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toutes sortes de recherches historiques, et qu'avec beaucoup de soins, de frais, et de voyages qu'il avoit faits exprès, il avoit ramassé un très grand nombre de portraits, de ce qui en tout genre, et en hommes et en femmes, avoit figuré en France, surtout à la cour, dans les affaires et dans les armées, depuis Louis XI, et de même, mais en beaucoup moindre quantité, des pays étrangers', que j'avois souvent vus chez lui en partie2, parce qu'il y en avoit tant qu'il n'avoit pas pu les placer, quoique dans une maison fort vaste où il logeoit seul vis-à-vis des Incurables3; que Gaivendu aux Soubise, Gaignières dut déménager et alla s'installer, avec ses collections, dans une maison de la rue de Sèvres (ci-après); ce fut là qu'il mourut le 27 mars 1715. Quand il avait perdu son petit gouvernement à la mort de Mlle de Guise, le duc d'Orléans, nouveau possesseur de la principauté, l'avait indemnisé par le don d'une rente viagère de mille livres (Archives nationales, Y 267, fol. 354, 7 août 1696).

1. Saint-Simon ne parle que des portraits gravés ou dessinés, dont la liste figure dans la Bibliothèque historique du P. Lelong, tome IV, appendice, p. 110-133; H. Bouchot a donné en 1891 le Catalogue de ceux qui existent à la Bibliothèque nationale. Gaignières avait en outre réuni une quantité considérable de documents originaux relatifs à l'histoire et à la généalogie des familles, et fit copier et reproduire d'innombrables inscriptions, épitaphes, monuments, etc. Voyez L. Delisle, le Cabinet des manuscrits, tome I, p. 335-356, les articles de G. Duplessis dans la Gazette des Beaux-Arts (1870) et dans les Nouvelles archives de l'art français, années 1874 et 1875, ceux de Ch. de Grandmaison dans la Bibliothèque de l'École des Chartes, années 1890 à 1892, où ont été publiés de très curieux documents, et l'Histoire du Dépôt des affaires étrangères, par Armand Baschet, p. 148-154.

2. Nous avons eu occasion de signaler les relations de Saint-Simon avec Gaignières et les communications ou récits que celui-ci avait dû lui faire voyez nos tomes II, p. 189, note 1, 317, note 1, 370, note 6, III, p. 170, note 4, VI, p. 468, note, VII, p. 535, VIII, p. 644 et 657658, XI, p. 97, note 2, etc.

3. Ce n'est qu'en 1701 que Gaignières quitta l'hôtel de Guise pour aller s'installer rue de Sèvres, dans cette maison en face de l'hôpital des Incurables, qu'il avait fait bâtir dans la prévision de son départ de l'hôtel de Guise. Ch. de Grandmaison (Bibliothèque de l'École des Chartes, 1890, p. 611-613) a publié de curieux renseignements sur la

gnières, en mourant, avoit donné au Roi tout ce curieux amas'. Le cabinet du Roi aux Tuileries avoit une porte qui entroit dans une belle et fort longue galerie, mais tout nue. On avoit muré cette porte; on avoit fait quelques retranchements de simples planches dans cette galerie, et on y avoit mis les valets du maréchal de Villeroy. Je proposai donc à Monsieur de Fréjus de leur faire louer des chambres dans le voisinage, à quoi mille francs auroient été bien loin, d'ouvrir la porte de communication du Roi, et de tapisser toute cette galerie de ces portraits de Gaignières, qui pourrissoient peut-être dans quelque gardemeuble; de dire aux précepteurs des petits garçons qui venoient faire leur cour au Roi de parcourir un peu ces personnages dans les Histoires et les Mémoires, et de dresser avec soin leurs pupilles à les connoître assez pour en pouvoir d'abord dire quelque chose, et ensuite avec plus de détail, pour en causer les uns avec les autres, en suivant le Roi dans cette galerie, en même temps que Monsieur de

construction de cette demeure vaste et commode, que Germain Brice a décrite dans l'édition de 1713 de sa Description de Paris, tome III, p. 116 et suivantes. G. Duplessis en a reproduit une vue cavalière dans les Nouvelles Archives de l'art français, année 1874-75. — Il a été déjà parlé de l'hôpital des Incurables dans notre tome III, p. 32.

1. Ce n'est pas en mourant, mais quatre ans plus tôt, par contrat notarié du 19 février 1711, que Gaignières avait fait donation au Roi de ses collections, en s'en réservant la jouissance sa vie durant, et moyennant une rente viagère de quatre mille livres, quatre mille francs comptant et vingt mille francs payables à sa mort à qui il désignerait dans son testament. On trouvera à l'appendice II du présent volume le texte de ce document. C'est Torcy qui avait négocié cette acquisition : voyez ce qu'il en dit dans son Journal publié par Frédéric Masson, p. 232 et 383. Une lettre de Gaignières à ce ministre, du 2 septembre 1711, est dans le volume France 1181, fol. 186. Coulanges écrivait à Gaignières le 17 mars 1711 (Lettres de Mme de Sévigné, tome X, p. 539) « Votre cabinet mérite bien l'immortalité, et, pour y parvenir, vous ne pouviez mieux faire que de le joindre à celui de Sa Majesté. »

2. Dans le bâtiment qui longeait le quai des Tuileries.

Fréjus en entretiendroit le Roi plus à fond; que de cette manière il apprendroit un crayon' de suite d'histoire, et mille anecdotes importantes à un roi, qu'il ne pouvoit tirer aisément d'ailleurs; qu'il seroit frappé de la singularité des figures et des habillements, qui l'aideroient à retenir les faits et les dates de ces personnages; qu'il y seroit aiguisé par l'émulation des enfants de sa cour les uns à l'égard des autres, et la sienne à lui-même de savoir mieux et plus juste qu'eux; que le christianisme ni la politique ne contraindroient en rien sur la naissance, la fortune, les actions, la conduite de gens morts, eux et tout ce qui a tenu à eux, et que par là, peu à peu, le Roi apprendroit les services et les desservices, les friponneries, les scélératesses, comment les fortunes se font et se ruinent, l'art et les détours pour arriver à ses fins, tromper, gouverner, museler3 les rois, se faire des partis et des créatures, écarter le mérite, l'esprit, la capacité, la vertu, en un mot les manéges des cours dont la vie de ces personnages fournit des exemples de toute espèce ; conduire cet amusement jusque vers Henri IV; alors piquer le Roi d'honneur en lui faisant entendre que ce qui regarde les personnages au-dessous de cet âge ne doit plus être que pour lui, parce qu'il en existe encore des familles et des tenants, et, tête à tête, les lui dévoiler; mais, comme il

1. Une esquisse, un résumé, un aperçu. « Crayon, disait le Dictionnaire de l'Académie de 1718, se prend aussi pour la première idée, le plan grossier d'un tableau qu'on trace avec du crayon; il se dit aussi figurément des ouvrages d'esprit. » Nous avons eu déjà dans le tome XXVII, p. 215 « un crayon à changer en tableau ». On en trouve des exemples dans Corneille, Molière, Retz, Bossuet, etc.

2. Tome XI, p. 364.

3. Tome XXVIII, p. 126.

4. Il y a fournissent, au pluriel par mégarde, dans le manuscrit. 5. « On dit d'un homme qui va souvent dans une maison, et qui y est comme le maître, qu'il est le tenant » (Académie, 1718), et c'est dans ce sens que nous avons déjà rencontré ce mot dans le tome XXVIII, p. 192; ici, c'est plutôt le sens d'allié, de parent par alliance. Comparer la locution usuelle tenants et aboutissants.

s'en trouve quantité aussi de ceux-là dont il ne reste plus rien, les petits garçons y pourroient être admis comme aux précédents; enfin, que cela mettroit historiquement dans la tête du Roi mille choses importantes, dont il ne sentiroit que les choses, sans s'apercevoir d'instruction, laquelle seroit peut-être une des plus importantes qu'il pût recevoir pour la suite de sa vie, dont la vue de ces portraits le feroit' souvenir dans tous les temps, et lui acquerroit de plus une grande facilité pour une étude plus sérieuse, plus suivie et plus liée de l'histoire, parce qu'il s'y trouveroit partout avec gens de sa connoissance depuis Louis XI, et cela sans le dégoût du cabinet et de l'étude, et en se promenant et s'amusant2. Monsieur de Fréjus me témoigna être charmé de cet avis, et le goûter extrêmement. Toutefois il n'en fit rien, et dès lors je compris ce qui arriveroit de l'éducation du Roi, et je ne parlai plus à Monsieur de Fréjus de portraits ni de galerie, où3 les valets du maréchal de Villeroy demeurèrent tranquille

ment.

Il témoignoit à Pezé beaucoup d'amitié. Pezé, qui me voyoit fort en liaison avec lui, me proposa de chercher à le faire cardinal; si de lui-même, ou si le prélat lui en avoit laissé sentir quelque chose, je ne l'ai point démêlé. C'étoient deux hommes extrêmement propres à s'entendre et à se comprendre sans s'expliquer. Pezé vouloit que ce fût à l'insu de M. le duc d'Orléans; car, la chose ne pouvant s'acheminer promptement, l'abbé Dubois pouvoit croître en attendant, peut-être quelque autre, qui auroient barré Fréjus. Réflexion faite, je crus pouvoir tâter le pavé, et me conduire suivant ce que je trouverois. On a vu ici

1. Ici encore il y a dans le manuscrit feroient, au pluriel, par inad

vertance.

2. Feuillet de Conches a parlé de ce projet de Saint-Simon dans les Causeries d'un curieux, tome II, p. 455 et suivantes.

3. Toute la fin de la phrase a été ajoutée dans le blanc restant à la fin du paragraphe, et sur la marge.

Je m'engage à travailler à faire

Fréjus cardinal.

Grâces

pécuniaires

en son lieu l'étroite liaison où j'avois été avec le nonce Gualterio'. Depuis sa promotion au cardinalat et son départ tout de suite, nous étions en usage de nous écrire toutes les semaines, et assez souvent en chiffre2. Je le dis à Pezé, et que je sonderois le gué par cette voie, non que le cardinal Gualterio fût en crédit à Rome bastant pour s'en servir; mais il étoit fort au fait de tout, et propre à indiquer et à conduire. Cette menée dura plusieurs mois sans beaucoup de moyens ni d'apparence, jusqu'à ce que Pezé me pria de la part de Fréjus d'abandonner l'affaire, qu'il avoit reconnue impossible à cacher au Régent jusqu'au bout, et qui pourroit lui tourner à mal. Le rare est que jamais il ne m'en a parlé qu'une fois unique, qui fut pour me dire lui-même ce que Pezé m'avoit dit de sa part, et me remercier à merveilles, sans jamais m'en avoir parlé ni devant ni après, ni moi à lui. Cela néanmoins serra la liaison de sorte qu'il me parloit de tout très libre ment, et qu'il a continué depuis jusqu'à sa mort la même ouverture sur les gens, les choses, les affaires à un point qui me surprenoit toujours, d'autant plus que ce n'étoient jamais que récits ou dissertations, sans me demander mon avis sur rien ni encore moins d'envie de m'approcher ni des affaires ni de la cour, à quoi je lui donnois beau jeu par n'en avoir pas plus d'envie que lui. Ce court récit suffit maintenant. Il servira à éclaircir bien des choses qu'il n'est pas encore temps de raconter.

Le duc de Brancas eut une pension, de l'argent comptant, un logement à Luxembourg'. Béthune, chef d'escadre, eut

1. Tomes VII, p. 19, XIII, p. 110-112, XX, p. 290, etc.

2. Voyez en dernier lieu au tome XXIV, P. 6.

3. « On dit figurément sonder le gué, pour dire faire quelque tentative sous main dans une affaire, pressentir les dispositions où peuvent être ceux dont elle dépend » (Académie, 1718).

4. Au sens de propre à, de suffisant.

5. Avant me il a biffé un second jamais.

6. Comparez tome XXXIV, p. 314.

7 Dangeau annonce ces grâces le 15 décembre, p. 184, en termes

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