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tré au conseil de régence. M. le duc d'Orléans, soutenu de Monsieur le Duc, y parla bien, parce qu'il ne pouvoit parler mal, même dans les plus mauvaises thèses. Personne ne dit mot, et on ploya les épaules. Il fut résolu de la sorte d'envoyer le lendemain, 17 juillet, l'édit au Parlement.

Ce même jour 17, au matin, il y eut une telle foule à la Banque et dans les rues voisines, pour avoir chacun de quoi aller au marché, qu'il y eut dix ou douze personnes étouffées. On porta tumultuairement trois de ces corps morts à la porte du Palais-Royal, où le peuple vouloit entrer à grands cris. On y fit promptement marcher un détachement des compagnies de la garde du Roi des Tuileries. La Vrillière et le Blanc haranguèrent séparément ce peuple. Le lieutenant de police y accourut; on fit venir des brigades du guet. On fit après emporter les corps morts, et par douceur et cajoleries on vint enfin à bout de renvoyer le peuple, et le détachement de la garde du Roi s'en retourna aux Tuileries. Sur les dix heures du matin, que tout cela finissoit, Law s'avisa d'aller au Palais-Royal; il reçut force imprécations par les rues. M. le duc d'Orléans ne jugea pas à propos de le laisser sortir du Palais-Royal, où, deux jours après, il lui donna un 16, comme il a été dit ci-dessus. Dès le 13, le Chancelier parla de l'édit relatif à la Compagnie des Indes, et le 16 la réunion eut lieu à neuf heures du matin, et non pas jusqu'à neuf heures du soir. Mathieu Marais (p. 321-323) donne un récit intéressant de l'assemblée du 13.

1. Sur cette émeute du 17 juillet, il faut voir les relations de Buvat, qui se trouva dans la bagarre (Journal, tome II, p. 105-108), de l'avocat Barbier (p. 48-50), des Mémoires de Mathieu Marais, p. 327-330, du Journal de Dangeau, p. 322-323, et aussi ce que racontent Madame, qui vint à Paris ce jour-là (Correspondance, recueil Brunet, tome II, p. 253-255), et les Correspondants de Mme de Balleroy, p. 183-184. Notre Gazette n'en souffla mot; mais la Gazette d'Amsterdam (no LX et Extraordinaire) et celle de Rotterdam (no Lx) furent plus prolixes. Depuis plusieurs jours, il y avait de graves désordres à la Banque, où des gens étaient étouffés dans la foule ou tués par les gardes qui voulaient remédier à la presse.

logement'. Il renvoya son carrosse, dont les glaces furent cassées à coups de pierre2. Son logis en fut attaqué aussi avec grand fracas de vitres. Tout cela fut su si tard dans. notre quartier des Jacobins de la rue Saint-Dominique, qu'il n'y avoit plus apparence de rien quand j'arrivai au Palais-Royal, où M. le duc d'Orléans, en très courte compagnie, étoit fort tranquille, et montroit que ce n'étoit pas lui plaire que de ne l'être pas. Ainsi, je n'y fus pas longtemps, n'y ayant rien à faire ni à dire.

Ce même matin, l'édit fut porté au Parlement; il refusa de l'enregistrer, et envoya les gens du Roi à M. le duc d'Orléans pour lui rendre compte de leurs raisons3, lequel demeura fort piqué de ce refus. On publia le lendemain par la ville une ordonnance du Roi, portant défense au peuple de s'assembler, sous de grandes peines, et que, à cause des inconvénients arrivés la veille à la Banque, on n'y donneroit point d'argent et qu'elle seroit fermée jusqu'à nouvel ordre. On fut plus heureux que sage; car de quoi vivre en attendant? Et si rien ne branla, ce qui marque

1. Il logea chez Coche, concierge du Palais-Royal et premier valet de chambre du Régent, et mangea chez Mme de Nancré; il y resta dix jours sans sortir (Mathieu Marais, p. 329-330; Journal de Barbier, p. 50).

2. Une estampe de la collection Hennin, 1720, p. 25, représente le carrosse du financier « réduit en cannelle » par la populace.

3. L'avocat Barbier dit au contraire (p. 48 et 50) que « le Régent avoit peur; ... il s'habilloit pendant ce fracas; il étoit blanc comme sa cravate et ne savoit ce qu'il demandoit. »>

4. Après ce mot, Saint-Simon a biflé l'après disné.

5. Dangeau, p. 322. Après une longue délibération, dont le greffier Delisle nous a conservé les principaux traits (reg. U 363), la cour décida à la quasi-unanimité que « le Roi seroit très humblement supplié de vouloir bien la dispenser de l'enregistrement de cet édit. »

6. L'ordonnance, du 17 juillet, ne spécifiait pas de peine spéciale, mais menaçait les contrevenants « d'être punis comme perturbateurs du repos public suivant la rigueur des ordonnances » ; le paiement des billets était suspendu seulement à la Banque, et continuait chez les commissaires de quartiers qui y avaient déjà procédé les jours précédents. 7. Et cependant.

Le Parlement refuse d'enregistrer l'édit. Ordonnance du Roi étrange.

Précautions, troupes approchées de Paris.

Conférences

au

Palais-Royal"

entre M. le duc d'Orléans

et moi.

1

bien la bonté et l'obéissance de ce peuple qu'on mettoit à tant et de si étranges épreuves2.

On fit néanmoins venir des troupes auprès de Charenton, qui étoient à travailler au canal de Montargis, quelques régiments de cavalerie et de dragons à SaintDenis, et le régiment du Roi sur les hauteurs de Chaillot*. On envoya de l'argent à Gonesse, pour faire venir les boulangers comme à l'ordinaire, de peur de leur refus de prendre des billets, comme faisoient presque tous les marchands et les ouvriers de Paris, qui ne vouloient plus recevoir de papier. Le régiment des gardes eut ordre de se tenir prêt, et les mousquetaires de ne s'éloigner point de leurs deux hôtels et de tenir leurs chevaux bridés. Ce même jour du refus du Parlement d'enregistrer l'édit, je fus mandé au Palais-Royal sur les cinq heures après midi. M. le duc d'Orléans m'apprit la plupart des choses faites ou résolues qui viennent d'être rapportées, se plaignit fort de la mollesse du Chancelier avec le Parlement et dans les conférences chez lui avec les députés de cette Compagnie; et de là force reproches de l'embarras où je le mettois par mon opiniâtreté à ne vouloir point

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1. Bonté est répété deux fois, à la fin d'une ligne et au commencement de la suivante.

2. Les contemporains s'étonnent, comme Saint-Simon, de la patience des Parisiens. Au rapport de Jean Buvat (p. 108), Law aurait dit quelques jours auparavant que les Anglais ne criaient pas, mais qu'ils mordaient, tandis que les Français criaient beaucoup, mais ne mordaient pas.

3. Ce canal, qui longe le Loing de Montargis à Moret, était destiné à joindre à la Seine les canaux de Briare et d'Orléans, sans emprunter le cours du Loing, devenu difficilement navigable. Il avait été commencé depuis peu par ordre du Régent. Trois régiments d'infanterie y travaillaient alors, dont Champagne et Royal-marine.

4. Dangeau, p. 323; Barbier, p. 51.

5. Copie de l'article du Journal de Dangeau du 19 juillet, p. 324 ; Barbier dit de même.

6. Ces trois derniers mots ont été ajoutés en interligne.

*Après ce mot, Saint-Simon a biffé Insolence de Silly.

des sceaux. Je lui répondis qu'avec sa permission je pensois tout autrement. « Comment, m'interrompit-il vivement, me ferez-vous accroire que vous auriez été aussi mou que le Chancelier, et que vous ne leur eussiez pas fait peur ? Ce n'est pas cela, repris-je; mais vous n'ignorez pas à quel point je suis avec le premier président, et que je ne suis pas agréable au Parlement depuis la belle affaire du bonnet, où votre mollesse et votre peur du Parlement, vous qui aujourd'hui la reprochez aux autres, nous a mis dans la fange, et vous dans le bourbier, par l'audace et l'intérêt du Parlement, du premier président et de leur cabale, après qu'ils ont eu reconnu par là, dès l'entrée de votre régence, à qui ils avoient affaire et comment vous manier; aussi s'y sont-ils donné ample carrière. Vous les aviez abattus par le lit de justice des Tuileries; vous ne l'avez pas soutenu; cette conduite leur a remis les esprits, et la cabale tremblante a repris force et vigueur. Cette courte récapitulation ne seroit pas inutile, si à la fin vons en pouviez et saviez profiter. Mais revenons à moi et aux sceaux. Persuadez-vous, Monsieur, que, si ces gens-là se montrent si revêches à un magistrat nourri dans leur sein, qui est leur chef et leur supérieur naturel, qu'ils aiment et dont ils se savent aimés, persuadezvous, dis-je, qu'ils se seroient montrés encore plus intraitables avec un supérieur précaire, regardé par eux comme un supérieur de violence, sans qualité pour l'être, revêtu d'une dignité qu'ils haïssent et qu'ils persécutent avec la dernière audace et la plus impunie; homme d'épée, qui est leur jalousie et leur mépris tout à la fois, et homme que personnellement ils haïssent et dont ils se croient haïs. Ils auroient pris pour une insulte d'avoir à traiter avec moi; leur cabale auroit répandu cent mauvais discours; les députés, par leurs propos, auroient exprès excité les miens, et tout le monde vous auroit reproché et la singularité d'un garde des sceaux d'épée, et le mauvais choix d'une manière d'ennemi pour travailler à une conciliation.

Voilà ce qui en seroit résulté, c'est-à-dire un bien plus grand embarras pour vous, et un très désagréable pour moi. Ainsi, n'ayez nul regret à mon refus. Tenez-le, au contraire, pour un avantage, qui vous est clairement démontré par l'occasion présente, et ne regrettez que de n'avoir pas eu sous la main un magistrat estimé, royaliste et non parlementaire, à faire garde des sceaux; mais, cela ne s'étant pu trouver, vous avez fait la seule chose naturelle à faire, en rappelant et rendant les sceaux au Chancelier, et à un homme de ce mérite et de cette réputation, puisque, pour d'autres raisons, vous les avez voulu ôter à celui qui les avoit, et qui étoit votre vrai homme, tel qu'il vous le falloit dans les circonstances présentes, et, pour le bien dire, au vol que le Parlement a pris et veut prendre de plus en plus, l'homme pour qui les sceaux étoient le plus faits pendant une régence. Mais il faut partir d'où on est: avez-vous quelque plan formé pour sortir bien du détroit où vous êtes? Il faut laisser le passé, et voir ce qu'il y a à faire. >>

M. le duc d'Orléans demeura muet sur les sceaux, se rabattit encore sur le Chancelier, et me dit qu'il ne voyoit autre chose à faire que d'envoyer le Parlement à Blois. Je lui dis que cela étoit bon faute de mieux, non que j'imaginasse ce mieux, mais que je voyois avec peine que, par cet exil, le Parlement étoit puni, mais n'étoit ni ramené ni dompté. Le Régent en convint; mais il espéra que ces magistrats, accoutumés à Paris dans leurs maisons, leurs familles, leurs amis, se lasseroient bientôt d'en être séparés, se dégoûteroient de n'être plus qu'entre eux, s'ennuieroient encore plus de la dépense de l'éloignement de chez eux, et de la diminution du sac1 par celle des affaires, qui suivroit nécessairement leur transplantation. Cela étoit vrai, et, comme on ne pouvoit autre chose, il falloit bien s'en contenter. Je lui proposai ensuite de bien exa1. C'est-à-dire, des profits et des épices des procès; on sait que les pièces se mettaient dans des sacs.

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