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leur étrange surprise d'une fausseté sans la moindre apparence, et leur attachement unanime à cette même doctrine, bien loin de s'en être jamais plaint à Monsieur de Soissons, alors archevêque de Sens, qui y est demeuré muet, et devenu leur métropolitain par des voies très peu correctes. Ce prélat est si connu par tant de funestes endroits que, excepté les mœurs, il se peut dire qu'il n'a aucune partie saine; on y peut ajouter ni agréable; mais il figure trop pour qu'il soit besoin de s'arrêter plus longtemps sur l'ambitieux et ridicule auteur de Marie Alacoque.

un

Bentivoglio avoit quitté un régiment de cavalerie au service de l'Empereur pour entrer dans la prélature. Sa naissance lui valut en moins de rien la nonciature de France, et celle-ci la pourpre fort peu après. C'étoit un ignorant parfait, un emporté sans mesure, débauché qui n'en faisoit pas de mystère, et qui laissa une fille qu'il avoit eue d'une comédienne à Paris et qui a joué longtemps à l'Opéra, où on ne l'appeloit que la Constitution, en mémoire de son père, qui la portoit, et à Paris et depuis à Rome, à toutes extrémités. Il eut à son retour la légation de la Romagne, d'où ses fureurs le firent promptement rappeler. Il ne les signala pas moins au seul conclave où il se trouva, et mourut peu après, méprisé et détesté de tout le monde, dans un âge peu avancé.

Bossu, frère du prince de Chimay, avoit fait ses études à Rome, et, dirigé par les jésuites, qui toute sa vie suppléèrent à ses talents nuls en tout genre, visa dès lors au cardinalat. Il revint en Flandre plus romain que les Romains mêmes, mais avec d'excellentes mœurs et beaucoup de piété. Comme elle étoit sans nulle lumière dans un sujet d'une grande naissance, c'étoit ce qu'il falloit aux jésuites pour régner sous son nom, et c'est ce qui lui valut l'archevêché de Malines, dont ces Pères furent en effet les seuls et véritables archevêques. Bientôt après, se trouvant si bien de leur choix, leurs mêmes soins le firent tant valoir à Rome, qu'il fut de cette promotion sans la participation de l'Empereur, qui entra d'autant plus en colère, que ce prélat reçut et mit la barrette sans avoir attendu sa permission. Il tonna, il menaça, il saisit quelque temps des revenus, il donna force dégoûts; mais enfin, il s'apaisa un peu par un voyage de soumission qu'il fit faire à Vienne, après le premier conclave où il alla tôt après sa promotion. L'Empereur l'y retint longtemps et désagréablement; mais il étoit et demeura cardinal. Les gens de bien sont souvent autant et plus glorieux que les autres: il prit le nom de cardinal d'Alsace. Son nom est HéninLiétard, grand, ancien, illustre; pour d'Alsace, ce fut une chimère qu'il mit au jour le premier de sa race. On s'en étonna; on en rit; mais ce fut tout, et ce nom de guerre lui demeura.

Belluga arriva à la pourpre par des sentiers plus droits. C'étoit un bon gentilhomme castillan, que sa piété éclatante avoit fait choisir à Philippe V pour l'évêché de Murcie dans les commencements de son règne. Il s'y gouverna comme on s'y étoit attendu, et il y fut en exemple

à toute l'Espagne. Lorsque la guerre y fut portée jusque dans ses entrailles, et que le roi et la reine sa première femme, sortis de Madrid, se trouvèrent aux dernières extrémités et avec très peu d'espérance de conserver aucune pièce de la monarchie, sans argent ni subsistance pour ce qui leur restoit de troupes, l'évêque de Murcie se signala entre quantité de seigneurs, d'évêques et de gentilshommes espagnols. Lui seul fournit gratuitement deux mois de subsistance à l'armée, ou du sien qu'il épuisa et qu'il engagea, ou du fonds de ses diocésains, qu'il toucha par son exemple et par ses continuelles prédications, jet il donna de plus de quoi payer aux troupes plusieurs prêts qui leur étoient dus. Le sort des armes étant devenu aussi favorable au roi d'Espagne qu'il lui avoit été contraire, et se trouvant après paisible sur son trône, l'évêque de Murcie ne crut pas qu'il lui fut rien dû. Il ne compta que d'avoir fait son devoir, et demeura, comme il avoit toujours fait, renfermé dans son diocèse, uniquement occupé du soin de son salut et de celui des autres. L'épuisement où tant de diverses secousses avoient mis les finances d'Espagne obligea enfin à chercher des voies de les réparer. Ce qu'on appelle la croisade parut d'un secours plus prompt et plus net, et on l'augmenta fort d'un trait de plume; c'est une contribution sur le clergé, que les papes, qui le dominent en Espagne et dans tous les pays d'obédience, encore plus d'Inquisition, ont souvent accordée aux rois d'Espagne pour la guerre contre les Maures, et qui, sous le même prétexte, quoique cessé depuis longtemps, a été si ordinairement continué qu'il a passé en ordinaire. Cette surtaxe émut le clergé, et Belluga plus qu'aucun autre. Il ne crut pas pouvoir en conscience livrer au roi un bien consacré aux autels et aux pauvres; il fit grand bruit; il résista avec la plus grande fermeté aux ordres réitérés du roi, et, comme son exemple à donner lors de la nécessité avoit été grand et en spectacle à toute l'Espagne, son exemple n'eut pas moins de crédit pour le refus. Le roi, embarrassé, s'aigrit. Belluga inébranlable porta ses plaintes à Rome, et fut cause que cette affaire devint très considérable, et ne put finir que par un accommodement. Lors de son plus grand feu, la promotion se fit, et Belluga, célèbre à Rome par son zèle pour l'autorité du pape et l'immunité du clergé, fut déclaré cardinal sans y avoir jamais pensé. Il le montra bien ; il n'en apprit la nouvelle qu'avec surprise, et déclara tout de suite qu'il ne l'accepteroit jamais sans la permission du roi, qu'il n'espéroit pas dans sa disgrâce. En effet, le roi d'Espagne, qui regarda la promotion de Belluga comme une injure qui lui étoit faite, lui envoya défendre de l'accepter; mais le refus continuel avoit précédé la défense. Le pape, à son tour piqué, envoya un bref impératif à Belluga d'accepter en vertu de la sainte obéissance; mais ce bref ne put le tenter ni l'ébranler. Il répondit modestement qu'il n'y alloit ni de la religion ni de l'Église qu'il fût cardinal ou qu'il ne le fût pas, mais qu'il y alloit du devoir et de la conscience d'un sujet d'obéir à son roi et de lui être soumis, dont nulle puissance ne pouvoit le

délier ni le faire départir. C'est qu'il ne s'agissoit ici que d'une dignité; s'il y avoit eu de la religion ou de l'hérésie mêlée, je ne sais si l'on penseroit au delà des Pyrénées comme on pense en deçà, et comme toute l'antiquité a pensé en tout pays. Quoi qu'il en soit, telle fut la réponse du fameux évêque de Murcie, et dans laquelle il persévéra malgré tout ce que Rome commise y employa de caresses et de menaces. Ce spectacle plaisoit fort à Madrid, qui laissoit faire sans se remuer et qui le laissa durer plusieurs mois, sans que Belluga y ait jamais ni fait ni laissé faire la moindre démarche en sa faveur, ni qu'il en ait paru moins tranquille ni moins absorbé dans ses devoirs et dans sa vie accoutumée. Rome aussi eût dédaigné d'agir auprès du roi d'Espagne; tellement que, lorsqu'il n'y songeoit plus, il partit un courrier de Madrid avec un ordre à Belluga d'accepter la pourpre, et un pour Rome avec une lettre du roi d'Espagne au pape pour le prier de la lui donner. Ainsi l'affaire fut finie avec une gloire sans égale pour Belluga, qui, sans se hâter ni changer rien à son habit ni à sa calotte, vint présenter sa barrette au roi, la recevoir de sa main, et le remercier comme ne la tenant que de ses bienfaits. Ce contraste fut un peu fort pour Alsace et pour Mailly et fut fort célébré partout. Dans la suite. Belluga, trop zélé, voulut entreprendre des réformes que les évêques d'Espagne ne purent souffrir; ils s'élevèrent contre, tellement que Belluga, dégoûté de son pays pour n'y pouvoir pas procurer le bien qu'il avoit espéré, fit trouver bon au roi d'Espagne qu'il remit son évêché entre ses mains et qu'il se retirât à Rome; c'est ce qu'il exécuta. Il y a été comme à Murcie, toujours sujet très attaché, chargé même dans des entre-temps des affaires d'Espagne, et y a eu part dans tous, et sa vertu, qui surnage en lui aux lumières politiques, lui a acquis une vénération et même une considération que celles-ci n'ont pas, quoique plus dans leur centre en cette capitale du monde.

Salerne étoit un jésuite italien qui s'étoit mêlé de la conversion du roi Auguste. Je ne sais s'il y avoit eu plus de peine que l'abbé Tencin à celle de Law. Auguste, électeur de Saxe, vouloit être roi de Pologne, et il n'y avoit pas moyen sans être catholique. Il avoit affaire à tout son électorat, en vertu duquel il étoit chef né et protecteur de tous les protestants d'Allemagne, et ce titre lui donnoit la première considération et une autorité qui le faisoit ménager par l'Empereur. Il ne les vouloit pas perdre, et ils étoient bien difficiles à concilier avec sa conversion. Son domestique n'étoit pas plus aisé : sa mère et sa femme étoient du plus grand zèle pour leur religion. La première ne le voulut plus voir depuis qu'il eut changé, ni presque plus sa femme que par des visites courtes et rares quand il venoit en Allemagne, sans que jamais elle ait voulut mettre le pied en Pologne. Parvenu pourtant à concilier deux choses si opposées, il espéra la même fortune pour son fils, qui, comme on le voit maintenant, ne l'a pas trompé. Il se servit pour sa conversion de ce même Père Salerne, qui, travesti, l'accompagna dans tous ses voyages et s'enfermoit dans

sa chambre tous les matins avec lui, où que ce fut, et où, par permission du pape, il lui disoit la messe avant qu'on le sût converti; c'est ce qui valut la pourpre à cet habile jésuite dans cette promotion.

1624. M. de Gesvres, archevêque de Bourges, nommé cardinal. (Page 41.)

29 mai 1694. L'abbé de Gesvres avoit été du temps à Rome camérier d'honneur d'Innocent XI, homme de caprice, et qui avoit tellement pris goût pour lui qu'on ne doute point qu'il n'eût été cardinal sans aucune recommandation, si l'éclat arrivé avec la France ne l'eût obligé d'y revenir, et c'est ce qui lui valut enfin ce siège. Il avoit pris beaucoup des manières italiennes, et songea toujours depuis à devenir cardinal. Il en fut souvent fort près, et à la fin l'est devenu avec la nomination des deux compétiteurs de Pologne en 1719. Mais la malédiction y a été telle que, depuis sa promotion, il n'a voulu aller à aucun conclave, puis à pas une cérémonie, enfin plus à la cour, et à peine faire quelques visites dans Paris et ne voir presque personne dans sa maison; jamais aux cérémonies de l'Ordre, en un mot, parvenu si persévéramment au comble de ses vœux, c'est pour se repaître les yeux de son habit rouge au fond d'une entière solitude, et se tenir toujours pour malade. Il n'a jamais résidé et à peine songé qu'il eût un diocèse : c'est le seul qui y eût accoutumé le feu Roi.

1625. Les cinq frères Languet.
(Page 65.)

28 février 1704. - Le baron de Montigny, baron de sobriquet, étoit fils d'un homme du parlement de Dijon des plus nouveaux, mais qui eut plusieurs enfants, qui ne laissèrent pas leurs talents enfouis. Čelui-ci tit valoir celui d'espion, dans lequel il fut maître, et peut-être des deux côtés, et qui lui fit friser la corde plus d'une fois et servir plus d'un maître. Il en a vécu parce qu'il manquoit de pain, et ç'a été tout. L'aîné ou M. de Gergy étoit une happelourde, mais un honnête homme, et qui ne s'oublia point, qui fut envoyé en diverses petites cours, et qui se fit moquer longtemps de lui à Ratisbonne, en récompense de quoi on lui donna l'inutile ambassade de Venise, quand on y envoya un ambassadeur, d'où les apoplexies le firent revenir. Les trois autres frères prirent un meilleur parti, et y poussèrent mieux leurs diverses fortunes. L'abbé Languet, dont il est parlé ici, intrigua par Saint-Sulpice pour une place d'aumônier de Mme la duchesse de Bourgogne. Il se fourroit dans les antichambres, qu'il ne passoit guères nulle part, mais dont il ne se lassoit point; puis se fit grand vicaire d'Autun, et résolut de faire sa fortune par la Constitution. Il en devint évêque de Soissons, et ce nom, sous lequel il a tant et si étrangement

fait parler de lui, suffit pour le faire connoître. Son ambition et son audace étoient dès lors si démesurées, qu'il espéra le cardinalat, et y compta si bien à force de manéges et de sacrifices sanglants, d'adoption d'écrits et de toutes sortes d'intrigues, que, lorsque l'archevêque de Reims Mailly fut cardinal, étant à table chez M. le Blanc, secrétaire d'État, qui en dit la nouvelle, il s'élança en la faisant répéter, et tout de suite s'écria : « Monsieur de Reims cardinal! Ah! il m'a pris mon chapeau! » Ce trait échappé, il en fut moins honteux que toute la compagnie, et ne songea plus qu'à en gagner un autre, et cependant changer d'évêché. La friponnerie qui lui valut Sens a été publique, et tant d'autres dont les diverses impressions sont remplies. C'est lui encore qui, étant évêque de Soissons, donna comme de lui ces fameux Avertissements qui ont causé tant de troubles, lesquels avoient été portés à Monsieur de Reims Mailly, pour les faire passer sous son nom, qui le refusa et qui, dans la surprise de les voir paroître incontinent après sous le nom de Monsieur de Soissons, ne put s'empêcher d'en conter l'aventure. Ce dernier prélat, immortalisé par la vie de sa Marie Alacoque, avoit espéré que ce petit troupeau guyoniste, à qui les progrès de la Constitution ont rendu tant de vigueur et de crédit, lui abrégeroit le chemin de la pourpre. Un autre frère ne fait pas un moindre personnage dans l'ordre de Citeaux, où il est abbé de Morimond, et, ce qui vaut bien mieux pour l'intrigue à la fortune commune, procureur général de son ordre à Rome depuis plusieurs années. Il passe en ce genre l'archevêque de loin, à ce qu'on dit, et, si on dit vrai, ce doit être un grand maître. Le cinquième est tout d'une autre espèce; c'est le curé de Saint-Sulpice, que son bâtiment immense immortalisera; excellent curé en tout genre, veillant les pauvres, qui le demandent avec autant de soin que les plus grands seigneurs, un grand don et une grande fluidité de paroles, et un art pour établir et soutenir les bonnes et grandes œuvres inimitable, un génie doux, fin, singulièrement adonné aux arts, aux manufactures, au commerce, qu'il tourne tout en soin des pauvres de tous états.

1626. Disgrâce du cardinal Alberoni.

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(Pages 86-87.)

19 décembre 1719. Alberoni, cardinal, premier et unique ministre, au plus haut point de la puissance, devint tout à coup le bouc émissaire de toute l'Europe. On a vu comment, pour faire passer incognito ses trésors en Italie, il y avoit allumé la guerre et dépouillé M. de Savoie de la Sicile et l'Empereur de la Sardaigne, avec le projet de s'emparer de Naples après la conquête de la Sicile, sans abandonner les vues sur la Lombardie. L'Angleterre ne lui pouvoit pardonner les deux projets de remettre Jacques III sur son trône, le premier par le roi de Suède, le second à l'appui du czar. La France, qui avoit peine à se disculper d'avoir attaqué l'Espagne pour le seul intérêt de l'abbé

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