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Mort de l'abbé Gaultier.

jamais mise en peine, sinon d'être sûre et secrète au dernier point; avec cela, tout le monde l'aimoit1; mais il n'alloit guères de femmes chez elle. La singularité de cette vie m'a fait étendre sur elle.

L'abbé Gaultier, dont il est si bien et si souvent parlé dans ce qui a été donné ici, d'après M. de Torcy, sur les [Add. SS. 1668] négociations de la paix avec la reine Anne et de celle d'Utrecht, mourut dans un appartement que le feu Roi

qu'à la fin de sa vie «< un pauvre Mérinville, vieux mousquetaire; elle lui fournissoit de la soupe et lui payoit le fiacre pour arriver, de peur que ses souliers ne crottassent le sofa, mais il s'en retournoit à pied. >> 1. « La Fontaine-Martel a plus d'amis, et la d'Alluyes étoit plus aimée. Elle étoit si bonne femme, qu'on ne cessoit de dire qu'on l'aimoit » (Ibidem).

2. Saint-Simon n'a inséré dans ses Mémoires aucun extrait des Mémoires de Torcy sur les [négociations préliminaires des traités d'Utrecht; mais il en avait dans ses Papiers une copie écrite de sa main (aujourd'hui vol. France 430 du Dépôt des affaires étrangères), à laquelle il a souvent renvoyé comme Pièce justificative de ses Mémoires : voyez particulièrement nos tomes XVII, p. 177-178 et 399, XVIII, p. 3 et 170, XXI, p. 134, etc. Il n'a donc rien dit de cet abbé. François Gaultier (Saint-Simon écrit tantôt Gautier, tantôt Gaultier), né à Rabodanges (Orne), fut longtemps attaché à la paroisse de SaintGermain-en-Laye (il figure en 1696 avec cette affectation dans la liste du clergé du diocèse de Paris: Archives nationales, Z1P 10), et y noua probablement des relations avec l'entourage anglais du roi Jacques. Emmené à Londres en 1698 comme aumônier par le maréchal de Tallard, ambassadeur, il y fit connaissance avec Prior, avec lord Jersey, dont la femme était catholique, et avec plusieurs autres membres du parti tory. Quand Tallard dut revenir en 1701 à cause de la guerre, il laissa l'abbé à Londres avec mission d'envoyer secrètement des nouvelles, et celui-ci réussit à y rester en se faisant passer pour attaché à la maison du comte de Gallasch, alors chargé d'affaires de l'Archiduc comme roi d'Espagne. Ses communications, adressées à un banquier de Paris et qu'il signait tantôt Levasseur cadet, tantôt Châlons ou de Lorme, furent assez rares jusqu'en 1711; néanmoins le Roi lui accorda, le 22 juin 1710, une pension de deux mille livres sur l'abbaye de Saint-Aubert (vol. Rome 507). Mais lorsque le ministère tory arriva au pouvoir au début de 1711, lord Jersey indiqua Gaultier, comme pouvant, secrètement et sans conséquence, faire connaître à Louis XIV le désir des Anglais de parvenir à la paix. L'abbé fit à cet effet plusieurs

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lui avoit donné dans le château neuf de Saint-Germain', avec des pensions et une bonne abbaye'. Il s'y étoit retiré aussitôt après ces négociations, où il avoit été si heureusement employé, après en avoir ouvert lui-même le premier chemin, et rentra en homme de bien modeste et

voyages en France, s'aboucha avec Torcy et eut le 3 août 1711 un brevet officiel d'agent du Roi à Londres (vol. Angleterre 233, fol. 130), où il emmena Mesnager. Ses négociations, menées avec beaucoup de sens et d'adresse, réussirent, et le 7 septembre Torcy lui remettait une gratification de deux mille livres, suivie bientôt d'une pension. En mai 1712, il fut adjoint comme secrétaire avec la Porte du Theil aux trois plénipotentiaires envoyés à Utrecht (vol. Hollande 235, fol. 123; Gazette, p. 323), et y servit très utilement. Après la conclusion de la paix, il retourna à Londres pour régler diverses affaires et en revint définitivement vers juin 1714 (Journal de Dangeau, tome XV, p. 144 et 173).

1. Dangeau (p. 293) annonce sa mort dès le 24 mai; la Gallia christiana (tome XI, col. 552) dit le 13 juin; les gazettes ne l'ont pas mentionnée. Seuls les registres paroissiaux de Saint-Germain-en-Laye, s'ils existent, pourraient élucider la question.

2. Il avait deux abbayes: Olivet, au diocèse de Bourges, depuis mars 1712, et Savigny, au diocèse d'Avranches, en avril 1713, à la mort du cardinal de Janson. Il jouissait en outre depuis 1711 d'une pension du Roi de six mille livres, que le Régent lui avait confirmée en 1715 (vol. France 1192, fol. 81; Archives nationales, G1 590, lettre de lui du 20 septembre 1713 au contrôleur général; Éd. de Barthélemy, Gazette de la Régence, p. 37). De plus, Philippe V lui avait accordé en 1713 une pension de quatre mille ducats sur l'archevêché de Tolède, à propos de laquelle Torcy sollicita le 8 décembre 1714 les bons offices du cardinal Ottoboni (vol. Rome 542, fol. 199; Gazette de Leyde, 1713, no 69; Dangeau, tome XIV, p. 390, dit douze mille livres sur l'archevêché de Saragosse). Il en avait une aussi de l'Angleterre. Tout cela lui faisait un revenu important que l'auteur de la Gazette de la Régence évalue (p. 161) à plus de soixante mille livres.

3. Il y a ici dans le manuscrit un que inutile.

4. Sur les négociations auxquelles l'abbé Gaultier participa et sur son rôle exact, il faut surtout consulter les Mémoires de Torcy, édition Michaud et Poujoulat, p. 665 à la fin, et le Journal du même publié par Frédéric Masson, p. 347 et suivantes; les volumes Angleterre 229 et suivants du Dépôt des affaires étrangères, et dans le fonds Hollande ceux qui concernent les conférences d'Utrecht (la partie de sa correspondance relative à 1714 a été publiée par Grimblot en 1846 dans la

Mort et détails du célèbre Valero y

Lossa, de curé de campagne devenu,

sans s'en être

douté, évêque, puis archevêque de Tolède. Eloge du

humble dans son état naturel1, et y vécut comme s'il ne se fût jamais mêlé de rien, avec une rare simplicité, et qui a peu d'exemples en des gens de sa sorte, qui, dans le maniement des affaires les plus importantes et les plus secrètes, dont lui-même avoit donné la première clef, sans s'intriguer, s'étoit concilié l'estime et l'affection du Roi et de ses ministres, de la reine Anne et des siens, et des plénipotentiaires qui travaillèrent à ces deux paix.

Le célèbre archevêque de Tolède mourut aussi en ce même temps; il s'appeloit don Francisco Valero y Lossa, et il étoit simple curé d'une petite bourgade 3. Il y rendit des services si importants pour soutenir les peuples dans le fort de la guerre et des malheurs, l'exciter en faveur du roi d'Espagne, trouver des expédients pour les marches et les subsistances, avoir des avis sûrs de ce que faisoient et projetoient les ennemis, que les généraux et les ministres ne pouvoient assez louer son zèle, son industrie, sa vigilance et sa sagesse. Rien de tant de soins ne dérangea sa P. Robinet, piété, les devoirs de sa paroisse, sa modestie, son désinroi d'Espagne, téressement. Ses amis, l'orage passé, le pressèrent vaineRevue nouvelle). On trouvera aussi divers documents dans le carton K 1351 des Archives nationales, nos 69 et suivants, et dans les Mémoires de Lamberty, tome VI, p. 696 et suivantes. Voir encore le Siècle de Louis XIV par Voltaire, chap. xxII, le Journal de Dangeau, tome XIV, p. 115, 131, 207, 211, 288 et 389-391, les Mémoires de Sourches, tome XIII, p. 337, 444, 475 et 482; Flassan, Histoire de la diplomatie française, tome IV, p. 295-300. Il y a deux lettres de lui des 24 octobre 1712 et 20 septembre 1713 adressées à M. Desmaretz dans les cartons G7 584 et 590 des Archives nationales.

confesseur du

1. Ces quatre mots ont été ajoutés en interligne.

2. Selon le baron de Breteuil, on l'appelait familièrement «< Gaultier de la paix », pour le distinguer de ses homonymes. Il fit graver son portrait en 1716 (Gazette de la Régence, p. 46), et il y en a deux exemplaires au Cabinet des estampes.

3. Tome XXVI, p. 117. Il était mort le 23 avril. La Gazette (p. 235) fait son éloge, comme notre auteur; il avait été curé de Villanueva de la Jara, au diocèse de Cuenca, avant d'être évêque de Badajoz et archevêque de Tolède; il n'avait que cinquante-six ans. Dangeau mentionne sa mort dans son Journal au 14 mai (p. 286).

ment d'aller à la cour représenter ses services. Il ne prit et son renvoi. pas seulement la peine d'en faire souvenir. Dans cette [Add. SS. 1669] inaction qui relevoit si grandement son mérite, le P. Robinet', lors confesseur du roi d'Espagne, qui ne l'avoit pas oublié, en fit souvenir Sa Majesté Catholique à la vacance de l'évêché de Badajoz, qui le lui donna. Le bon curé, qui n'y avoit jamais songé, l'accepta, s'y retira, et y vécut en excellent évêque. Ce fut de ce siége que le même confesseur le fit passer à celui de Tolède, avec l'applaudissement de toute la cour et l'acclamation de toute l'Espagne. Le prélat y avoit aussi peu songé qu'il avoit fait à celui de Badajoz. Il fut dans ce premier siège de toutes les Espagnes aussi modeste qu'il avoit été dans sa cure, et il y fut l'exemple de tous les évêques d'Espagne, l'exemple de la cour et celui de tout le royaume. Sa promotion à Tolède perdit le confesseur. Le cardinal del Giudice, aussi étroitement uni à la princesse des Ursins alors qu'ils devinrent ennemis dans la suite, vouloit ce riche et grand archevêché; il le demandoit hautement, et Mme des Ursins en fit sa propre affaire. Le roi y consentoit, lorsque son confesseur osa lui représenter avec la plus généreuse fermeté quel affront il feroit à la nation espagnole, à l'amour et aux prodiges d'efforts de laquelle il devoit sa couronne, s'il la frustroit du premier et du plus grand archevêché, pour le donner à un étranger, qui déjà tenoit de lui le riche archevêché de Montréal en Sicile, et tant de pensions et d'autres grâces, et fit si bien valoir le mérite, les services, la piété, le désintéressement de l'évêque de Badajoz, qu'il emporta pour lui l'archevêché de Tolède. Ce trait, et les louanges qu'il en reçut, outra le cardinal, et plus que lui encore Mme des

1. Robinet est en interligne au-dessus de de la Baume, biffé, et on va encore retrouver plus loin la même correction.

2. Ce qui va suivre sur la disgrâce du P. Robinet a déjà été raconté dans le tome XXVI, p. 168-169.

3. Tome X, p. 239.

Ursins, qui ne pouvoit souffrir de résistance à son pouvoir et à ses volontés. Ce Père ne se mêloit de rien que des bénéfices, ne lui donnoit nul ombrage, vivoit avec tout le respect, la modestie, la retenue possible avec elle, avec le cardinal, avec tous les gens en place; mais, comme il ne tenoit point à la sienne, il ne faisoit sa cour à personne. Mme des Ursins, qui avoit déjà éprouvé quelque peu de sa droiture et de sa fermeté1, qui le voyoit estimé et adoré de tout le monde, craignit tout de ce dernier trait, outre l'extrême dépit de se voir vaincue après s'être déclarée; aussi ne le lui pardonna-t-elle pas. Elle sut si bien travailler qu'elle fit renvoyer cet excellent homme environ un an après2, et fit à l'Espagne une double et profonde plaie par la perte qu'elle fit d'un homme3 si digne d'une si importante place, et par donner lieu au choix d'un successeur si différent, et qu'elle-même avoit déjà chassé de cette même place. Ce fut le P. Daubenton, dont on a suffisamment parlé ici dans ce qui y a été donné d'après M. de Torcy, pour voir qu'on ne dit rien de trop sur le choix de ce terrible jésuite, dont j'aurai encore lieu de parler, si Dieu me donne le temps d'écrire mon ambassade d'Espagne et de conduire ces Mémoires jusqu'au but que je me suis proposé. Le P. Robinet, véritablement soulagé de n'être plus dans une cour et dans des affaires, revint en France, ne se soucia ni de lieu ni d'emploi. Il fut envoyé à Strasbourg, où il se fit aimer et estimer comme il avoit fait partout, y vécut dans une grande retraite et dans une grande tranquillité, et y mourut saintement après plusieurs années. On le regrettoit encore en Espagne lorsque j'y

1. Notre tome XXIV, p. 216-218.

2. On a vu dans le tome XXVI, p. 168, que ce fut seulement après la disgrâce de Mme des Ursins que le cardinal del Giudice, revenu en faveur avec la nouvelle reine, fit renvoyer le P. Robinet; voyez aussi l'appendice VIII du même tome.

3. Le mot ho, oublié, a été remis en interligne.

4. Encore ici Robinet corrige de la Baume.

5. Le P. Robinet, qui était recteur à Strasbourg lorsque, en 1705,

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