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siastiques aux parlements, et de remuer beaucoup d'affaires. Ils étoient veillés, et ce fut alors que leurs assemblées secrètes se tenoient les nuits chez la religieuse Tencin, où des évêques alloient travestis, et où ce pauvre idiot mais saint évêque de Marseille se laissa mener masqué en cavalier par des gens qui en savoient plus que lui, et fut reconnu en cet étrange équipage. Cela valut une lettre de cachet à la Tencin pour sortir de Paris; mais ce qui s'appeloit évêques catholiques, ayant le cardinal de Bissy à leur tête, firent tant d'instances, et de peur de pis, se voyant découverts, donnèrent tant de paroles de ne penser plus à rien pour l'assemblée, que la Tencin devenue le pilier et le ralliement de la saine doctrine et le centre de la petite Église cachée, si excellemment orthodoxe, eut tacite permission de demeurer à Paris, où elle continua d'être le creuset d'où sortirent les plus violents partis et les plus dangereuses pratiques des ambitieux, sous le voile de la Constitution. Les jésuites, le cardinal de Bissy et les plus signalés d'entre les évêques ne lui refusoient rien, et cette créature fut constamment le canal le plus assuré de leurs grâces. Enfin Monsieur d'Embrun, lassé du personnage tranquille et dépouillé de tout autre soin que de celui de soutenir l'Église et de n'agir que par sa sœur et par les ressorts les plus cachés, en fit tant remuer auprès du cardinal de Fleury, et, sous la direction de sa sœur, lui demanda tant d'humbles pardons, témoigna de si amers repentirs, prodigua tant de flatteries et de bassesses, que, vers le mois de mai 1736, il eut permission de revenir et fut reçu du cardinal Fleury comme en triomphe.

On a cru devoir dire en deux mots tout ce qui regarde jusqu'à présent cet archevêque et sa sœur, qui ne se croient encore qu'en chemin de la plus grande fortune et qui ne le croient pas seuls.

1617 et 1618. La mort du Père Quesnel.

(Page 17.)

2 décembre 1711. - Le P. Quesnel n'est mort que le 2 décembre 1719, à Amsterdam, à quatre-vingt-cinq ans quatre mois et dix-huit jours. 7 décembre 1719. Le P. Quesnel a tant fait de bruit dans le monde toute sa vie, et un bruit si soutenu et si connu de toutes sortes de personnes, qu'il seroit inutile d'en rien dire ici.

1619. Le prince d'Auvergne épouse Mlle Trant.
(Page 22.)

24 décembre 1719. - Cette Mlle Trant étoit une Angloise, demoiselle, disoit-elle, et qui se prétendoit à Paris à cause de la religion. La première femme du maréchal d'Alègre, bel esprit à sa manière, et dévote en titre d'office, charmée de son ramage, la retira chez elle, où elle a été très longtemps, et où elle ne tarda pas à se faire connoître par ses

intrigues et par son esprit souple, liant, entreprenant, hardi, et qui surtout vouloit faire fortune. Elle attrapa lestement force Mississipi de Law, donna dans la vue au prince d'Auvergne, connu si longtemps sous le nom de chevalier de Bouillon, qui avoit tout fricassé et qui cherchoit à se marier sans pouvoir trouver à qui. Le décri où ses débauches et d'autres aventures fort étranges l'avoient mis, joint à sa gueuserie, n'épouvantèrent point l'aventurière angloise, et la firent atteindre à ce mariage, au grand déplaisir des Bouillons. Elle a toujours depuis mené ce mari par le nez et a acquis avec lui des richesses infinies par ce même Mississipi. Il est pourtant mort avec peu de bien parce qu'il avoit été soulagé de la plus grande partie de son portefeuille, que sa femme lui avoit fait prêter, et qu'elle a été fort accusée d'avoir mis de côté. Quoi qu'il en soit, cela a été perdu pour le mari et pour les siens, sans moyens contre la femme, qui est demeurée brouillée avec tous les Bouillons, et qui n'a point eu d'enfants qui aient vécu. Elle a cherché tant qu'elle a pu, avant et depuis, à faire un personnage; mais la défiance en a été telle partout, qu'aucun parti n'en a voulu. Elle s'est retranchée sur la dévotion, la philosophie, la chimie et le bel esprit dans un très petit cercle de gens, à faute de mieux.

13 décembre 1719.

1620. Nangis et Pezé.

(Page 25.)

Nangis, avec une aimable figure dans sa jeunesse, le jargon des femmes et du grand monde, une famille qui ellemême formoit le grand monde, sans esprit et sans talent pour la guerre, mais une valeur brillante et les propos d'officier, une ambition de toutes les sortes et de cette espèce de gloire envieuse qui se perd en bassesses pour arriver, a longtemps fait une figure flatteuse et singulière par l'élévation de ses heureuses galanteries, et par le vol des femmes, du courtisan et de l'officier. Ce groupe tout ensemble forma un nuage qui le porta longtemps avec éclat, mais qui, dissipé par l'âge et par les changements, laissa voir le tuf et le squelette. Il avoit le régiment d'infanterie du Roi qui sous le feu Roi étoit un emploi de grande faveur, et qui sembloit devoir mener à la fortune par les distinctions et l'affection singulière qu'il donnoit à ce régiment par-dessus tout autre, et par les privances attachées à l'état du colonel qui travailloit directement avec le Roi sur tous les détails de ce corps, où nul inspecteur ni le secrétaire d'État de la guerre n'avoient rien à voir. Après la mort du Roi, l'âge de son successeur et l'incertitude du goût et du soin qu'il prendroit de ce régiment dégoûtèrent Nangis. Il aima mieux le vendre, quoiqu'il ne lui eût rien coûté. Il en eut la permission du Régent; le duc de Richelieu eut l'agrément de l'acheter; le marché fut fait et convenu; mais lorsqu'il fallut payer, l'héritier du grand Armand se trouva court, et les paroles de part et d'autre furent rendues. Les

choses en étoient là depuis plusieurs mois sans que Nangis eût trouvé marchand, lorsque Pezé se présenta. C'étoit un gentilhomme des plus simples, du pays du Maine, parent éloigné du maréchal de Tessé par la généalogie, mais tout au plus près par la galanterie. Il avoit eu une mère que le maréchal avoit trouvée aimable. Pezé étoit un cadet; il en prit un tendre soin et le mit page de Mme la duchesse de Bourgogne de fort bonne heure, dont il étoit premier écuyer. Courtarvel, frère aîné de Pezé, avoit du bien, mais pour lui tout seul, et plantoit ses choux chez lui. Leur grand-père avoit épousé la fille aînée d'Artus de Saint-Gelais, seigneur de Lansac, et d'une fille du maréchal de Souvré, dont la famille s'étoit crue heureuse de se défaire honnêtement de la sorte par les disgrâces de son corps, et le mari qui la prit s'estima très honoré d'une telle occasion de faire cette alliance. L'autre fille de M. et de Mme de Lansac épousa Louis de Prye, seigneur de Toucy, et de ce mariage vint Mme de Bullion, grand'mère de Fervacques, chevalier du Saint-Esprit en 1724, et Mme la maréchale de la Motte, laquelle étoit ainsi cousine germaine du père de Pezé dont il s'agit ici, et lui par conséquent issu de germain des duchesses d'Aumont, de Ventadour et de la Ferté, filles de la maréchale. Cette alliance si proche le tira du régiment des gardes, où il étoit entré en sortant de page, et le fit gentilhomme de la manche du Roi. C'étoit un jeune homme plein d'esprit, de manége, de finesses, d'adresses, de ressources dans l'esprit, liant et agréable, et d'une ambition qui lui fit trouver toutes sortes de talents pour arriver à la plus haute fortune. Il fit si bien, qu'il persuada au monde que le Roi l'avoit pris en amitié, et que cette raison le fit compter, lui acquit des amis considérables et à qui il ne manqua jamais en aucun temps, et lui fraya le chemin à tout. Lorsque, à la mort de Mme la duchesse de Berry, on donna la Meute au Roi comme un jouet pour l'amuser, Pezé prévoyant que cette petite maison pourroit prospérer avec les années, en desira le gouvernement et l'obtint par le duc de Saint-Simon, ami intime du duc d'Humières de tous temps, lequel l'engagea à procurer cette grâce. De là, Pezé pensa au régiment du Roi comme à une autre sorte de germe de fortune, et ce fut encore M. de Saint-Simon qui lui en fit obtenir l'agrément. Nangis se trouva choqué qu'il fût donné avant que le marché fût convenu, et ne voulut plus vendre. Pezé ne se le tint pas moins de ce procédé, et demanda si son argent n'étoit pas d'un aussi bon aloi que celui de M. de Richelieu. L'affaire se tourna de travers, et M. le duc d'Orléans, qui ne vouloit blesser ni l'un ni l'autre, mais qui aimoit mieux Pezé que Nangis, traîna tant qu'il put et s'exposa aux cris de la vieille maréchale de Rochefort, grand mère de Nangis et dame d'honneur de Mme la duchesse d'Orléans dès son mariage. Tant fut procédé que Nangis en eut à peu près le même prix dont il étoit convenu avec M. de Richelieu, et attrapa en sus pour pot de vin un gouvernement de quinze mille livres de rente, avec quoi encore il fit le mécontent, et lui et Pezé n'ont jamais été bien ensemble. L'un est devenu pour rien chevalier d'honneur

de la Reine, qui est son vrai ballot, sans discontinuer de servir, et chevalier de l'Ordre en 1728; l'autre a montré des talents et une capacité à la guerre d'Italie qui le portoit à tout, et qui l'ont fait regretter, malgré l'envie extrême, de tous les généraux et de toutes les troupes. Il est mort lieutenant général et déclaré en chapitre chevalier de l'Ordre, des blessures qu'il reçut en se distinguant infiniment à la bataille de Guastalle en 1735, à la porte des plus grands honneurs, et arrivé en très peu de temps déjà à de forts grands, et tels qu'il ne les eût jamais espérés dans les premiers temps de sa vie. Il avoit épousé une fille et sœur des Beringhen, premiers écuyers, dont il demeura veuf, et n'a laissé que deux filles, et pour tout ajouter extrêmement riches.

1621. Pezé souffleté par le jeune Roi.

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(Page 28.)

26 mai 1720. Le Roi avoit dix ans, mais élevé et tenu de façon qu'il étoit encore bien plus jeune que son âge. On a ci-dessus parlé de Pezé assez pour n'avoir pas besoin d'y ajouter. Il crut pouvoir hasarder avec un enfant, et il se trouva que cet enfant sentit, et en enfant, qu'il étoit son maître. Au lieu d'étouffer ce soufflet comme une plaisanterie, et puis avertir le Roi tête à tête de ce qu'il y avoit à lui dire là-dessus, le maréchal de Villeroy, toujours à gauche et ravi de faire montre de son autorité, chaussa le cothurne, harangua, et força le Roi à faire excuse à Pezé, on dit même en termes ridicules dans la bouche d'un Roi qui n'est pas d'âge à le faire parce qu'il le veut. Le Roi pleura et fut outré. Il fut longtemps à ne revenir point pour Pezé, et à ne le traiter comme les autres que pour n'être pas grondé, et Pezé, affligé au dernier point de la chose, et au désespoir de la suite, ne fut occupé qu'à en étouffer tout ce qu'il put, et il eut l'adresse de se maintenir dans l'opinion de faveur du Roi, dans l'esprit de la cour et du monde, qui lui servit plus que tout à sa fortune. Toutefois on a cru certain que jamais le Roi ne l'a aimé depuis cette aventure, et qu'il apprit sa blessure, ses suites et sa mort de manière à confirmer dans cette opinion.

1622. Monsieur de Saint-Abre.

(Page 29.)

18 janvier 1720. - Saint-Abre étoit un vieux libertin, qui avoit été bien fait et qui avoit aimé et été bien traité des dames. Il aimoit encore mieux la table sans être ivrogne, avec de l'esprit et des saillies qu'il ne retenoit pour rien; libertin d'esprit comme de corps, s'étoit battu plus d'une fois en sa vie; plein d'honneur et d'un commerce très sûr. Ces qualités l'avoient initié dans ce qu'il y avoit de meilleur et de plus brillant dans le monde, sans en avoir jamais voulu faire d'autre usage

que d'être en bonne compagnie et se divertir. Il n'avoit jamais voulu se lier au service, et avoit servi presque toute sa vie volontaire, aide de camp, puis avec le premier général ou officier général de ses amis qui l'emmenoit. Il étoit extrêmement bien et familier avec feu Monsieur le Duc et feu MM. les princes de Conti, avec qui il alla en Hongrie, intimement avec M. de la Rochefoucauld le favori, et encore mieux avec ses enfants. Sa femme étoit de la branche de Bayers, qui est avouée par eux pour être de la Rochefoucauld, fort bien encore avec tous les Bouillons. Son nom étoit la Cropte, de fort anciens gentilshommes du Limousin, dont étoit la mère de cette demoiselle de Limeuil d'une branche de la Tour que MM. de Bouillon n'ont osé désavouer, quoiqu'ils en aient désavoué d'autres aussi certaines, depuis qu'ils sont princes, mais qui subsistent; Mlle de Limeuil, dis-je, si connue dans l'histoire pour être accouchée à Lyon du fait du prince de Condé, tué à Jarnac, dans la garde-robe de Catherine de Médicis, qui par elle, tiroit les secrets du prince, mais qui la chassa parce qu'elle ne put soutenir le bruit étrange de ce scandale d'un accouchement si mal placé. SaintAbre étoit souvent en province, avoit peu d'ordre et de soin dans ses affaires, veuf et point de garçons, avec deux filles qui le faisoient enrager, et lui elles, et une troisième qu'il aimoit fort et qu'il maria de la sorte pour l'aider à débrouiller son fait et avoir de quoi vivre. Il ne mourut que longtemps après, toujours avec la meilleure compagnie, et toujours de très bonne compagnie lui-même, et fort plaisant sur la cour, les ministres et les favoris, où il n'alloit jamais, excepté M. de la Rochefoucauld. Il a été si connu dans le monde qu'on a cru en devoir dire ce mot. Il eut une vraie singularité, c'est que, voyant très souvent M. de Lauzun, il le tenoit de court comme un petit garçon.

1623. Les cardinaux de la promotion de décembre 1719.

(Page 41.)

10 décembre 1719. - Presque tous les cardinaux de cette promotion méritent qu'on les fasse connoître. Il n'y a que Spinola, nonce à Vienne, Pereira de la nomination de Portugal, et Althann, frère du favori de l'Empereur et nommé par lui, qui soient dans l'ordre ordinaire; des six autres il en faut parler en leur rang.

Gesvres avoit plus de soixante ans, et il y en avoit plus de trente qu'il couroit infatigablement après le cardinalat. Le goût lui en étoit venu à Rome par celui qu'Innocent XI Odescalchi avoit pris pour lui. Il l'avoit fait son camérier d'honneur; le nouveau prélat sut lui plaire et à toute la cour de Rome; il en prit si bien toutes les manières qu'il ne s'en est jamais défait depuis, soit habitude ou politique. Tout lui rioit à Rome, et il y passoit pour un de ceux qui touchoient de plus près à la pourpre, lorsque les démêlés avec le Roi pour les franchises vinrent au point que tous les François furent rappelés, et que M. de Lavardin fit cetle étrange ambassade à Rome, où le pape l'excommunia

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