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Les Vénitiens

se

raccommodent

avec le Roi, et rétablissent

les Ottobons.

[Add. SS. 1672]

le monde. Il s'étoit tellement accommodé de la vie de ce pays-ci et du commerce des honnêtes gens et des personnes considérables qu'il avoit su s'attirer, qu'il étoit outré de sentir que cela finiroit. Il disoit franchement que, s'il étoit assuré de sa nonciature pour toute sa vie, avec de quoi la soutenir honnêtement, il ne voudroit jamais la quitter pour la pourpre, et s'en aller. Aussi fut-il très affligé, quoique arrivé au cardinalat1 et tout de suite à la légation de la Romagne. Le nouveau cérémonial des bâtards, dont Gualterio s'étoit si mal trouvé, car ils étoient rétablis alors, empêcha que la calotte lui arrivât à Paris. Dès que la promotion fut sur le point de se faire, il reçut ordre de prendre congé, de partir, et d'arriver dans un temps marqué et fort court à Forli, sa patrie3, où il trouveroit sa calotte rouge, comme il l'y trouva en effet ; ce fut en 1730. Il vécut encore plusieurs années, et passa quatre-vingts [ans]. C'étoit un homme très raisonnable, droit, modeste, et qui toute sa vie avoit eu de fort bonnes mœurs.

Les Vénitiens, brouillés depuis longtemps avec le feu Roi, par conséquent avec le Roi son successeur, s'en lassèrent à la fin, et se raccommodèrent en ce temps-ci. Ottoboni, père du pape Alexandre VIII, étoit chancelier de Venise, qui est une grande charge et fort importante, mais attachée à l'état de citadin et la plus haute où les citadins puissent arriver. La promotion de son fils au 1. Dans la promotion d'octobre 1730.

2. Tome XXIV, p. 6-9.

3. Forli, dans la Romagne, au sud de Ravenne, n'était pas le lieu d'origine du cardinal Massei, qui était né à Montepulciano, en Toscane. 4. Il mourut le 20 novembre 1745. Lorsque notre auteur avait parlé de lui dans le récit de l'année 1715 (notre tome XXVI, p. 231), il avait dit qu'il vivait encore.

5. Marc Ottoboni, chargé de missions en France, en Allemagne, en Espagne, en Angleterre et en Pologne, fut élevé à la dignité de grand chancelier de la République en 1639.

6. Voyez l'article que le Dictionnaire de Moréri consacre à la charge de chancelier, tome X, première partie, p. 525.

7. Les citadins ou bourgeois se divisaient en deux classes : ceux qui

pontificat fit inscrire les Ottobons au livre d'or, et par conséquent ils devinrent nobles vénitiens. Le cardinal Ottoboni, après la mort du pape son oncle, accepta la protection de France sans en avoir obtenu la permission du sénat, ce qui est un crime à Venise. De là la colère des Vénitiens, qui effacèrent lui et tous les Ottobons du livre d'or, et le Roi, qui s'en offensa, rompit tout commerce avec eux. On a rapporté cette affaire ici en son temps et ce que c'est que la protection'. On ne fait donc qu'en rafraîchir la mémoire. La République envoya deux ambassadeurs extraordinaires en France faire excuse de ce qui s'étoit passé, et rentrer dans l'honneur des bonnes grâces du Roi, en rétablissant préalablement le cardinal et les Ottobons. dans le livre d'or et dans l'état et le rang de nobles vénitiens, le cardinal demeurant toujours également protecteur de France sans aucune interruption de ce titre ni de ses fonctions.

l'étaient d'origine, c'est-à-dire, qui appartenaient à des familles ayant eu part au gouvernement de l'Etat avant l'établissement du régime aristocratique par le doge Gradenigo en 1289, et ceux qui avaient été agrégés plus tard à la bourgeoisie pour leur mérite ou à prix d'argent.

1. Notre tome XIX, p. 20-22.

2. On écrivait de Rome le 20 avril à la Gazette d'Amsterdam, n° xxxvIII : « L'ambassadeur de Venise reçut par un exprès des dépêches pour le cardinal Ottoboni, avec l'agréable nouvelle que la Sérénissime République avoit remis dans ses bonnes grâces la maison Ottoboni, avec la restitution de tous les revenus qu'elle possédoit dans l'État. » Et de Venise le 4 mai (Extraordinaire XL): « Jeudi au soir, le sénat élut pour ambassadeur extraordinaire à la cour de France le chevalier et procurateur Lorenzo Tiepolo, qui s'y rendra conjointement avec le procurateur Nicolo Foscarini, déjà ci-devant nommé pour la même fonction, afin d'y faire les compliments de condoléance sur la mort du roi Louis XIV, et ensuite de félicitation sur l'heureux avènement à la couronne de Sa Majesté régnante. » Comparez la Gazette de France, p. 237 et 249. Dangeau enregistra la nouvelle les 15 et 18 mai (p. 287 et 289), et c'est là où Saint-Simon la prend. Mais nous ne savons si les ambassadeurs désignés vinrent réellement en France; la Gazette ne mentionne pas leur audience, et c'est seulement en 1723 que PAL

Etat, intrigues, audace des båtards du prince de Montbéliard, qui veulent

être ses héritiers et légitimes. [Add. SS. 1673]

Le prince de Montbéliard, cadet de la maison de Würtemberg1, vint à Paris pour demander que ses enfants fussent reconnus légitimes et princes, quoiqu'il les eût de trois femmes qu'il avoit eues à la fois, dont deux étoient actuellement vivantes et chez lui, à Montbéliard tout contre la Franche-Comté, où il faisoit appeler l'une la douairière et l'autre la régnante, et prétendoit que les lois de l'Empire et les règles du lutheranisme, qu'il professoit, lui permettoient ces mariages. Le comte de la Marck, comme versé dans les lois allemandes, fut chargé manach royal inscrit Marco Morosini comme envoyé de Venise à Paris. La grâce accordée au cardinal Ottoboni eut néanmoins son plein effet.

1. Léopold-Eberhard, prince de Montbéliard, né le 21 mai 1670, succéda à son père le 11 juin 1699 et mourut le 25 mars 1723. SaintSimon a déjà fait allusion à tout ce qu'il va raconter maintenant, dans le tome XXXI, p. 18, et il répétera toute l'histoire en 1723: suite des Mémoires, tome XIX de 1873, p. 110-113.

2. La première de ces femmes, qu'il ne semble pas que le prince ait épousée légitimement, était Anne-Sabine Hedwiger, comtesse de Sponeck; le 6 octobre 1714, il fit dresser par le consistoire luthérien de Montbéliard un acte de divorce entre elle et lui; il en avait eu quatre enfants, dont il survivait alors un fils et une fille, auxquels il attribua le nom de Sponeck. Mais, en même temps, il avait pour concubine Henriette-Hedwige de l'Espérance, mariée au baron de Sandersleben, dont il eut deux fils et trois filles, et qui mourut le 9 novembre 1707. Il prit alors pour maîtresse la sœur de celle-ci, Élisabeth-Charlotte de l'Espérance, qu'il épousa publiquement le 15 août 1718, et dont il eut cinq enfants.

3. Dangeau, p. 290, avec l'Addition indiquée ci-contre. Pour l'historique complet de toute cette affaire des bâtards de Montbéliard, il faut voir les nombreux documents réunis par le procureur général Joly de Fleury, mss. 2050 à 2066 de sa collection à la Bibliothèque nationale, et les cartons K 1743 et 1776 à 1790 du fonds Montbéliard aux Archives nationales. Le Dictionnaire de Moréri, tome X, p. 822-824, a donné un très bon résumé de toutes les péripéties, et Frédéric Bulau les a racontées dans Personnages énigmatiques, histoires mysté– rieuses, traduit de l'allemand en français par William Duckett, 1861. Il en est parlé dans les Mémoires de la baronne d'Oberkirch, tome II, p. 279 et suivantes, et les mémoires contemporains ont parfois mentionné quelques-uns des multiples incidents de l'affaire.

4. Louis-Pierre-Engilbert: tome VII, p. 93.

d'examiner cette affaire avec Armenonville. Qu'une folie de cette nature ait passé par la tête de quelqu'un, il y a de quoi s'en étonner; mais de la faire examiner comme chose susceptible de l'être sérieusement, cela fait voir à quel point le Régent étoit facile à ce qui n'avoit point de contradicteur. M. de Montbéliard, du temps du feu Roi, s'étoit contenté de vouloir faire légitimer ses enfants et en avoit été refusé'; maintenant il veut qu'ils soient non pas légitimés, mais déclarés légitimes. On se moqua de lui, et il s'en retourna chez lui. Qui ne croiroit cette chimère finie? Elle reparut à Vienne avec les mêmes prétentions; elle y fut foudroyée par le conseil aulique, qui déclara tous ces enfants bâtards3. Ce ne fut pas tout. Le

4. Il n'est pas resté trace de cette première prétention; mais, depuis la Régence le prince de Montbéliard avait obtenu : 1o en juin 1716, des lettres de naturalité pour Charles-Léopold, Ferdinand-Eberhard et Éléonore-Charlotte, dits de Sandersleben, enfants de Henriette-Hedwige de l'Espérance, pour leur permettre de posséder des biens en France (Archives nationales, X1A 8716, fol. 286); 2o en février 1718, des lettres de légitimation pour Éberhardine et Léopoldine-Éberhardine dites de Coligny, ses filles naturelles et de la même Henriette-Hedwige, autres lettres confirmatives de l'adoption faite par lui des trois premiers enfants de la même ci-dessus nommés, enfin des lettres approuvant le don qu'il leur avait fait du comté de Coligny et autres terres (registres du parlement de Dijon, archives de la Côte-d'Or, B 12121, fol. 84, 86 et 135); 3o en mai 1719, des lettres patentes accordant le droit de posséder des biens dans le royaume comme régnicoles à Georges-Léopold et Léopoldine-Éberhardine, enfants d'Anne-Sabine de Sponeck, sa première femme, et à Henriette-Hedwige, autre Léopoldine-Éberhardine, Charles-Léopold et Élisabeth-Charlotte, nés de son commerce avec Élisabeth-Charlotte de l'Espérance, qualifiée sa seconde femme (X1A 8722, fol. 69).

2. Le duc de Würtemberg, aîné de la maison (ci-après), ayant réclamé, on répondit de la part du Roi à M. de Montbéliard, que, s'agissant de régler entre deux princes de l'Empire l'état personnel de ses enfants, Sa Majesté n'en pouvait connaître et qu'il devait se pourvoir devant l'Empereur et au conseil aulique.

3. Un rescrit du conseil aulique du 8 novembre 1721 cassa et annula les titres de princes donnés par M. de Montbéliard à ses enfants naturels, et un décret impérial du 8 avril 1723 les déclara exclus de la suc

prince de Montbéliard maria un de ses fils à une de ses filles, sous prétexte que la mère de cette fille l'avoit eue d'un mari à qui il l'avoit enlevée puis épousée, et longtemps après il fut vérifié que cette fille étoit de lui, quoiqu'ils ne l'aient pas avouée et que le mariage ait subsisté1. Après ce sceau de réprobation, M. de Montbéliard

mourut 2.

Le duc de Würtemberg3, à qui ce partage de cadet de sa maison revenoit par l'extinction de cette branche', voulut s'en mettre en possession; les bâtards se barricadèrent et portèrent leurs prétentions au parlement de Paris. Ils cession de leur père comme bâtards (Gazette, p. 208 et 251). En conformité, et à la requête du duc de Würtemberg, deux arrêts du conseil d'État français des 11 septembre 1723 et 8 juin 1725 supprimèrent les titres de prince qui leur avaient été donnés dans les lettres patentes de 1719. On trouvera les arrêts du conseil aulique dans le carton K 1779.

1. M. de Montbéliard conclut, non pas un, mais deux mariages entre ses enfants naturels : le 22 février 1719, il maria Éléonore-Charlotte, dite de Sandersleben, avec Georges-Léopold, comte de Sponeck, et, le 31 août suivant, Charles-Léopold, dit de Sandersleben, avec Léopoldine-Éberhardine de Sponeck.

2. Il mourut le 25 mars 1723, vers huit heures du soir. Le carton K 1775 du fonds Montbéliard aux Archives nationales contient le certificat de son décès, l'inventaire des meubles du château et diverses pièces relatives à ses obsèques. La Gazette annonça sa mort sans commentaire dans une correspondance de la Haye du 3 avril (p. 180).

3. Ce duc de Würtemberg était Éberhard-Louis, né le 8 septembre 1676 et qui succéda à son père dès le 23 juin 1677 sous la tutelle de son oncle Frédéric-Charles (tome X, p. 304); il mourut le 31 octobre 1733 ne laissant qu'une fille. Général de valeur, il avait été nommé par l'empereur Charles VI feld-maréchal de ses armées et de celles de 1'Empire.

4. Le comté de Montbéliard était arrivé aux ducs de Würtemberg par le mariage en 1397 d'Éberhard V avec Henriette de Montfaucon, héritière du dernier comte. En 1608, à la mort du duc Frédéric, il'fut attribué dans le partage à son second fils Louis-Frédéric, tige de la branche dont Léopold-Eberhard fut le dernier représentant.

5. On trouvera dans le Catalogue des factums de la Bibliothèque nationale, tome III, p. 641-644, l'indication de nombreux mémoires juridiques publiés à l'occasion de ce procès entre 1723 et 1747. En

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