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garde pourtant bien de le dire, ni, d'autre part, d'assurer le fait positivement, de peur de le constater. La vérité est que jamais les princes du sang n'ont pris de cadenas à table avec les ducs qu'ils ne leur en aient donné, pareillement des soucoupes, et ils ont toujours été servis à table par la même sorte de domestiques des princes du sang que les princes du sang, comme ils ont un fauteuil pareil au leur toujours, et sont conduits hors de l'appartement, et les duchesses au carrosse. Jamais les princes du sang ne l'ont disputé, mais depuis longtemps l'ont évité en ne prenant plus rien de tout cela eux-mêmes, pour n'en donner ni aux ducs ni aux princes étrangers; mais, en ce voyage, qui se faisoit avec cérémonie dans les carrosses du Roi, et les tables servies par ses officiers, il n'y avoit pas moyen d'éviter. La duchesse de Villars, qui prévit que dans un tel temps que celui-ci, on disputeroit tout, voulut s'assurer de tout avant le départ, et, sans difficulté aucune, l'ordre fut donné pour que son traitement fût en tout égal et pareil à celui de Mlle de Valois, c'est-à-dire fauteuil, cadenas, soucoupe, verre couvert, etc., et même sorte d'officiers pour servir la princesse du sang et la duchesse, et rien de tout cela pour aucune des autres dames. Ce fut un grand crève-cœur, par le temps qui couroit, que cette distinction publique et de tous les jours. Les dames du voyage, car tout étoit devenu pareil, l'essuyèrent pourtant tout du long, et la duchesse de Villars ne fut pas la dupe d'une politesse si aisément tournée en prétention, puis en anéantissement de tout. Mais elles mirent Mlle de Valois de leur côté, qui, ne pouvant empêcher que les ordres ne fussent exécutés à la lettre, hasarda quelquefois de vouloir manger seule. Comme elle s'arrêtoit partout et qu'elle allongeoit le voyage par les séjours et par les plus petites journées qu'elle pouvoit, la duchesse de Villars, qui sentit l'affectation et qui ne voulut pas mortifier ces dames au point de prendre un cadenas avec elles quand Mlle de Valois ne mangeoit pas avec elles, ce qui n'étoit point pris de la sorte jusqu'au milieu du règne du feu Roi et se faisoit toujours, manda ce procédé de manger souvent seule, et Mlle de Valois eut ordre de manger avec la duchesse de Villars et les autres dames. Dans tout le reste, la duchesse de Villars eut toutes les attentions et les politesses qu'elle put avoir; mais elle maintint son rang dans son entier.

1644. Le Régent n'invite pas au mariage de sa fille
avec le prince de Modène.

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(Page 172.)

11 février 1720. Rien de si capricieux que le François sur les hauteurs et les bassesses. Il est vrai que les princes du sang ont toujours prié de leurs fiançailles et de leurs noces ; il est vrai encore que les fils de France n'ont jamais prié de celles de leurs enfants, sans que la foule ait été moindre. M. le duc d'Orléans se trouvoit le premier

petit-fils de France depuis l'établissement de ce rang; le mariage de sa fille aînée avec M. le duc de Berry, fils de France, n'étoit pas dans le cas de prier. Il avoit cru ne devoir prier personne à la vêture, à la profession ni à la bénédiction de Madame de Chelles; aussi ne s'y trouvat-il que des familiers et au plus petit nombre, tout le reste domestiques ou gens d'église peu distingués, excepté le nécessaire. A cette troisième fois, il ne crut pas qu'un mariage aussi médiocre, et d'une fille qui n'étoit point aimée de sa famille, valût la peine d'inviter, ni le privilége de son rang et de sa place dans l'État, l'un et l'autre unique, ne dût pas aussi l'en exempter. Il s'en dispensa donc, et l'on vit ces mêmes gens qui faisoient foule autour de lui sans cesse pour en arracher des grâces et se les procurer par toutes sortes de raffinements de bassesses, le narguer tout d'un coup, et tous, comme de concert, se tenir chez eux pour n'avoir pas été conviés. Peut-être aussi que le désespoir des suites du Mississipi, qui étoient alors dans toutes leurs horreurs, donnèrent lieu à ce dépit pour en passer la mauvaise humeur sur quelque chose.

1645. Accompagnement de la princesse de Modène.

(Page 175.)

1er mars 1720. La duchesse de Villars accompagnoit la princesse de Modène de la part du Roi; ce fut une nouveauté. Cet honneur n'avoit encore été fait qu'aux filles et aux petites-filles de France qui se marioient en pays étranger; mais le père de la princesse de Modène étoit régent, et il avoit fait pair le mari de cette duchesse. Mme de Simiane, fille de feu M. de Grignan, chevalier de l'Ordre, lieutenant général de Provence, et de Mme de Grignan, si connue par les lettres de Mme de Sévigné, sa mère, étoit veuve de Simiane, premier gentil homme de la chambre de M. le duc d'Orléans, et dame de Mme la duchesse d'Orléans, qui accompagna la princesse de leur part. Mme de Bacqueville étoit extrêmement attachée à la princesse. Toutes deux demandèrent cette consolation avant de se séparer apparemment pour toujours. On fut surpris de la complaisance, parce que, encore qu'elle fût fille de M. de Châtillon, chevalier de l'Ordre, premier gentilhomme de feu Monsieur, etc., elle avoit épousé, n'ayant rien, ce M. de Bacqueville, qui étoit riche, mais dont le père étoit moins que rien, et connu pour tel à Rouen, où il étoit premier président de la chambre des comptes. Mme Goyon étoit fille d'une Mme des Bordes qui avoit passé sa vie sous-gouvernante des enfants et des petits-enfants de Monsieur. Cette fille avoit été élevée avec eux, étoit fort bien avec la princesse, d'ailleurs avoit épousé un homme qui pour n'être qu'écuyer de la grande écurie, étoit de même nom et maison que MM. de Matignon.

1646. M. de Bacqueville et sa femme
fille du comte de Châtillon.

(Page 176.)

21 juin 1714. Dangeau, toujours obligeant, prodigue ici les titres à grand marché. Son marquis de Bacqueville étoit fils de Bonnetot, premier président de la chambre des comptes de Rouen, qui n'étoit pas réunie alors avec la cour des aides. Ce premier président étoit fils d'un paysan extrêmement enrichi dans les fermes qu'il avoit tenues, et le président s'étoit poussé par argent et par degrés à cette magistrature. Son avarice sordide avoit achevé de l'enrichir. Son fils, amoureux du plumet, voulut s'anoblir par un mariage. Quelque fortune que Monsieur eût faite au beau Châtillon, il n'avoit pas pris le vol que l'alliance de Voysin donna à son neveu, et que ce neveu, par des hasards heureux, poussa bien plus haut dans les suites. Châtillon, marié par amour à Mlle de Piennes, sœur de la duchesse d'Aumont, étoit depuis longtemps brouillé avec elle : ils vivoient séparés; point de bien, et des filles difficiles à marier par pauvreté et par ce divorce. Ils ne dédaignèrent point ce parti; M. et Mme de Châtillon furent ravis de se défaire d'une fille pour rien et conclurent ce mariage. Il ne fut pas longtemps heureux; il se brouilla, se sépara. Le mari mangea son fait; la femme demeura plus que mal à son aise et fort à la charge de ses parents. Enfin Bacqueville fit tant de sottises, mais longues années après, qu'il fut cassé. Il avoit eu un régiment, et vécut après obscur et pauvre.

1647. Inconvénients du système de Law.

(Page 178.)

3 février 1720. Le système de Law tiroit à sa fin. Pour dire ce seul mot de finances, si on se fût contenté de sa banque, et de sa banque réduite dans de justes bornes, on auroit doublé tout l'argent du royaume, et apporté une facilité infinie à son commerce et à celui des particuliers entre eux, parce que, la banque étant toujours en état partout de faire face, des billets, continuellement payables de toute leur valeur, auroient été de l'argent comptant et souvent préférable à l'argent comptant par la facilité du transport. Encore faut-il convenir que tout bon que cela étoit en soi, c'étoit un établissement qui ne pouvoit l'être que dans une république, ou dans une monarchie telle que l'Angleterre, dont les finances se gouvernent par ceux qui les fournissent; mais, dans un État léger, changeant, absolu, tel que la France, la solidité y manquoit, conséquemment une juste confiance, puisqu'un roi et, sous son nom, un ministre, un favori, une maîtresse, cent choses enfin, pouvoient renverser la banque, dont l'appât étoit trop grand et en même temps trop facile. Mais d'ajouter au réel de cette banque, la

chimère du Mississipi, de ses actions, de sa langue, de sa science, c'està-dire un tour de passe-passe continuel pour tirer l'argent des uns et le donner aux autres, il falloit bien que, puisqu'on n'avoit ni mines, ni pierre philosophale, ces actions à la fin portassent à faux, et que le petit nombre se trouvât enrichi de la ruine entière du grand nombre, comme il arriva. Ce qui hâta la culbute de la Banque et du Système, fut la prodigalité de M. le duc d'Orléans, qui, sans bornes et sans choix, ne pouvoit résister à l'importunité et qui donnoit à toutes mains. On a peine à croire ce qu'on a vu, et la postérité considérera comme une fable ce que nous-mêmes ne nous remettons que comme un songe. Tant fut donné à une nation, avide et prodigue autant que desireuse et que nécessiteuse par son luxe et par son désordre, que le papier manqua et que les moulins n'en purent assez fournir. On peut juger par là de l'abus inimaginable de ce qui étoit établi comme une ressource toujours prête, et qui ne pouvoit subsister telle qu'en ajustant ensemble les deux bouts, et se conservant toujours de quoi répondre. Aussi arriva le temps fatal que cela devint impossible. Alors les billets commencèrent à perdre, un moment après à se décrier, et le décri devenu public, nécessité de le soutenir par la force puisqu'on ne le pouvoit plus d'industrie, et, dès que la force se fut montrée, chacun désespéra de son salut. On vint à vouloir d'autorité supprimer tout usage d'or, d'argent, de pierreries; à vouloir persuader que, depuis Abraham, qui avoit payé argent comptant un champ pour la sépulture de Sara, jusqu'à nos temps, on avoit été dans l'illusion et dans l'erreur la plus grossière dans toutes les nations policées du monde, sur la monnoie et les métaux dont on la fait; que le papier étoit l'unique utile et le seul nécessaire, et qu'on ne pourroit faire plus de mal à nos voisins, jaloux de notre grandeur, que de faire passer chez eux tout notre argent et toutes nos pierreries; mais, comme à ceci il n'y avoit point d'enveloppe, personne ne se laissa persuader, et de là recours à l'autorité, qui ouvrit toutes les maisons des particuliers aux visites et aux délations, pour n'y laisser aucun argent, et pour punir sévèrement quiconque en réserveroit de caché. Jamais souveraine puissance ne s'étoit si violemment essayée et n'avoit attaqué rien de si sensible ni de si indispensablement nécessaire pour le temporel. Aussi fut-ce un prodige, plutôt qu'un effort de gouvernement et de conduite, que des ordonnances si terriblement nouvelles n'aient pas produit, non-seulement les révolutions les plus tristes et les plus entières, mais qu'il n'en ait pas seulement été question, et que de tant de millions de gens, ou absolument ruinés ou mourant de faim et des derniers besoins auprès de leur bien, et sans moyens d'aucuns secours pour leur subsistance et leur vie journalière, il ne soit sorti que des pleurs et des gémissements. La violence toutefois étoit trop excessive, et en tout genre trop insoutenable pour pouvoir subsister longtemps. Il en fallut donc revenir à de nouveaux papiers et à de nouveaux tours de passe-passe. On les connut tels, on les sentit; mais on les subit plutôt que de n'avoir pas vingt écus en sûreté chez

soi, et une violence plus grande en fit admettre volontiers de moindres. De là donc, tant de manèges, tant de faces différentes en finances, et toutes tendantes à fondre un genre de papier par un autre, c'est-à-dire faire toujours perdre les porteurs de ces différents papiers, et ces porteurs l'étoient par force, et la multitude universelle. C'est ce qui en finance occupa tout le reste du gouvernement et de la vie de M. le duc d'Orléans, ce qui chassa Law du royaume, ce qui sextupla toutes les denrées et toutes les marchandises, ce qui ruina le commerce général et les particuliers, et ce qui fit, aux dépens du public la fortune de quantité de fripons de toute espèce, employés en divers degrés dans cette confusion; c'est ce qui occupa encore plusieurs années depuis la mort de M. le duc d'Orléans, et c'est ce dont la France ne se relèvera jamais, quoiqu'il soit vrai que les terres en soient considérablement augmentées. Pour dernière plaie, les gens tout-puissants qui ne s'étoient fait faute du Mississipi, et qui ont mis toute leur autorité à s'en sauver sans en rien perdre, l'ont rétabli sur ce qu'ils ont appelé la Compagnie d'Occident, qui, avec les mêmes tours de passe-passe particuliers à un commerce exclusif aux Indes, achève d'anéantir celui du royaume, sacrifié à l'énorme intérêt d'un petit nombre de particuliers, dont le gouvernement n'ose s'attirer la haine et la vengeance en attaquant un article si délicat.

1648. Les quatre frères Paris.

(Page 183.)

28 juin 1720. Ces quatre frères Paris, sortis d'un cabaret de la grande route de Paris en Dauphiné, et dont l'un, qui a le plus figuré, -avoit été longtemps soldat aux gardes, s'étoient enrichis par leur union, leur esprit, leur conduite et leur capacité dans les affaires de finances, où ils avoient commencé par les derniers emplois. Ils ont fait tant de bruit et tant de maux sous le règne de Monsieur le Duc et de Mme de Prye, qu'ils gouvernoient, qu'ils se sont rendus célèbres pour toujours.

1649. Décadence du conseil de régence.
(Page 187.)

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21 août 1718. Le conseil de régence, où depuis longtemps il ne se faisoit plus rien en aucun genre qui fût de la moindre importance ni qui méritât le moindre secret, étoit devenu le vieux sérail, dont la facile entrée n'étoit plus comptée que par la cessation du dégoût de n'en être point tandis qu'on y en voyoit tant d'autres, et par vingt mille livres d'appointements. On y tuoit un temps très court par des extraits de lettres de paille qu'apportoit le maréchal d'Huxelles, par

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