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d'être indiscrètement entré. La personne qui étoit au lit eut beau le rappeler et protester qu'elle est l'abbé d'Entragues, Peletier court encore et crut qu'on se moquoit de lui. C'étoient là les façons journalières de ce bon ecclésiastique. Il se l'étoit fait par choix, quoique aîné, avec la vocation qu'on voit par ce peu qu'on en dit, et le rare est sans poltronnerie; car cet homme-femme n'avoit peur de rien. Il couchoit ses mains suspendues pour se les rendre plus blanches, et se faisoit saigner très souvent du pied, puis marchoit tout le jour dans les rues, quoiqu'il eut un carrosse et d'assez bonnes abbayes. On l'avertissoit qu'il deviendroit hydropique; il répondoit que c'étoit sa friandise. Très rangé dans ses affaires, quand le jeu ne le dérangeoit point, ce qui arrivoit souvent; propre en tout et à l'excès ; d'un goût exquis en habits, en meubles, en ornements, en maisons; [il] se crevoit de fruits et de glaces jusqu'à la dernière vieillesse, et du reste très sobre. Un curé fort à son aise, d'une de ses abbayes, le vint voir un soir qu'il neigeoit fort; l'abbé lui demanda s'il vouloit souper avec lui, et, sur ce qu'il accepta, l'avertit qu'il n'y avoit à manger que pour lui seul et fort légèrement, mais qu'il s'en trouveroit bien pour deux s'il s'en vouloit contenter. Le curé en compliments et demeure. Peu de temps après, on apporte des oublies chargées de neige sur une assiette, il en offrit au curé, qui, surpris du mets, en voulut tåter, et l'abbé mangea le reste. Cependant la conversation continua. Vers minuit, l'abbé lui demanda en riant s'il ne se couchoit point à Paris, et que pour lui il lui en sembloit heure. Le curé, depuis longtemps surpris de ne voir point de couvert mis, le fut bien davantage : « Comment! coucher! répondit-il, et souper, quand sera-ce donc, puisque vous m'avez fait l'honneur de m'en prier? Souper! reprit l'abbé, cela est plaisant, vous avez soupé il y a deux heures et vous l'avez déjà oublié ?» Le curé crut rêver et ne pouvoit comprendre ce qu'on lui vouloit faire accroire. Enfin l'énigme s'expliqua; la neige et les oublies étoient le souper, et il étoit vrai que c'étoit celui que l'abbé faisoit d'ordinaire en pareil temps, quand il passoit la soirée chez lui. C'étoit un homme instruit de tout ce qui se passoit, qui s'insinuoit dans les maisons, qui avoit tout ce qu'il falloit pour y être bien reçu et souvent aussi pour en être chassé par le peu de sûreté de son commerce. Il aimoit les tracasseries et les poussoit volontiers aux noirceurs pour le plaisir d'un bon mot, ou pour se divertir; au reste, doux, poli, insinuant à merveilles et complaisant sans bassesse. C'étoit un composé le plus étrange qui se pût voir et que tout son maintien promettoit, qui étoit tel qu'il n'y avoit personne qui ne le remarquât entre mille, ni qui pût résister à la curiosité de savoir qui il étoit. Ce qui lui fit faire la surprenante démarche qui donne ici lieu de parler de lui, personne, ni lui-même n'en a pu rendre aucune raison; la haine de la cour, de tout gouvernement du feu Roi, quoiqu'il ne fût plus, licence et libertinage d'esprit qu'il n'eût osé hasarder de son temps, en un mot folie. Il se piqua quelque temps du personnage de confesseur persécuté ; il

s'en lassa bientôt, et, dès qu'il en fut las, on le fut aussi de le tenir à la Bastille. Il revint au giron de l'Eglise, et, comme on ne pouvoit imaginer rien de sérieux de lui, il fut incontinent après reçu dans toutes les maisons qu'il avoit accoutumé de fréquenter, et avec la même familiarité qu'auparavant, princes du sang et autres. Il affecta un peu de temps de se faire voir à la messe, disant un grand bréviaire; car tous ses bénéfices lui demeurèrent; puis, peu après, il revint à sa vie ordinaire, quand il crut son apostasie oubliée. Il ne laissoit pas avec ses mœurs dépravées de donner considérablement aux pauvres, et il est parvenu à plus de quatre-vingts ans sans aucune sorte d'infirmité, toujours dans sa même vie. Il mourut d'une maladie assez longue avec beaucoup de courage, et toutefois, à ce qu'il parut enfin, en bon chrétien.

1634. Madame de Saint-Remy, mère de Mademoiselle
de la Vallière.

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(Page 121.)

4 avril 1686. Mme de Saint-Remy avoit épousé en premières noces la Vallière, dont elle eut le marquis de la Vallière, gouverneur de Bourbonnois, dont la femme fut dame du palais de la Reine, et le fils duc et pair dans la régence de M. le duc d'Orléans, et Mlle de la Vallière fille de Madame. En secondes noces, elle épousa Saint-Remy, premier maître d'hôtel de Madame, veuve de Gaston, l'un et l'autre de grande intrigue, et en eurent Mme d'Entragues pour fille unique, mère de d'Entragues, fort dans le monde et moins de beaucoup que sa mère et sa grand mère. Ainsi Mme d'Entragues étoit sœur de mère de Mlle de la Vallière, maîtresse du Roi, puis carmélite, et mère de M. de Vermandois et de Mme la princesse de Conti.

1635. Law fait contrôleur général des finances.

(Page 127.)

5 janvier 1720. Il étoit temps de faire jouir Law de sa conversion. M. le duc d'Orléans ne pouvoit plus s'accommoder d'un autre chef dans les finances; Law vouloit l'être. Il rejeta sur autrui tous les inconvénients qui arrivoient à son système, dont il étoit pénétré de bonne foi, et, avec cette même bonne foi, se promettoit des merveilles quand il n'auroit plus de maître avec qui compter. Argenson, qui se trouvoit garde des sceaux, c'est-à-dire dans une place aussi fragile que relevée, et de la chute de laquelle il n'y a plus de ressources, sentit, en homme de beaucoup d'esprit qu'il étoit, qu'il étoit temps de céder à un homme qu'il ne faisoit plus sûr de contrarier, et que les finances, qui lui avoient valu en même temps les sceaux, les lui feroient perdre en perdant ces mêmes finances. Il n'y contentoit personne, et l'orage

se formoit, à mesure qu'on le sentoit perdre du terrain auprès du Régent. Il se hâta donc de lui en faire un sacrifice et de s'en procurer un pont d'or, dont les grâces à ses enfants furent inouïes par leur âge.

1636. Avidité du prince de Conti; ses propos contre Law.

(Pages 129-130.)

17 janvier 1720. M. le prince de Conti avoit tiré des monts d'or de M. le duc d'Orléans et de Law en particulier encore; non content de tant de trésors, il voulut continuer. M. le duc d'Orléans s'en lassa, d'autant plus qu'il n'avoit pas été content de sa conduite lors des brouilleries du Parlement, où il avoit essayé de faire un personnage peu séant à sa naissance, à son âge et aux monstrueuses grâces qu'il recevoit tous les jours. Rebuté du Régent, il espéra mieux de Law, et fut trompé dans son attente. Les prières et les souplesses ayant manqué, il essaya de faire peur à Law, et d'arracher de vive force ce qu'il n'en avoit pu obtenir autrement. Law eut peur en effet, mais ce fut d'accoutumer ces princes à le tyranniser par leurs hauteurs et leurs menaces, et eut recours à M. le duc d'Orléans. Le Régent, piqué de ce procédé dont il sentit les dangereuses suites et le pernicieux exemple, encore à l'égard d'un étranger sans appui, qu'il venoit de faire contrôleur général assez légèrement, se mit en colère et la fit sentir à M. le prince de Conti. Celui-ci n'osa branler et demanda pardon; mais outré, et d'avoir échoué et d'avoir eu la tête lavée, il eut recours au soulagement des femmes, et se répandit en propos contre Law, qui ne lui firent plus de peur et encore moins de mal, et peu d'honneur au prince de Conti parce qu'on en connoissoit la cause.

1637. Le fils de Law admis au ballet du Roi.

(Page 133.)

3 février 1720. Le fils de Law du ballet du Roi fut une de ces bassesses dont le maréchal de Villeroy étoit si fécond parmi toutes ses hauteurs. Personne ne crioit tant contre Law; personne ne se faisoit tant de mérite que lui d'une opposition si publique; personne encore ne se piquoit plus de ne ménager point le Régent et de lui faire contre, dans l'idée de devenir l'idole du Parlement et du peuple, et, avec le Roi entre ses mains, d'arriver à faire la principale figure; aussi cette misère lui réussit-elle mal partout, et au Palais-Royal aussi bien que parmi les ennemis du gouvernement.

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1638. Le maréchal de Villeroy fait danser un ballet au jeune Roi et l'en dégoûte pour toujours.

(Page 134.)

8 février 1720. Le maréchal de Villeroy, qui avoit vu danser des ballets au feu Roi et qui apprenoit à celui-ci à ôter la moitié des œufs frais qu'il mangeoit et tous les bouts des ailes de perdrix, de faisans et de gelinottes, et à n'en jamais manger les cuisses, parce que le feu Roi mangeoit ainsi, voulut faire danser un ballet au Roi. Le maréchal les aimoit et y avoit brillé. Il leur devoit reconnoissance, puisque sans les ballets il n'auroit jamais brillé nulle part; mais il ne prenoit pas garde, lui qui avoit été si avant dans les galanteries et qui en avoit conservé le goût et les façons, que le feu Roi étoit amoureux quand il donnoit des fêtes, que la galanterie en est l'âme, et que le Roi n'étoit pas en âge de sentir encore ce que c'étoit; mais les raisonnements, surtout les conséquents, ne furent jamais son fort. Le feu Roi avoit dansé, n'importe à quel âge et dans quelles circonstances; il fallut que le Roi dansât. Il dansa donc, non comme il voulut, mais comme le maréchal voulut, et comme le put un prince qui, bien que couronné, étoit enfant, par conséquent timide et désolé de se voir en spectacle et, glorieux comme le sont les enfants, de danser avec des gens plus âgés et plus forts que lui, et qui bien aisément dansoient beaucoup mieux. C'est ce qui lui a donné une telle aversion pour la danse, les ballets et les bals, qu'il n'en a jamais voulu ouïr parler depuis, et que cette aversion s'est étendue jusqu'à toutes sortes de fêtes, de spectacles et même de cérémonies, ce qui ne rend pas une cour gaie, brillante, auguste, ni majestueuse.

1639. Les Boisfranc; leurs mariages et leurs héritages.

(Pages 138-139.)

21 janvier 1720. Boisfranc étoit un très riche financier qui, pour se mettre à couvert, s'étoit fait à force d'argent surintendant de la maison de Monsieur, et beau-père du marquis de Gesvres, aujourd'hui duc de Tresmes et frère du cardinal de Gesvres. Il maria son fils à la fille de feu M. de Soyecourt, grand veneur et chevalier de l'Ordre, laquelle avoit deux frères et qui n'apporta quoi que ce soit en mariage. Il arriva que ces deux frères, tous deux non mariés, furent tous deux tués à la bataille de Fleurus, et qu'elle devint en un jour une très riche héritière. Le fils de ce mariage, qui fut unique, épousa, comme on le voit ici, Mlle de Feuquières. Mme de Feuquières, sa mère, étoit fille unique du marquis d'Hocquincourt, chevalier de l'Ordre en 1688, fils du maréchal. Elle avoit eu peu en mariage; ses frères moururent tous l'un après l'autre, et elle hérita de tout leur bien. Elle avoit un fils et

une fille, tous deux uniques; elle ne donna rien à sa fille, qui tôt après perdit son frère et hérita de tout, tellement que tous les biens des maisons de Belleforière, de Monchy et de Pas fondirent tous en deux générations sur ce Boisfranc, dont la grand mère recueillit de plus, déjà fort vieille, presque toute la riche succession du président de Maisons. Voilà le succès de ces mariages infâmes. On y sacrifie une fille de qualité pour conserver tout aux mâles, et les vilains qui les épousent, à ce que l'on croit, pour rien, en accumulent sur leur tête des successions immenses. Celui-ci, outre son néant, a aussi accumulé tant et de tels vices, qu'il est interdit, expatrié, et n'oseroit sous peine capitale, rentrer dans le royaume. Il vit à Gênes dans le dernier mépris, et, ce qui est monstrueux, son fils épouse, cette année [1736], une fille du duc de Saint-Aignan, ambassadeur à Rome, dont toute l'Italie est offensée, tandis qu'en France on le trouve heureux de se défaire d'une fille pour rien, avec sa nombreuse famille et le dérangement où ses ambassades ont mis ses affaires.

1640. Le prince-abbé de Murbach.

(Page 141.)

29 janvier 1720. Ce prince de Murbach, frère de Mme de Dangeau, portoit le nom de son abbaye de Murbach, qui est commendataire assez riche et donne le titre de prince de l'Empire. Il avoit plusieurs autres bénéfices.

1641. Friponnerie de l'abbé d'Auvergne à l'égard du cardinal de la Trémoïlle.

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(Page 143.)

20 janvier 1720. On a suffisamment parlé du cardinal de la Trémoïlle; mais une anecdote trop curieuse ne peut être omise ici, et qu'on a sue en son temps même et de la première main. On a vu ailleurs aussi en ces Notes 2 quel étoit le duc de Noirmoutier, son frère, combien il étoit avant dans tout, et recherché toute sa vie de tout ce qu'il y avoit de plus grand et de meilleur, tout aveugle qu'il étoit dès sa première jeunesse, et sans sortir presque jamais de chez lui. L'abbé d'Auvergne se piquoit d'être intimement de ses amis; il étoit très souvent et très familièrement chez lui. Il étoit vrai que ses proches en étoient; mais il ne l'étoit pas moins que Noirmoutier le connoissoit bien, et le souffroit par bienséance. Deux ans environ avant ce tempsci3, M. de Noirmoutier, qui logeoit porte à porte du duc de Saint

1. Le commencement de cette Addition a été placé dans notre tome XIII, en regard de la page 68, no 626.

2. Addition n° 326, dans notre tome Vll, p. 389.

3. C'est-à-dire au début de 1718; elle doit être de 1719.

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