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Simon, mais qui n'avoit jamais eu aucune habitude avec lui, l'envo a prier de vouloir bien lui donner une heure, dans la journée ou le lendemain, où il pût lui aller parler. Saint-Simon, avec politesse, alla chez lui sur-le-champ : il le trouva seul avec sa femme; c'étoit d'assez bonne heure dans l'après-dînée. Après les premiers compliments sur la liberté de s'adresser à lui sans avoir avec lui aucune liaison, il lui dit qu'il lui alloit parler avec la même confiance que s'il avoit souvent vécu avec lui, parce qu'il savoit qu'on le pouvoit en sûreté, et parce qu'il se trouvoit dans un embarras dont il n'y avoit que lui qui pût le tirer. Avant d'entamer le fait, il faut savoir que M. de Noirmoutier, hors d'âge et d'état d'avoir jamais eu la moindre relation avec M. le duc d'Orléans en aucun temps de sa vie, en avoit été un1 où il avoit été regardé comme un ennemi par rapport à sa sœur la princesse des Ursins et à beaucoup de liaisons étroites, toutes contradictoires à M. le duc d'Orléans. Cette même raison avoit empêché M. de Saint-Simon de profiter en aucune sorte du voisinage d'un homme aussi recherché et d'aussi bonne compagnie, et fit aussi sa surprise d'un préambule si ouvert pour une première occasion. M. de Noirmoutier pria donc M. de Saint-Simon de vouloir bien lui dire franchement si son frère, le cardinal de la Trémoïlle, avoit eu le malheur de déplaire à M. le duc d'Orléans. Il fut rassuré là-dessus, et cela même, à ce que témoigna M. de Noirmoutier, augmenta sa surprise. Il dit ensuite à M. de SaintSimon que l'abbé d'Auvergne, qu'il voyoit de tous les temps fort souvent, de toute la famille duquel il étoit ami particulier, et qui se donnoit pour être le sien et celui de son frère, avoit fait proposer à son frère de lui donner la démission de l'archevêché de Cambray, et fait entendre que c'étoit M. le duc d'Orléans qui le vouloit ainsi, mais qui aimoit mieux n'y pas paroître; que le cardinal, à qui cela avoit semblé extraordinaire, n'y avoit pas ajouté grande foi, mais que, les instances s'étant redoublées avec des avertissements qui annonçoient la menace, il n'avoit pu croire que l'abbé d'Auvergne allât jusque-là de soi-même ; que, dans cette inquiétude, il lui en avoit écrit pour savoir ce qu'il plaisoit au Régent, à qui il donneroit sa démission pure et simple toutes les fois qu'il desireroit, puisqu'il tenoit la place du Roi, et que c'étoit de sa grâce qu'il avoit reçu son archevêché; que cette affaire les affligeoit fort l'un et l'autre ; qu'il avoit cherché les moyens d'être éclairci des volontés du Régent, sans avoir pu trouver de voie sûre ; que, tandis qu'il les cherchoit, les instances s'étoient redoublées avec un équivalent de menaces, des conseils de céder et de s'en faire un mérite, et des protestations de la peine et de la douleur où cette volonté déterminée du Régent le jetoit lui-même, abbé d'Auvergne, son ami, son parent, son serviteur, de lui et de son frère, de tous les temps, ainsi que toute sa famille ; que, dans cette crise, ne sachant au monde à qui s'adresser, il avoit imaginé la voie qu'il prenoit avec confiance;

1. Avait été un temps.

et le compliment au bout. La surprise de Saint-Simon fut extrême et telle, qu'il se fit répéter un si étrange fait encore deux autres fois : sur quoi Mme de Noirmoutier alla chercher des lettres du cardinal et en lut à Saint-Simon les articles qui regardoient et qui énonçoient ces faits et la perplexité où elle le mettoit. Saint-Simon leur dit qu'il leur rendroit confiance pour confiance dès cette première fois et sous le même secret qu'ils lui avoient demandé; qu'à la mort de l'abbé d'Estrées, nommé à Cambray, M. le duc d'Orléans s'étoit hâté de donner cet archevêché au cardinal de la Trémoïlle, pour le bien donner par la dignité, la naissance et l'actuel service à Rome, mais en même temps pour se délivrer de la demande que la maison de Lorraine auroit pu lui en faire pour l'abbé de Lorraine, à qui il ne vouloit pas donner ce grand poste si frontière, et de celle aussi des Bouillons pour l'abbé d'Auvergne, à qui il l'auroit moins donné qu'à qui que ce fût, à cause de sa mère, de sa belle-mère, de sa belle-sœur, de sa nièce, toutes des Pays-Bas, et de leurs biens et alliances; qu'il étoit parfaitement sûr de cette disposition de M. le duc d'Orléans, qui la lui avoit dite dans le temps même, et qu'il n'avoit rien aperçu depuis qui l'eût pu faire changer de sentiment; que, de plus, c'étoit un prince si éloigné de toute violence, qu'il étoit fort difficile d'imaginer qu'il songeât à en faire une de cette nature, et à un homme de l'état et de la naissance du cardinal de la Trémoïlle, et dont il ne l'avoit point vu mécontent. M. de Noirmoutier se sentit fort soulagé de cette opinion d'un homme aussi avant que celui-là l'étoit dans la confiance de M. le duc d'Orléans ; mais il desira davantage, et demanda à Saint-Simon si ce ne seroit point abuser de lui dès la première fois que de le supplier d'en parler franchement au Régent. Saint-Simon y consentit, mais en avertissant Noirmoutier qu'il ne le pouvoit qu'en faisant à M. le duc d'Orléans la confidence entière. Noirmoutier répondit qu'il l'entendoit bien ainsi, en le suppliant du secret et en lui offrant la démission du cardinal, dont il avoit pouvoir, si elle lui étoit agréable. M. de Saint-Simon lui voulut faire le plaisir entier sur ce qu'il dit qu'il étoit fâché de n'avoir pas été averti deux heures plus tôt, parce qu'il sortoit d'avec M. le duc d'Orléans, auquel il auroit parlé. M. de Noirmoutier se mit aux regrets, à cause de l'ordinaire de Rome, et M. de Saint-Simon l'en consola en le quittant pour retourner au Palais-Royal. Le Régent, surpris d'un retour si prompt et si peu accoutumé, lui en demanda la cause. En entendant le récit, le voilà à rire aux éclats et à se récrier sur la friponnerie insigne et l'impudence sans pareille. Il chargea M. de SaintSimon de dire à M. de Noirmoutier, de sa part, que jamais il n'avoit ouï parler de rien d'approchant, ni n'en avoit rien imaginé lui-même; qu'il étoit très content du cardinal de la Trémoïlle, et très éloigné de se repentir de lui avoir donné Cambray ; qu'il le prioit donc de le garder sans aucune inquiétude; mais qu'il les prioit aussi l'un et l'autre d'être de plus persuadés que, quand bien même il seroit possible qu'il vint au cardinal la volonté de s'en démettre et qu'on ne pût l'en em

pêcher, il n'y avoit évêque ni abbé en France à qui il ne donnât Cambray plutôt qu'à l'abbé d'Auvergne. Comme l'heure des plaisirs des soirs approchoit, Saint-Simon ne fit pas durer la conversation après les premiers élans de surprise et les premiers propos de ce qu'elle produisit si naturellement; il se hâta d'aller délivrer M. et Mme de Noirmoutier, qui avoient toujours l'âme en peine, et qui se dilatèrent à cette réponse merveilleusement. On peut juger de ce qui fut dit de leur ami et cousin l'abbé d'Auvergne, auquel toutefois ils résolurent de n'en pas faire semblant, mais de lui faire écrire par le cardinal de la Trémoïlle une négative si sèche et si nette, qu'il n'osât plus retourner à la charge, et qui lui fît sentir qu'il étoit découvert. Il le sentit si bien, en effet, qu'il demeura tout court, mais sans cesser de voir M. de Noirmoutier, comme si jamais il n'eût été question de cette affaire. Avant de se quitter, les deux ducs se souvinrent que cette infâme tentative étoit le second tome de celle du cardinalat, lorsque le cardinal de Bouillon étoit chargé des affaires du roi à Rome, avec ordre de s'opposer en son nom et de toutes ses forces à la promotion du duc de Saxe-Zeitz, évêque de Javarin, que l'Empereur pressoit de toutes les siennes, et qui le fut de Clément XI, en 1706. Plusieurs mois auparavant, le Pape témoignant son extrême embarras au cardinal de Bouillon entre le Roi et l'Empereur, auxquels il ne vouloit pas déplaire, et les anciens engagements qu'il avoit pris, le cardinal saisit la conjoncture de faire l'abbé d'Auvergne cardinal en trompant le Roi et le Pape. Il fit accroire au Pape qu'il n'avoit qu'un moyen de satisfaire ces deux puissances, mais qu'il lui en coûteroit un chapeau; qu'il étoit si bien auprès du Roi, qu'il étoit sûr de le faire consentir à la promotion de Saxe-Zeitz pourvu que l'abbé d'Auvergne fût fait cardinal de la même. Le Pape, qui lui avoit grande obligation du pontiticat, et qui le marqua bien en s'intéressant autant qu'il fit auprès du Roi pour lui, lors de sa dernière disgrâce, accepta l'expédient de tout son cœur. Alors Bouillon, qui, en effet, étoit parti de la cour à merveilles avec le Roi, mais qui commençoit à s'y gâter pour des choses qu'on a pu voir dans ces Notes, et qui seroient déplacées ici, lui manda que, dans l'impossibilité absolue d'empêcher la promotion de SaxeZeitz, dont l'Empereur avoit la parole et que le Pape ne pouvoit plus différer, il avoit tout tenté pour que le Roi eût aussi un chapeau hors la promotion des couronnes, pour être égale en cela à la faveur promise à l'Empereur; qu'il y avoit échoué, mais qu'enfin le Pape, qui le combloit de bontés, voyant sa peine de ne pouvoir servir le Roi en ce point comme il le desireroit passionnément, l'avoit chargé de lui mander qu'il ne pouvoit, en aucune sorte, admettre qu'il nommât un cardinal pour cette promotion, mais que, s'il en vouloit absolument un en même temps que Saxe-Zeitz, il consentiroit à promouvoir l'abbé d'Auvergne, par l'amitié qu'il avoit pour lui, son oncle, et sans se laisser ébranler pour aucun autre tel qu'il fût. Pour cette fois, le Roi n'en fut pas la dupe; il se fâcha même tellement de cette hardie tentative

de le prendre pour tel, sur le soupçon qu'il en eut, qu'il donna en réponse l'exclusion positive à l'abbé d'Auvergne, et manda qu'il aimoit mieux que Saxe-Zeitz passât sans qu'il eût de chapeau pour lui. Le Pape alors vit à découvert la double et insigne friponnerie, dont le Roi, après, fut pleinement éclairci. Il n'en revint jamais pour le cardinal de Bouillon. D'autres choses qui arrivèrent de suite le plongèrent dans une dernière disgrâce, dont il n'est plus sorti. Saxe-Zeitz fut cardinal quelques mois après, et, dans cette promotion, le Roi n'eut point de chapeau.

1642. Grimaldo; sa carrière; il remplace le cardinal Alberoni.

(Page 162.)

7 janvier 1720. Grimaldo étoit un Biscayen de la plus obscure naissance et d'une figure tout à fait ridicule et comique, surtout pour un Espagnol. C'étoit un petit homme, blond comme un bassin de vermeil, très court et fort pansu, avec deux petites mains appliquées sur son ventre, qui, sans s'en décoller, gesticuloient toujours, avec un parler doucereux et des yeux bleus et un sourire qui donnoient à son ton l'accompagnement du visage. Il avoit beaucoup d'esprit, fin, adroit, politique, bas et haut à merveilles, suivant ce qui lui convenoit, et à qui lui convenoit ; il avoit l'art de ne s'y point méprendre. La première fois que M. de Berwick alla en Espagne, on le lui voulut donner pour secrétaire espagnol, et il l'auroit pris si Grimaldo eût su le françois ou lui l'espagnol, qu'il ignoroit entièrement, et pour le françois, l'autre n'en a jamais su un mot, et sur les fins, à peine l'entendre, mais sans jamais le parler ni entendre tout. Hors d'espérance de cette condition, il en chercha une autre, et il entra sous-commis dans le bureau d'Orry, avant que celui-ci fût devenu homme principal en Espagne. Il goûta Grimaldo par son esprit liant, insinuant, infatigable et net au travail, fécond en ressource et ne se rebutant jamais de rien. Ces qualités le mirent à la tête d'un bureau et le crûrent en commis à proportion qu'Orry crût en puissance. Il fut par lui connu et goûté de Mme des Ursins, et par eux approché du roi et de la reine, et admis à travailler avec eux quand Orry n'en avoit pas le loisir ou qu'il ne le vouloit pas prendre. De là il devint secrétaire d'État avec le département de la guerre, où il n'y avoit rien à faire qu'à recevoir et exécuter les ordres d'Orry et de Mme des Ursins, auxquels il faut dire qu'il demeura fidèle à tous les deux et à leurs amis et créatures lors de leur chute, et toujours depuis, tant qu'il a vécu. Dans une telle dépendance, on peut juger qu'il fut des premiers dont Alberoni se défit, et qu'il ne le laissa pas rapprocher tant qu'il fut le maître. Dans cette sorte d'exil, Grimaldo, toujours titulaire d'un emploi qu'il n'exerçoit en aucune de ses parties, demeura retiré chez lui, s'étant conservé des amis qui n'osoient avoir de commerce avec lui qu'avec de grandes

mesures. Le roi d'Espagne, malgré cet éloignement, n'avoit point changé pour lui; de temps en temps il l'en faisoit assurer, et quelquefois il le faisoit consulter sur des affaires. Il l'a même fait venir deux ou trois fois lui parler la nuit dans le plus profond secret. Le duc del Arco, favori de tout temps du roi et son grand écuyer, étoit le canal de ces choses; il étoit ami intime de Grimaldo. C'est le seul seigneur d'Espagne qui n'ait jamais fléchi le genou devant Alberoni, et qui ait toujours affecté pour lui de l'indifférence, de l'indépendance et de la hauteur, sans que l'autre ait jamais pu l'entamer sur rien, ni osé songer à l'éloigner. Grimaldo, dans cette situation secrète auprès du roi, fut remis en place au moment de la chute d'Alberoni, et à son tour exerça tous les ministères et dépêcha seul avec le roi avec une autorité et un crédit supérieur, et qui portoit sur tous les genres d'affaires et de grâces. Il s'y fit aimer, estimer, considérer, haïr de personne, et son estime passa au dehors par la manière dont il se conduisit et dont il manioit les affaires. Il est pourtant vrai que la reine, qui avoit chassé Mme des Ursins et mis Alberoni en place, dont toutes les impressions lui étoient demeurées malgré sa disgrâce, n'aima jamais Grimaldo. Elle ne put l'ébranler avant l'abdication du roi, ni empêcher qu'il ne reprît sa place et son premier crédit lorsque le roi reprit la couronne; mais, quelque temps après, elle le perdit, c'est-à-dire elle lui fit quitter sa place. Le comment passeroit trop les bornes de ces Notes. Grimaldo, devenu ministre principal, eut la foiblesse de vouloir être homme de qualité. La ressemblance de nom l'entêta de s'enter dans la maison Grimaldi de Gênes, et il en prit les armes pleines. Quand il y eut accoutumé le monde, il aspira à la grandesse ; mais il n'y put atteindre. Le roi, en quittant la couronne, lui donna la Toison et lui permit de se retirer auprès de lui à Saint-Ildefonse, où ce prince se mêloit toujours fort des affaires, et Grimaldo sous lui. Il eut, au retour du roi à la couronne, le vain titre de conseiller d'État. Ces honneurs ne l'empêchèrent pas de vivre dans l'obscurité à Madrid, les huit ou dix ans qu'il survécut à sa place, qu'il eut la douleur de voir occuper par son premier commis, dont il avoit fait la fortune et qu'il avoit élevé son domestique.

1643. La duchesse de Villars-Brancas et son cadenas

à table avec Mademoiselle de Valois.

(Page 171.)

26 janvier 1720. C'étoit la mode d'avoir oublié ce qui étoit le mieux établi, et de contester tout aux ducs; c'est pour cela que Dangeau, qui avoit vu une autre conduite, qui en étoit bien fâché, mais qui étoit trop honnête homme aussi pour s'inscrire en faux contre la vérité, coule en douceur le cadenas de la duchesse de Villars à table avec Mile de Valois. Il le laisse ainsi trouver étrange et nouveau; mais il se

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