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à Saint-Abre', qui, moyennant cette somme, lui céda le [Add S-S. 1622] gouvernement de Salces, en Languedoc, qu'il avoit2. Il étoit de dix mille livres d'appointements; il fut mis à seize mille livres en même temps pour Nangis, qui, outre3 sa pension de six mille livres comme colonel du régiment du Roi, qui lui fut conservée, en eut une autre pour son frère, le chevalier de Nangis, de quatre mille, qui étoit capitaine de vaisseau. Saint-Abre eut par le marché une pension du Roi de cinq mille livres, dont deux mille livres furent assurées à une de ses filles après lui3. Ainsi Nangis tira plus de quinze mille livres de rente de ce qui ne lui avoit jamais rien coûté et qu'il desiroit de vendre, et avec cela fut assez sot pour m'en bouder toute sa vie, et fit le mécontent. Aussi lui et Pezé n'ont jamais été bien ensemble.

1. Jean-Isaac-François de la Cropte, seigneur de Saint-Abre, avait eu le gouvernement de Salces en 1674, à la mort de son cousin, tué à la bataille de Sinzheim. Il avait épousé en mars 1677 une La Rochefoucauld-Bayers, dont il était veuf. Il mourut en mars 1727. Notre auteur a donné quelques détails curieux sur M. de Saint-Abre, dans l'Addition indiquée ci-contre, no 1622.

2. La petite ville fortifiée de Salces, en Roussillon, et non en Languedoc, appartenait à la France depuis 1653; elle est située à quatre lieues au Nord de Perpignan, sur les bords d'un étang qui communique avec celui de Leucate. Le gouvernement valait dix mille livres de rente (Mémoires de Luynes, tome VII, p. 82), comme Saint-Simon va le dire. Il y a une description de la place dans les Mémoires de Henri de Campion, p. 129.

3. Les mots qui outre et, plus loin, toute la fin de la phrase, depuis en eut, ont été ajoutés en interligne et sur la marge.

4. Pierre-César de Brichanteau (tome XIII, p. 363), qui venait de quitter l'ordre de Malte.

5. Dans l'Addition, indiquée ci-dessus, no 1620, notre auteur avait dit que M. de Saint-Abre avait trois filles, dont deux avec lesquelles il ne s'entendait pas, et une qu'il affectionnait beaucoup et qu'il allait marier au mois de janvier suivant avec l'intendant de Dauphiné, Boucher d'Orsay; c'est en faveur de celle-ci que fut stipulée la réversion de pension. Elle s'appelait Louise-Marie-Françoise de la Cropte. 6. Il faudrait lire vingt-cinq mille.

Ma situation

Nangis, à force de restes mourants de sa figure passée, devint pour rien chevalier d'honneur de la Reine à son mariage, sans cesser de servir, fut' chevalier de l'Ordre, et, quoique sans considération et ayant paru un très ignorant officier général, son ancienneté parmi les autres, pouliée par sa charge, le fit enfin maréchal de France pour ne point servir, et achever sa vie sans considération et comme dans la solitude au milieu de la cour, s'ennuyant et ennuyant les autres, et ne paroissant guères que pour les fonctions journalières de sa charge*. Pezé, au contraire, passé en Italie avec le régiment du Roi, y montra tant de talents naturels pour la guerre, qu'il y saisit d'abord toute la confiance des généraux des armées, et devint en très peu de temps l'âme des projets et des exécutions. Il força par sa valeur et par ses lumières l'envie à lui rendre justice. Il mourut des blessures qu'il avoit reçues à la bataille de Guastalle, avec l'ordre du Saint-Esprit, qui lui fut envoyé en récompense de tout ce qu'il avoit fait en Italie, et il alloit rapidement au commandement en chef des armées comme généralement reconnu le plus capable, à quoi il s'étoit élevé en fort peu de temps1.

Pezé me fait souvenir, et on verra bientôt pourquoi,

1. Fut est en interligne au-dessus d'estre, biffé.

2. Verbe rencontré dans le tome XIV, p. 168, et plusieurs fois depuis.

3. Avant et, il a biffé Pezé, surchargeant Il.

4. M. de Nangis, chevalier d'honneur de la reine Marie Leczinska par provisions de mai 1725 (reg. O1 69, p. 419), chevalier de l'Ordre en janvier 1728 dans la même promotion que Saint-Simon, fut nommé maréchal de France le 11 février 1741, et était mort depuis le 8 octobre 1742.

5. Avant il, Saint-Simon a biffé et lorsqu'.

6. Ci-dessus, p. 25, note 2.

7. L'avocat Barbier, en annonçant sa mort (Journal, édition Charpentier, tome II, p. 518), ne fait pas de M. de Pezé un éloge aussi complet, et prétend qu'il s'était poussé par l'intrigue et la galanterie. 8. Ci-après, p. 37.

que j'ai dépassé le temps où je devois rapporter la situation où Fleury, évêque de Fréjus, et moi étions ensemble '. Ses allures, ses sociétés et les miennes du vivant du feu Roi, furent toujours différentes. Quoique nous eussions des amis communs, il n'y avoit nul commerce entre nous, mais sans aucun éloignement de part et d'autre, et politesse quand nous nous rencontrions. A la fin de son dernier voyage à la cour vers la fin de la vie du feu Roi, je le rencontrai assez souvent chez Mme de Saint-Géran. Il brassoit alors bien sourdement la place de précepteur; il sentit apparemment que je pourrois quelque chose dans la régence que tout le monde voyoit s'approcher de plus en plus par l'état où le Roi paroissoit. Le prélat me parut me rechercher, mais avec adresse, et je répondis avec civilité, mais sans passer les termes de conversations et de plaisanteries générales et indifférentes, et sans nous chercher. Revenu démis de son évêché et précepteur, nous nous trouvâmes occupés tous deux à des choses différentes. Vincennes fit encore une séparation de lieu, et il se passa encore quelques mois après l'arrivée du Roi à Paris sans que nous nous approchassions l'un de l'autre que par des civilités générales et passagères, quand rarement nous nous rencontrions. J'eus lieu de croire que cela ne satisfit pas Monsieur de Fréjus.

On a vu ici toute la part qu'eut Mme de Lévis à le faire précepteur. C'étoit une femme de beaucoup d'esprit, vive à l'excès, toujours passionnée, et ne voyant ni gens ni

1. Il a déjà parlé de son intimité avec Fleury dans le tome XV, p. 201 et suivantes, et plus encore dans le tome XXXIV, p. 314.

2. Françoise-Madeleine-Claude de Warignies, comtesse de SaintGéran tome I, p. 145. Il a déjà été dit (tome V1, p. 50) qu'elle était très liée avec Fleury.

3. Nous avons rencontré brasser, au sens actif, et se brasser, dans les tomes XI, p. 25, XXIV, p. 236, etc.

4. Tomes XXVI, p. 87, et XXVIII, p. 315.

5. Tome XXVI, p. 85-86.

avec

Fleury, évêque de Fréjus, avant

et

depuis qu'il fut

précepteur.

Caractère de Mme

de Lévis.

choses qu'à travers la passion, qui, en bien ou en mal, la possédoit sur les choses et sur les personnes'. Elle s'étoit donc coiffée de Monsieur de Fréjus, en vérité jusqu'à la folie, en vérité aussi en tout bien et honneur; car cette femme, avec tous ses transports d'affection ou du contraire, étoit foncièrement pétrie d'honneur, de vertu, de religion et de toute bienséance. Elle étoit fille du feu duc de Chevreuse, par conséquent intimement mon amie, et de tout temps dans la plus étroite liaison avec Mme de SaintSimon. Causant un soir avec elle, elle se mit sur le propos de Monsieur de Fréjus, et me reprocha que je ne l'aimois point. Je lui en témoignai ma surprise, parce qu'en effet je n'avois nulle raison de l'aimer ni de ne l'aimer pas (le hasard ne me l'avoit point fait rencontrer chez elle dans les derniers temps du feu Roi, où leur amitié se lia, et elle étoit presque la seule personne fort de mes amies qui fût la sienne), et que depuis la Régence, lui et moi, occupés de choses toutes différentes, n'avions point eu d'occasion de nous voir. Cela ne la satisfit pas; elle revint d'autres fois à la charge. Je jugeai donc que c'étoit de concert avec Monsieur de Fréjus, qui de loin vouloit ranger tous obstacles. Je répondis toujours honnêtement pour lui, parce que je n'avois nulle raison de répondre autrement, tellement qu'enfin il m'attaqua de politesse, puis de courte conversation chez le Roi, et, peu de jours après, vint chez moi à l'heure du dîner m'en demander'. De là, il vint assez souvent chez moi, souvent aussi dîner, et je l'allois voir quelquefois les soirs. Il étoit, comme on l'a dit ailleurs3, de bonne conversation et de bonne compagnie, et il avoit passé sa vie dans le monde le plus choisi. A force de nous

1. Comparez le portrait du tome XXXVI, p. 73, à propos de son engouement pour les Belle-Isle.

2. C'est-à-dire me demander à dîner. Saint-Simon, comme tous les grands seigneurs, avait toujours table ouverte pour ses amis; son ordinaire était de douze couverts.

3. Tome VI, p. 49.

voir, les raisonnements sur bien des choses entrèrent dans nos conversations.

Un soir assez tard que j'étois chez lui, quelque temps. après qu'il eut commencé ses fonctions de précepteur, on lui apporta un paquet. Comme il étoit tard, et lui en robe de chambre et en bonnet de nuit au coin de son feu, je voulus m'en aller pour lui laisser ouvrir le paquet. Il m'en empêcha, et me dit que ce n'étoit rien que les thèmes du Roi, qu'il faisoit faire aux jésuites', qui les lui envoyoient. Il avoit raison de prendre ce secours; car il ne savoit du tout rien que grand monde, ruelle et galanterie. Sur ce propos des thèmes du Roi, je lui demandai, comme ne l'approuvant pas, s'il projetoit de lui mettre bien du latin dans la tête. Il me répondit que non, mais seulement pour qu'il en sût assez pour ne l'ignorer pas entièrement, et nous convinmes aisément que l'histoire, surtout celle de France générale et particulière, étoit à quoi il le falloit appliquer le plus. Là-dessus, il me vint une pensée, que je lui dis tout de suite, pour apprendre au Roi mille choses particulières et très instructives pour lui dans tous les temps de sa vie, et en se divertissant, qui ne pouvoient guères lui être montrées autrement. Je lui dis que Gaignières, savant et judicieux curieux, avoit passé sa vie en

1. C'est-à-dire, qu'il faisait corriger par les professeurs jésuites du collège Louis-le-Grand. Nous n'avons pas les cahiers de thèmes du jeune roi; mais il existe encore à la Bibliothèque nationale, mss. Franç. 1755-57 et 2322-25, plusieurs volumes de versions écrites de sa main.

2. François-Roger de Gaignières, né en Nivernais le 30 décembre 1642, était fils d'un secrétaire du duc de Bellegarde et manifesta de très bonne heure un goût prononcé pour l'histoire et spécialement pour les généalogies. Pourvu d'une charge d'écuyer du dernier duc de Guise, mort en 1671, il fut conservé au même titre par la tante de celui-ci, Mlle de Guise, qui lui donna, par provisions du 18 octobre 1679, la charge de gouverneur de sa principauté de Joinville, et l'autorisa à loger dans son vaste hôtel du Marais les collections de pièces originales, estampes, dessins, portraits, etc., qu'il réunissait déjà avec persévérance. Lorsque, après la mort de sa maîtresse, l'hôtel fut

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