisirent un procès plus de quinze ans après, et qui fut soutenu sans honte; ces Brancas n'y étoient pas sujets.

1668. L'abbé Gaultier; ses négociations secrètes en Angleterre.

(Page 284.)

17 janvier 1712. Dans l'extrême besoin de la paix, on tenta tout et on se servit de tout. Un abbé Gaultier, fort du commun, mais homme d'esprit et plus encore de sens, avoit eu des affaires de commerce en Angleterre ; il crut reconnoître qu'on pouvoit espérer quelque chose de l'inclination de l'intérieur de la cour de la reine à se délivrer de la tyrannie de Mme de Marlborough. Il fut renvoyé en Angleterre par M. de Torcy, qui conféroit en même temps en grand secret avec quelques Hollandois de poids, fort las d'une guerre qui les ruinoit. Gaultier s'insinua auprès de Mme Masham, nouvelle favorite de la reine, et dont le petit emploi la rendit sujette aux hauteurs de la duchesse de Marlborough. Il pénétra que la reine vouloit la paix, et ne savoit comment s'y prendre avec son parlement et sa cour. Il crut s'apercevoir qu'elle vouloit mourir sur le trône, mais qu'elle desiroit le pouvoir laisser à son frère et aux siens. Il s'accosta de Prior 2, homme de peu, mais un des hommes d'Angleterre des plus fins, des plus adroits et des plus hardis. Tous deux conduisirent l'intrigue, et, avec de l'argent et des instructions de ce pays-ci, vinrent à bout de la paix par la trêve d'Angleterre, qui força dans les suites les alliés à la paix.

1669. M. de Valero y Lossa, archevêque de Tolède.

(Pages 286-287.)

14 mai 1720. Cet archevêque de Tolède, dont la rare vertu avoit percé jusqu'à la cour par les occasions de la guerre et des voyages autour du lieu dont il étoit curé, l'avoit fait évêque de Badajoz, où il la conserva toute entière avec plus de moyens de la rendre utile aux autres et au roi même, qu'il servit de sa bourse et de ses prédications dans les temps de ses plus grands besoins. Ce fut ce même prélat qui, de Badajoz et sans penser à rien moins, emporta l'archevêché de Tolède sur toute la considération et les instances du cardinal del Giudice, appuyé dans sa plus grande faveur de tout le crédit de Mme des

1. Le commencement de cette Addition a été placée dans le tome XXII, n° 1035.

2. On lirait plutôt Porier; mais c'est une mauvaise transcription du copiste de Saint-Simon.

Ursins, dont elle fut si piquée, que peu après elle trouva le moyen de faire chasser de la cour et d'Espagne le P. Robinet, le plus honnête homme, le plus sage et le plus digne confesseur que le roi d'Espagne ait eu, qui n'a cessé d'être regretté de toute l'Espagne, et qui sans regret s'est retiré à Strasbourg, où ses supérieurs l'ont envoyé après sa disgrâce, et où il vit dans une grande piété et dans une profonde paix.

1670. Mission avortée du duc de la Force à Londres.

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(Page 291.)

8 mai 1720. L'abbé Dubois, dans le fort de la crise du cardinalat, étoit aussi dans le fort de l'engouement pour l'Angleterre ; c'est ce qui lui fit saisir l'occasion de le marquer, et à M. de la Force, qui à toutes restes vouloit toujours être de quelque chose, d'en saisir aussi l'occasion pour faire l'ambassadeur. Le prétexte d'aller voir sa mère étoit moindre que l'inconvénient de montrer à l'église françoise de Londres un catholique, jadis leur frère, qui les avoit si rudement per sécutés et qui en avoit su tirer parti. Mais le roi d'Angleterre, qui ne pouvoit empêcher que les éclats entre lui et son fils ne retentissent par toute l'Europe, ne s'accommoda point de leur en donner un nouveau qu'il pouvoit éviter, et trouva étrange qu'on eût imaginé en France de l'envoyer complimenter en pompe sur des détails désagréables et domestiques. Il s'en expliqua donc nettement dès qu'il le sut, et, comme on ne songeoit par cette singulière démarche qu'à l'obliger autant qu'on le pouvoit, l'envoi tomba, dès qu'on sut qu'il ne l'avoit point agréable, et le double mérite à son égard en demeura à l'abbé Dubois, qui étoit tout ce qu'il en avoit prétendu.

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1671. Massei nonce du pape en France.

(Page 292.)

15 mai 1720. Massei étoit fils d'un trompette de la ville de Florence; il entra jeune parmi les domestiques du sieur Albane, petit compagnon alors en tout genre. Massei avoit de l'esprit, de la vivacité, de l'adresse; il plut à son maître, il gagna après sa confiance et fit sa fortune avec la sienne. Il fut toujours son ancien domestique de confiance étant devenu pape, et si bien avec lui que la jalousie devint assez grande pour embarrasser le pape. Il prit donc un autre tour pour l'élever à la pourpre, et, sous prétexte de lui envoyer porter une barrette en France, il y négocia aisément de l'y faire admettre pour nonce ordinaire lorsque Bentivoglio en revint; je dis aisément, parce

1. Un nouveau retentissement.

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